Vu la procédure suivante :
Mme C... B... a porté plainte contre M. A... D... devant le conseil départemental de l'Isère de l'ordre des médecins, qui a transmis cette plainte, sans s'y associer, à la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 21 avril 2021, la chambre disciplinaire de première instance a interdit à M. D... d'exercer la médecine pendant quatre mois, dont deux mois assortis du sursis.
Par une décision du 2 février 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appels de M. D... et de Mme B..., interdit à M. D... d'exercer la médecine pendant six mois, dont trois mois assortis du sursis, et réformé en ce sens la décision de la chambre disciplinaire de première instance.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 avril 2024 et le 14 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins ;
2°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Waquet-Farge-Hazan, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de M. D... et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B... a porté plainte contre M. A... D..., médecin spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologique, devant le conseil départemental de l'Isère de l'ordre des médecins, qui a transmis cette plainte, sans s'y associer, à la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 21 avril 2021, la chambre disciplinaire de première instance a interdit à M. D... d'exercer la médecine pendant quatre mois, dont deux mois assortis du sursis. Par une décision du 2 février 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appels de M. D... et de Mme B..., fixé à six mois, dont trois mois assortis du sursis, l'interdiction d'exercer la médecine infligée à M. D... et réformé en ce sens la décision de la chambre disciplinaire de première instance.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
3. Ces exigences impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.
4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 4126-1 du code de la santé publique : " Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que le médecin (...) en cause ait été entendu ou appelé à comparaître. " Aux termes des articles R. 4126--25 et R. 4126-26 de ce code, rendus applicables à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins par l'article R. 4126-43 : " (...) Les parties sont convoquées à l'audience (...) " et " Les affaires sont examinées en audience publique (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4126-29 du même code, relatif aux mentions figurant sur la décision juridictionnelle rendue : " Mention y est faite que le rapporteur et, s'il y a lieu, les parties, les personnes qui les ont représentées ou assistées ainsi que toute personne convoquée à l'audience ont été entendues. "
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le médecin poursuivi devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins doit être informé du droit qu'il a de se taire dans les conditions précisées au point 3.
7. Il résulte des mentions de la décision attaquée que M. D... a comparu devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins lors de l'audience s'étant tenue le 23 novembre 2023 et qu'il y a été entendu. Or il ne ressort ni des mentions de cette décision, ni des pièces de la procédure suivie en appel qu'il ait été préalablement informé du droit qu'il avait de s'y taire. Il n'est pas davantage établi qu'il n'y aurait pas tenu des propos susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'irrégularité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. D... est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 2 février 2024 qu'il attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par M. D... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 2 février 2024 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. D... au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et à Mme C... B....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.