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05/06/2025 | FRANCE | N°500720

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 05 juin 2025, 500720


Vu la procédure suivante :



Le préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia la délibération n° 21/234 AC du 16 décembre 2021 par laquelle l'Assemblée de Corse a approuvé la modification de son règlement intérieur ainsi que l'arrêté n° 22/044 CE du 8 février 2022 par lequel le président du conseil exécutif de Corse a adopté le règlement intérieur du conseil exécutif.



Par un jugement nos 2200748, 2200749 du 9 mars 2023, ce tribunal a, d'une part, annulé la délibération

du 16 décembre 2021 en tant qu'elle approuve le dernier alinéa de l'article 1er du règlement intér...

Vu la procédure suivante :

Le préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia la délibération n° 21/234 AC du 16 décembre 2021 par laquelle l'Assemblée de Corse a approuvé la modification de son règlement intérieur ainsi que l'arrêté n° 22/044 CE du 8 février 2022 par lequel le président du conseil exécutif de Corse a adopté le règlement intérieur du conseil exécutif.

Par un jugement nos 2200748, 2200749 du 9 mars 2023, ce tribunal a, d'une part, annulé la délibération du 16 décembre 2021 en tant qu'elle approuve le dernier alinéa de l'article 1er du règlement intérieur de l'Assemblée de Corse, d'autre part, annulé l'arrêté du 8 février 2022 en tant qu'il adopte l'article 16 du règlement intérieur du conseil exécutif de Corse, enfin, rejeté le surplus des conclusions du préfet de Corse et les conclusions de la collectivité de Corse tendant à la modulation dans le temps des effets de l'annulation.

Par un arrêt n° 23MA01110 du 19 novembre 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la collectivité de Corse contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 janvier et 19 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 19 mars 2025, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 4422-13 du code général des collectivités territoriales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 2 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la collectivité de Corse ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 16 décembre 2021, l'Assemblée de Corse a approuvé la révision de son règlement intérieur adopté le 22 juillet 2021, dont l'article 1er prévoit en son dernier alinéa que " les langues des débats de l'Assemblée de Corse sont le corse et le français ". Par un arrêté du 8 février 2022, le président du conseil exécutif de Corse a approuvé le règlement intérieur de ce conseil, qui prévoit en son article 16 que " les membres du Conseil exécutif de Corse et les agents du Secrétariat général du Conseil exécutif utilisent les langues corse et française dans leurs échanges oraux, électroniques, et dans les actes résultant de leurs travaux ". La collectivité de Corse se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 novembre 2024 ayant rejeté son appel formé contre le jugement du 9 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Bastia a, sur déférés du préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, annulé cette délibération en tant qu'elle approuve le dernier alinéa de l'article 1er du règlement intérieur de l'Assemblée de Corse et cet arrêté en tant qu'il approuve l'article 16 du règlement intérieur du conseil exécutif de Corse.

Sur l'intervention de M. B... et autres :

2. M. B... et les autres intervenants justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'appui du pourvoi formé par la collectivité de Corse. Ainsi, leur intervention est recevable.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes de l'article L. 4422-13 du code général des collectivités territoriales : " L'Assemblée établit son règlement intérieur dans le mois qui suit son élection. Ce règlement fixe les modalités de son fonctionnement qui ne sont pas prévues au présent chapitre. / Le règlement intérieur peut être déféré au tribunal administratif. / Par dérogation aux dispositions de l'article L. 4422-7, le règlement intérieur est adopté par la majorité absolue des membres composant l'Assemblée ".

5. Cet article, qui se borne à prévoir la compétence de l'Assemblée de Corse pour fixer les modalités de son fonctionnement en établissant un règlement intérieur, n'a ni pour objet ni pour effet de déterminer la langue susceptible d'y être utilisée. Dès lors, la collectivité de Corse ne peut utilement soutenir que les dispositions de cet article seraient, en ce qu'elles imposeraient l'usage du français, contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution.

6. Au demeurant, aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution : " La langue de la République est le français ". Si la libre communication des pensées et des opinions proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés, par lui, les mieux appropriés à l'expression de sa pensée, il résulte des dispositions de l'article 2 de la Constitution, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel, notamment par ses décisions n° 99-412 DC du 15 juin 1999 et n° 2021-818 DC du 21 mai 2021, que l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec l'administration et les services publics, d'un droit d'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage.

7. Par suite, la collectivité de Corse n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'obligation d'utiliser le français dans les travaux et les décisions de l'assemblée délibérante d'une collectivité publique, qui découle directement de l'article 2 de la Constitution, contreviendrait aux autres droits et libertés garantis par celle-ci, qu'il s'agisse du droit à la vie privée, de la liberté d'expression ou du principe de libre-administration des collectivités territoriales. La collectivité requérante ne peut par ailleurs utilement invoquer, à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, les dispositions de l'article 75-1 de la Constitution, dès lors que ce dernier article n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la collectivité de Corse, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

9. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

10. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la collectivité de Corse soutient que la cour administrative d'appel de Marseille l'a entaché d'erreur de droit en jugeant que l'article 1er du règlement intérieur de l'Assemblée de Corse et l'article 16 du règlement intérieur du conseil exécutif de Corse méconnaissent l'article 2 de la Constitution.

11. Ces moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de M. B... et autres est admise.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la collectivité de Corse.

Article 3 : Le pourvoi de la collectivité de Corse n'est pas admis.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la collectivité de Corse, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. A... B..., premier intervenant dénommé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat ; M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 500720
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2025, n° 500720
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500720.20250605
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