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18/06/2025 | FRANCE | N°500475

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 18 juin 2025, 500475


Vu la procédure suivante :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 août 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Bas-Rhin a autorisé la société Mars PF France à le licencier pour motif disciplinaire ainsi que la décision du 17 février 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail. Par un jugemen

t n° 2102761 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rej...

Vu la procédure suivante :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 août 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Bas-Rhin a autorisé la société Mars PF France à le licencier pour motif disciplinaire ainsi que la décision du 17 février 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail. Par un jugement n° 2102761 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22NC00201 du 15 novembre 2024, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier et 8 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Mars PF France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct et un autre mémoire, enregistrés les 8 avril et 21 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. C... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail et de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant la justice, garantis par les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

Par un mémoire, enregistré le 9 mai 2025, la société Mars PF France conclut à ce que la question de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Elle soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, en particulier que les dispositions invoquées par M. C... ne sont pas applicables au litige et que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 9 mai 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut à ce que la question de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Elle soutient, à titre principal, que la question de constitutionnalité n'est pas recevable, dès lors qu'elle ne conteste pas l'interprétation des dispositions litigieuses données par le juge administratif mais seulement sa jurisprudence, et, à titre subsidiaire, que la question ne présente ni un caractère nouveau ni un caractère sérieux.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de M. C... ; et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Mars PF France ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 novembre 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 30 novembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 août 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Bas-Rhin a autorisé la société Mars PF France à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que de la décision du 17 février 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion rejetant son recours hiérarchique.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. A ce titre, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si le licenciement projeté n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l'appartenance syndicale du salarié protégé.

4. A cet égard, lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi d'un recours formé par un salarié protégé aux fins d'annulation de la décision administrative autorisant son licenciement et que l'intéressé soutient devant lui que le licenciement envisagé est en rapport avec ses fonctions représentatives ou son appartenance syndicale, il appartient au juge de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger du salarié protégé que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits en défense, soit par l'administration, soit par l'employeur, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant des parties en défense la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

5. Les règles énoncées aux points 3 et 4 s'appliquent devant le juge administratif lorsqu'il est saisi d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision de l'autorité administrative autorisant le licenciement d'un salarié protégé et qu'il est soutenu, par l'intéressé, que le licenciement projeté serait en rapport avec les fonctions représentatives qu'il exerce ou avec son appartenance syndicale. Contrairement à ce que soutient M. C..., ces règles ne mettent pas à la charge du salarié protégé le soin de prouver que son licenciement serait en rapport avec ses fonctions ou appartenance et le requérant ne saurait utilement se prévaloir de ce que des règles de dévolution de la preuve différentes seraient mises en œuvre par le juge judiciaire ou par le juge administratif statuant sur des litiges de nature différente pour soutenir que les dispositions de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 et de l'article L. 1134-1 du code du travail seraient contraires au principe d'égalité devant la loi ou au principe d'égalité devant la justice.

6. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

7. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux. "

8. Pour demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy qu'il attaque, M. C... soutient, en outre, qu'il est entaché :

- d'insuffisance de motivation en ce que la cour s'est abstenue de répondre à son argumentation tirée de ce que son licenciement était motivé par la main-courante qu'il avait déposée le 27 janvier 2020 pour dénoncer une discrimination syndicale à son égard ;

- de dénaturation des pièces du dossier et d'insuffisance de motivation en ce qu'il juge que le témoignage de M. B... ne permettait pas de remettre en cause la matérialité du comportement qui lui était reproché ;

- de méconnaissance par la cour de son office et de l'interdiction de statuer ultra petita en ce que la cour se prononce sur un grief non retenu par les décisions contestées de l'inspecteur du travail et de la ministre chargée du travail autorisant son licenciement ;

- d'erreur de droit, faute d'avoir recherché s'il faisait état d'éléments de nature à faire présumer l'existence d'un licenciement discriminatoire en raison de son appartenance syndicale avant de vérifier si les éléments avancés par son employeur établissaient que la décision de licenciement le concernant reposait sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

- d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'il juge que les fautes lui étant reprochées étaient suffisamment graves pour justifier son licenciement.

9. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C....

Article 2 : Le pourvoi de M. C... n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., à la société Mars PF France et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 500475
Date de la décision : 18/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2025, n° 500475
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP POUPET & KACENELENBOGEN ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500475.20250618
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