Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Par deux requêtes distinctes, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2022 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'une année, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la préfète de la Drôme l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2207338 - 2207339 du 14 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à ces demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2022, la préfète de la Drôme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 14 novembre 2022 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant ce tribunal.
Elle soutient que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif Grenoble a retenu un défaut d'examen de la situation du demandeur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2023, M. B... A..., représenté par Me Bouillet, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Grenoble a jugé que l'arrêté du 8 novembre 2022 portant obligation de quitter le territoire sans délai était entaché d'une motivation irrégulière et l'a annulé, et, par voie de conséquence, a annulé l'arrêté du même jour portant assignation à résidence ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa situation révèle l'existence de circonstance exceptionnelles justifiant qu'aucune interdiction de retour sur le territoire français ne soit prise ;
- il n'a pas été informé, en violation de l'article L. 613-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des conditions d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français.
Par une décision du 15 février 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B... A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- et les observations de Me Bouillet pour M. A....
Considérant ce qui suit :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
1. Pour retenir un défaut d'examen de la situation de M. A..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a relevé que la préfète de la Drôme s'est bornée, après avoir mentionné son entrée irrégulière en France dans le courant de l'année 2018, à rappeler la teneur des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'instaurent qu'une simple faculté pour la préfète d'édicter une obligation de quitter le territoire français dans le cas qu'elles prévoient et ne la dispensent pas de procéder à l'examen de l'ensemble de la situation personnelle de l'intéressé.
2. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la préfète de la Drôme, qui a notamment visé le procès-verbal d'audition de la police nationale en date du 7 novembre 2022, a mentionné la nationalité tunisienne de l'intéressé, a fait état de ce qu'il déclare être entré irrégulièrement en France au cours de l'année 2018, qu'il a été interpellé par les services de police pour conduite d'un véhicule sans permis de conduire, qu'il déclare vouloir rester en France pour se marier, qu'il ne dispose pas d'une résidence effective et permanente sur le territoire français, et qu'il ne déclare pas être dépourvu de famille dans son pays d'origine. Ces éléments démontrent que la préfète a, préalablement à l'édiction de ses décisions, procédé à un examen particulier de la situation personnelle M. A.... Dans ces conditions, c'est à tort que le premier juge a retenu le défaut d'examen de la situation du requérant pour annuler les arrêtés en litige.
3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel.
En ce qui concerne les autres moyens :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les dispositions sur lesquelles il se fonde. Sa motivation, qui atteste de l'examen particulier de sa situation comme il a été dit au point 2, est suffisante dès lors que la préfète de la Drôme, n'avait pas à faire état dans l'exposé des motifs de sa décision de l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de M. A....
5. En deuxième lieu, en l'absence de demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de leur méconnaissance est inopérant.
6. En troisième lieu, M. A... est entré irrégulièrement en France et n'a effectué aucune démarche en vue de la régularisation de sa situation. Il conserve de fortes attaches familiales en Tunisie, où réside sa mère. Dans ces circonstances, et même s'il déclare vivre en concubinage depuis trois ans à la date de la mesure d'éloignement et évoque, sans l'établir, un projet de mariage, la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne porte pas une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté.
7. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 613-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel est notifiée une décision portant obligation de quitter le territoire français est informé, par cette notification écrite, des conditions, prévues aux articles L. 722-3 et L. 722-7, dans lesquelles cette décision peut être exécutée d'office. (...) ". Ces dispositions instituant une obligation d'information devant être effectuée au moment de la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peuvent être utilement invoquées pour contester la légalité de cette décision, laquelle s'apprécie au jour de son édiction.
S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
9. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, la décision litigieuse comporte une motivation spécifique de l'interdiction de retour sur le territoire français, et qui démontre que la préfète de la Drôme a procédé à un examen particulier de sa situation.
10. En troisième lieu, eu égard à la courte durée du séjour en France de M. A..., les éléments de sa vie privée et familiale dont il fait état ainsi que son prétendu projet d'union ne suffisent pas pour considérer que l'intéressé établirait l'existence de circonstances humanitaires justifiant qu'aucune interdiction de retour ne soit prise ni que la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, limitée à un an, serait entachée d'une erreur d'appréciation.
S'agissant de l'assignation à résidence :
11. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'assignant à résidence.
12. En deuxième lieu, la décision assignant à résidence M. A... pour une durée de quarante-cinq jours, qui a d'ailleurs été prise par un arrêté distinct, comporte une motivation spécifique contrairement à ce que soutient le requérant. Elle est motivée, en fait comme en droit, avec une précision suffisante au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
13. En troisième lieu, alors que l'assignation à résidence constitue une mesure alternative au placement en rétention lorsque l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que son éloignement demeure une perspective raisonnable, le moyen selon lequel la mesure en litige serait entachée d'une erreur de droit au motif qu'elle aurait pour unique objectif de favoriser son départ volontaire doit être écarté.
14. En quatrième et dernier lieu, la circonstance que l'obligation de quitter le territoire français ne pouvait faire l'objet d'une exécution avant que le tribunal administratif de Grenoble ait statué sur sa légalité ne fait pas obstacle à l'assignation à résidence de l'intéressé.
15. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Drôme est fondée à demander, outre l'annulation du jugement qu'elle attaque, le rejet des demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur les frais d'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207338 - 2207339 du 14 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03578