Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au président du conseil départemental des Hauts-de-Seine de lui accorder le bénéfice d'une prise en charge en qualité de jeune majeur jusqu'à ce qu'il accède à l'autonomie, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2505585 du 5 avril 2025, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 avril et 14 et 16 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, il est dépourvu de tout soutien familial, se trouve en situation de précarité financière et sans solution d'hébergement et, d'autre part, il ne peut intégrer un foyer de jeunes travailleurs dès lors qu'il n'est pas en mesure de produire une carte de séjour et de justifier de moyens financiers stables ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- ni les incidents relevés par la structure d'accueil et la mise en échec de son premier apprentissage qui illustreraient un comportement inadapté à la poursuite d'un accompagnement, ni le caractère récent de la prise en charge de ses addictions, ni le fait que le rapport favorable établi par son éducateur référent aurait été contredit par la structure d'hébergement, ni le fait qu'il justifie d'un contrat d'apprentissage en boulangerie pour lequel il perçoit une rémunération mensuelle de 743 euros, que ses droits à la complémentaire santé sont ouverts jusqu'au 30 novembre 2025 et qu'il serait éligible aux dispositifs d'hébergement de droit commun, notamment pour jeunes travailleurs, ne sont de nature à justifier un refus de prise en charge en qualité de jeune majeur.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 avril et 16 mai 2025, le département des Hauts-de-Seine conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le département des Hauts-de-Seine ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 6 mai 2025 à 15 h 00 :
- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- la représentante de M. A... ;
- M. A... ;
- Me Croizier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département des Hauts-de-Seine ;
- la représentante du département des Hauts-de-Seine ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 16 mai 2025 à midi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "
2. Il résulte de l'instruction que M. A..., ressortissant tunisien né le 5 décembre 2006, a été confié au service d'aide sociale à l'enfance du département des Hauts-de-Seine par une décision du juge des enfants du tribunal judiciaire de Nanterre du 22 novembre 2023. A sa majorité, il a bénéficié d'une prise en charge en tant que jeune majeur, par un contrat conclu le 5 décembre 2024. Par une décision du 25 mars 2025, le président du conseil départemental a mis fin à cette prise en charge à compter du 5 avril 2025, à l'expiration du contrat précédemment mentionné. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement des dispositions citées au point 1, d'enjoindre au département des Hauts-de-Seine de maintenir cette prise en charge. Il relève appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat de l'ordonnance du 5 avril 2025 rejetant cette demande.
Sur le cadre juridique du litige :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) / Elles bénéficient des autres formes d'aide sociale, à condition qu'elles justifient d'un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, applicable en l'espèce : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article et à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée. "
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 222-5-1 du même code : " Un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l'article L. 222-5, au plus tard un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours, l'informer de ses droits, envisager avec lui et lui notifier les conditions de son accompagnement vers l'autonomie. Si le mineur a été pris en charge à l'âge de dix-sept ans révolus, l'entretien a lieu dans les meilleurs délais. Dans le cadre du projet pour l'enfant, un projet d'accès à l'autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. Le cas échéant, la personne de confiance désignée par le mineur en application de l'article L. 223-1-3 peut assister à l'entretien. / (...) ". Aux termes de l'article R. 222-6 du même code : " Le président du conseil départemental complète si nécessaire, pour les personnes mentionnées au 5° de l'article L. 222-5 ayant été accueillies au titre des 1°, 2° ou 3° du même article, le projet d'accès à l'autonomie formalisé lors de l'entretien pour l'autonomie mentionné à l'article L. 222-5-1, afin de couvrir les besoins suivants : / 1° L'accès à des ressources financières nécessaires à un accompagnement vers l'autonomie ; / 2° L'accès à un logement ou un hébergement ; / 3° L'accès à un emploi, une formation ou un dispositif d'insertion professionnelle ; / 4° L'accès aux soins ; / 5° L'accès à un accompagnement dans les démarches administratives ; / 6° Un accompagnement socio-éducatif visant à consolider et à favoriser le développement physique, psychique, affectif, culturel et social. "
5. Il résulte des dispositions citées au point 3 de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants.
6. Il résulte, en outre, des dispositions citées au point 4 de l'article L. 222-5-1 du même code qu'un projet d'accès à l'autonomie, élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur, en y associant d'autres institutions et organismes concernés, vise à apporter au mineur pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. Ce projet est complété, si nécessaire, en fonction des besoins particuliers du jeune majeur en application de l'article R. 222-6 de ce code, dans sa rédaction issue du décret du 5 août 2022 relatif à l'accompagnement vers l'autonomie des jeunes majeurs et des mineurs émancipés ayant été confiés à l'aide sociale à l'enfance, pour les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans mentionnés au 5° de l'article L. 222-5, qui continuent de relever d'une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Cette prise en charge prend la forme du document dénommé " contrat jeune majeur " qui a pour objet de formaliser les relations entre le service de l'aide sociale à l'enfance et le jeune majeur, dans un but de responsabilisation de ce dernier.
7. Une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions rappelées aux points précédents, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé.
Sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
8. Ainsi qu'il a été dit au point 2, M. A... a été pris en charge par le département des Hauts-de-Seine au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, puis, de sa majorité jusqu'au 5 avril 2025, dans le cadre d'un contrat jeune majeur conclu le 5 décembre 2024. Il est constant que celui-ci ne bénéficie d'aucun soutien familial et d'aucune solution d'hébergement. S'il a conclu à compter du 1er janvier 2025, un contrat de professionnalisation d'une durée de 18 mois avec une boulangerie située à Paris, dans le cadre duquel il perçoit une rémunération mensuelle de 743 euros, et si ces ressources ne sont pas manifestement insuffisantes pour lui permettre d'accéder à un logement, par exemple dans un foyer de jeunes travailleurs, il apparaît indispensable qu'il soit accompagné dans les démarches nécessaires, ainsi qu'en vue de l'obtention d'un titre de séjour, et qu'une solution d'hébergement lui soit assurée jusqu'à l'aboutissement de ces démarches.
9. Par ailleurs, si le comportement de M. A... jusqu'à sa majorité a été marqué par des altercations avec d'autres résidents des structures au sein desquels il était accueilli, des manquements multipliés au règlement intérieur de ces structures, notamment des dégradations de mobilier et des faits de consommation de stupéfiants, sans que l'intéressé fasse toutefois l'objet de poursuites pénales, ces faits, pour regrettables qu'il soient, ne sont pas, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu de l'absence de réitération de faits comparables depuis la majorité de l'intéressé, de nature à délier le département des Hauts-de-Seine de son obligation légale de poursuivre sa prise en charge dans les conditions mentionnées au point précédent.
10. Il résulte de ce qui précède que le refus du département des Hauts-de-Seine de poursuivre la prise en charge de M. A... en qualité de jeune majeur porte, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Sur la condition d'urgence :
11. M. A... affirme, sans être contredit, que, depuis la fin de sa prise en charge par le département des Hauts-de-Seine, il ne dispose plus d'aucune solution d'hébergement et dort le plus souvent dans la rue, dans une voiture. Eu égard à la gravité des conséquences résultant du refus du département de poursuivre sa prise en charge, la condition d'urgence prévue par les dispositions rappelées au point 1 de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qu'il attaque.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
13. Il y a lieu d'enjoindre au département des Hauts-de-Seine de proposer dans les plus brefs délais à M. A... un " contrat jeune majeur ", destiné, en application des dispositions de l'article L. 222-5 et de l'article R. 222-6 du code de l'action sociale et des familles, à assurer la prise en charge de ses besoins en matière d'accès à un accompagnement dans les démarches administratives en vue notamment de la régularisation de sa situation au regard du droit au séjour et de l'accès à un logement adapté, ainsi que, dans l'attente de l'issue de ces démarches, en matière d'hébergement et d'accompagnement socio-éducatif. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Hauts-de-Seine la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 avril 2025 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au département des Hauts-de-Seine de proposer à M. A... un contrat jeune majeur dans les conditions énoncées au point 13 de la présente ordonnance.
Article 3 : Le département des Hauts-de-Seine versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au département des Hauts-de-Seine.
Fait à Paris, le 16 mai 2025
Signé : Alain Seban