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18/04/2025 | FRANCE | N°503447

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 avril 2025, 503447


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 14 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution, d'une part, de la délibération du 20 novembre 2024 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a classé comme une personnalité politique dans la catégorie " divers droite " et, d'autre p

art, de la décision du 24 janvier 2025 par laquelle l'Arcom a rejeté son recours g...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 14 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution, d'une part, de la délibération du 20 novembre 2024 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a classé comme une personnalité politique dans la catégorie " divers droite " et, d'autre part, de la décision du 24 janvier 2025 par laquelle l'Arcom a rejeté son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions contestées, d'une part, ont conduit son éditeur à repousser la publication de son ouvrage en raison de l'impossibilité qu'il rencontrerait à en assurer la promotion dans les médias audiovisuels et, d'autre part, ont un effet immédiat sur son activité de consultant qui le prive de ses revenus professionnels, nécessaires pour subvenir aux besoins de sa famille ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions contestées sont entachées d'irrégularité en ce qu'elles n'ont pas respecté l'obligation de procédure contradictoire préalable prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration alors qu'elles présentent un caractère défavorable pour sa situation et qu'elles ont été prises en considération de sa personne ;

- elles sont entachées d'inexacte qualification juridique et de dénaturation des faits en ce qu'elles considèrent qu'il participe activement au débat politique national alors que ses interventions se rapportent à son expertise de la politique américaine et portent exclusivement sur la politique étrangère et en ce qu'elles confèrent une importance excessive à son parcours politique alors qu'il n'est affilié à aucun parti politique et qu'il n'a pas exercé de fonctions politiques dans un passé proche ou lointain ;

- elles méconnaissent son droit à la liberté d'expression, garanti par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors, en premier lieu, que l'Arcom a donné une portée excessive à la restriction que la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 apporte à la liberté d'expression en soumettant à un dispositif spécial, sans considération de rattachement à une formation politique, toute personne désignée comme personnalité politique, en deuxième lieu, que la législation nationale en vigueur n'est pas assortie de garanties procédurales suffisantes pour assurer la proportionnalité de l'ingérence à la liberté en cause et, en dernier lieu, qu'en toute état de cause la législation nationale telle qu'elle a été appliquée par l'Arcom a entraîné, dans les circonstances de l'espèce, une ingérence disproportionnée à sa liberté d'expression ;

- elles sont fondées sur le second alinéa de l'article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et sont illégales en conséquence de l'inconstitutionnalité de ces dispositions.

Par un mémoire distinct, enregistré le 14 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, à ce que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Il soutient que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question revêt un caractère sérieux dès lors qu'elles sont entachées d'une incompétence négative emportant une atteinte à la liberté d'expression et méconnaissent le principe d'égalité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de la même ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur les conclusions à fin de suspension qui lui sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code. Le juge des référés du Conseil d'Etat peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence.

4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (...) par le respect (...) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique selon les conditions de périodicité et de format que l'autorité détermine. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique communique chaque mois aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. Ce relevé est également publié dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ".

5. M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 20 novembre 2024 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé aux éditeurs des services de radio et de télévision de le regarder comme une personnalité politique et de décompter ses interventions au titre de l'appartenance " divers droite ", pour l'application des dispositions citées au point précédent, ainsi que de la décision du 24 janvier 2025 rejetant son recours gracieux.

6. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.

7. Pour justifier l'urgence qui s'attache, selon lui, à la suspension de l'exécution des décisions de l'Arcom, M. A... invoque une atteinte grave à sa liberté d'expression, faisant valoir que ces décisions ont conduit les chaînes de télévision qui l'invitaient jusqu'alors régulièrement, pour s'exprimer sur des sujets notamment liés à l'actualité politique américaine, à réduire la fréquence de ses interventions dans leurs programmes, et qu'elles ont ainsi eu pour effet de le contraindre à reporter la parution d'un ouvrage, faute de pouvoir en assurer la promotion, et de le priver des revenus qu'il tirait de ses interventions sur les plateaux de télévision, alors que ces revenus sont les seuls dont il dispose pour subvenir aux besoins de sa famille. Toutefois, les décisions de l'Arcom le concernant ne lui interdisent pas, par elles-mêmes, l'accès aux plateaux des chaînes de télévision, qui n'ont au demeurant pas cessé de l'inviter, ainsi qu'il ressort du calendrier de ses interventions annexé à sa requête. En l'absence d'aucun élément sur sa situation financière personnelle, M. A... ne démontre pas davantage que la perte de revenus alléguée serait telle qu'elle porterait une atteinte grave et immédiate à cette situation. Dans ces conditions, les éléments au dossier ne permettent pas de caractériser une situation d'urgence justifiant la suspension de l'exécution des décisions contestées par M. A..., dans l'attente du jugement de sa requête au fond.

8. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas satisfaite. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ni sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées, la requête de M. A... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....

Fait à Paris, le 18 avril 2025

Signé : Philippe Ranquet


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 503447
Date de la décision : 18/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 avr. 2025, n° 503447
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD, BONICHOT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:503447.20250418
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