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21/05/2025 | FRANCE | N°504146

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 mai 2025, 504146


Vu la procédure suivante :

M. A... C... et M. E... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement des articles L. 521-2 et L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer à l'enfant mineure, B... C... D..., un laissez-passer ou tout document de voyage lui permettant de quitter le territoire mexicain et de gagner le territoire français sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2503082 du 6 mai 2025, le juge des

référés du tribunal administratif de Toulouse a enjoint au minis...

Vu la procédure suivante :

M. A... C... et M. E... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement des articles L. 521-2 et L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer à l'enfant mineure, B... C... D..., un laissez-passer ou tout document de voyage lui permettant de quitter le territoire mexicain et de gagner le territoire français sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2503082 du 6 mai 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a enjoint au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer, à titre provisoire, à l'enfant B... C... D... tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national en compagnie de M. C... et M. D..., dans un délai de sept jours à compter de la notification de son ordonnance.

Par une requête, enregistrée le 7 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 6 mai 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. C... et M. D....

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'incompétence, seul le tribunal administratif de Paris étant compétent pour connaître de la demande ;

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors, en premier lieu, que l'audience devant la juridiction mexicaine compétente pour la délivrance du jugement définitif permettant l'établissement d'un acte de naissance au seul bénéfice des parents d'intention se tiendra le 6 juin 2025, que, en deuxième lieu, le report à cette date d'audience résulte d'une erreur procédurale du conseil de M. C... et M. D..., que, en troisième lieu, M. D... ne démontre pas qu'une prolongation de ses congés lui aurait été refusée par son employeur et, en dernier lieu, que l'exemption de visa de court séjour par le Mexique dans la limite de 180 jours leur permettra d'assister à l'audience prévue le 6 juin 2025 ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que le refus d'octroi d'un laissez-passer par les services consulaires résulte du caractère provisoire de l'acte de naissance présenté par M. C... et M. D....

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2025, M. C... et M. D... concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... C... et M. E... D... et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 mai 2025, à 15 heures :

- Me Gougeon, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... et M. D... ;

- les représentantes du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que B... C... D... est née le 11 février 2025, au Mexique, dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui (GPA). M. C... et M. D..., ressortissants français, munis d'un acte de naissance établi le 25 avril 2025 par le service d'état civil de la ville de Mexico, municipalité de Cuauhtemoc, apostillé et traduit en français, sur lequel ils sont inscrits en tant que parents de l'enfant, ont sollicité des services de l'ambassade de France au Mexique la délivrance d'un laissez-passer consulaire au nom de l'enfant en transmettant aux services consulaires l'ensemble des pièces en leur possession. Par un courriel du 29 avril 2025, les autorités consulaires ont rejeté leur demande au motif que leur dossier était incomplet. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères relève appel de l'ordonnance du 6 mai 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse lui a enjoint de délivrer à l'enfant B... C... D... un laissez-passer ou tout autre document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire français avec ses parents dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance.

En ce qui concerne la compétence du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse :

3. Aux termes de l'article R. 312-8 du code de justice administrative : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions (...) ". En se prononçant, sur le fondement de ces dispositions, sur la demande présentée par M. C... et M. D..., relative au refus de délivrance d'un laissez-passer consulaire, pour leur fille B... C... D..., opposé par les services consulaires de l'ambassade de France au Mexique, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse n'a pas méconnu le champ de sa compétence.

En ce qui concerne la demande de délivrance du laissez-passer consulaire :

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour obtenir des autorités mexicaines la délivrance d'un acte de naissance comportant leurs deux noms, M. C... et M. D... ont entamé au Mexique une procédure juridictionnelle, reposant d'abord sur l'intervention d'un premier jugement, présenté comme provisoire, ordonnant la délivrance d'un tel acte de naissance et supposant, ensuite, l'intervention d'un autre jugement, mettant définitivement fin à la procédure. Le premier jugement est intervenu le 16 décembre 2024, M. C... et M. D... ayant anticipé la procédure, ce qui leur a permis d'obtenir, après la naissance de B... le 11 février 2025, un acte de naissance sur lequel ils figurent tous deux en tant que parents de l'enfant. Alors que l'audience relative au jugement définitif devait initialement se tenir en mars 2025, elle a été repoussée en juin 2025, sans qu'il soit possible de déterminer quand le jugement lui-même sera rendu. Les deux parents sont au Mexique depuis le mois de février 2025, leurs obligations professionnelles, en tant que fonctionnaires territoriaux, alors qu'ils ont épuisé leurs possibilités de congés, impliquent qu'ils regagnent la France, pays dont ils ont la nationalité et où ils résident et travaillent, dans les plus brefs délais. Ces éléments sont, dans les circonstances de l'espèce, contrairement à ce que soutient le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, de nature à caractériser une urgence.

5. En deuxième lieu, aux termes de de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ". Aux termes de l'article 7 du décret du 30 décembre 2004 relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titres de voyage : " Un laissez-passer peut être délivré à un Français démuni de tout titre de voyage ou de document pouvant en tenir lieu, pour un seul voyage à destination de la France, en particulier en cas d'impossibilité matérielle de lui délivrer un passeport, et après vérification de son identité et de sa nationalité française ".

6. Il n'est pas soutenu par le ministre que l'acte de naissance produit par M. C... et M. D... serait irrégulier ou falsifié ou que son authenticité ou sa portée devraient être remises en cause. Le ministre ne conteste pas non plus, en appel, la réalité du recours à la GPA, ni sa licéité dans certains Etats du Mexique, ni, enfin, le fait que M. C... est le père biologique de l'enfant. La seule circonstance invoquée par le ministre, tenant à ce que le droit mexicain prévoirait, pour clore définitivement la procédure suivie par les requérants, l'intervention d'un autre jugement, est sans incidence sur l'obligation, faite à l'administration par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant. Dans les circonstances de l'espèce, et eu égard au fait que les requérants doivent pouvoir rentrer dans les meilleurs délais en France alors qu'ils sont au Mexique depuis le début du mois de février et qu'il leur est impossible de savoir quand le jugement définitif sera rendu, la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant B..., qui ne peut rester seule au Mexique, implique, ainsi que l'a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, que l'autorité administrative lui délivre, à titre provisoire, tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national avec M. C... et M. D....

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel du ministre de l'Europe et des affaires étrangères doit être rejeté.

8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... et M. D... de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... et M. D... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. A... C... et M. E... D....

Fait à Paris, le 21 mai 2025

Signé : Rozen Noguellou


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 504146
Date de la décision : 21/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 mai. 2025, n° 504146
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:504146.20250521
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