Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Bouygues bâtiment centre sud-ouest a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 6 août 2019 par laquelle le directeur de la direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la Nouvelle-Aquitaine lui a infligé une amende administrative de 225 000 euros en raison des délais excessifs de paiement de ses fournisseurs et a décidé la publication de cette sanction pendant une durée de douze mois.
Par un jugement n° 1904149 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a ramené le montant de l'amende administrative infligée à la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest à 56 250 euros et la durée de publication de la sanction à trois mois et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 décembre 2021, 15 février 2022 et 21 novembre 2022, la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest, représentée par Me Vogel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1904149 du tribunal administratif de Bordeaux du 2 novembre 2021 ou de le réformer en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du 6 août 2019 du directeur de la DIRECCTE de la Nouvelle-Aquitaine et, à titre subsidiaire, de ramener le montant du surplus de l'amende administrative qui lui a été infligée à un montant symbolique, sans aucune publication ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la publication de la décision de sanction pendant une durée de trois mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- la mesure de publication de la sanction pour une durée de trois mois n'a aucunement été motivée par le tribunal ;
- le tribunal a insuffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de ce que le contrôle ayant conduit au prononcé de la sanction a été irrégulièrement mené, en raison de la prise en compte de soixante factures émises antérieurement à la période de contrôle ;
- les raisons qui ont conduit le tribunal à réduire le montant de l'amende à hauteur de 75 %, et non davantage, ne sont pas clairement spécifiées et identifiables ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- en méconnaissance du principe de présomption d'innocence, le contrôleur a irrégulièrement pris en compte soixante factures émises antérieurement à la période de contrôle ;
- le quantum de l'amende dont le tribunal l'a, en définitive, reconnue redevable est disproportionné alors que seulement 1,08 % des factures contrôlées ont été payées en retard ; il peut être constaté que le montant de l'amende infligée dans d'autres dossiers est proportionnellement moindre que celui de l'amende litigieuse, pour des taux infractionnels pourtant plus importants ; l'administration a ainsi méconnu le principe constitutionnel de proportionnalité des peines, également consacré par l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la publication de la sanction pendant une durée de douze mois prononcée par l'administration ainsi que celle d'une durée de trois mois maintenue par le tribunal procède d'une application rétroactive illégale de la loi plus sévère résultant de la loi dite " Sapin II " du 9 décembre 2016 qui prévoit désormais une publication systématique de la sanction ;
- la mesure de publication porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à son image, eu égard aux faits qui lui sont reprochés. ;
- cette mesure a entraîné des conséquences irréversibles et d'une particulière gravité pour la société, de sorte qu'il paraît nécessaire d'en réparer le préjudice subi, à proportion que la cour estimera juste.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil.
- le code de commerce ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
- les observations de Me Boudailliez et de Me Vicaire, représentant la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest,
- et les observations de Mme A..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Les parties ont été informées lors de l'audience publique de la date de mise à disposition de l'arrêt le 21 décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. La DIRECCTE de la Nouvelle-Aquitaine a procédé, à compter du mois d'octobre 2016, à un contrôle sur pièces et sur place de la comptabilité de la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest. Ayant constaté que les délais de paiement de ses fournisseurs excédaient les délais maximaux prévus par les dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, alors en vigueur, le directeur de la DIRECCTE de la Nouvelle-Aquitaine a prononcé, le 6 août 2019, une amende administrative de 225 000 euros à l'encontre de la société et a décidé de la publication de la décision de sanction sous forme de communiqué, par voie électronique, sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour une durée de douze mois. Par un jugement du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a ramené le montant de l'amende administrative à 56 250 euros et la durée de publication de la sanction à trois mois. La société Bouygues bâtiment centre sud-ouest relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 août 2019 et demande, en outre, la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la publication de la décision de sanction pendant une durée de trois mois.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il résulte du point 11 du jugement attaqué que, pour ramener à 56 250 euros le montant de l'amende infligée à la société requérante, le tribunal a pris en compte l'ampleur des retards de paiement constatés, le volume d'affaire concerné, ainsi que la situation économique de l'entreprise et le secteur où elle intervient, compte tenu du montant total de factures prises en charge par la société. Les premiers juges ont, ainsi, suffisamment motivé leur jugement sur le quantum de la sanction. Par ailleurs, si la décision par laquelle l'autorité administrative rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale. Ainsi, en indiquant, compte tenu de la motivation d'ensemble de la sanction principale, que la durée de publication de la sanction est ramenée à trois mois, le tribunal a suffisamment motivé son jugement sur ce point.
3. En second lieu, il ressort du point 9 du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments de la demande, ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de ce que le contrôle ayant conduit au prononcé de la sanction a été irrégulièrement mené, en raison de la prise en compte de soixante factures émises antérieurement à la période de contrôle. La société Bouygues bâtiment centre sud-ouest n'est donc pas fondée à critiquer, pour ce motif, la régularité du jugement en litige.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au présent litige : " (...) Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. (...) / (...) / VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article (...) ". Aux termes de l'article L. 465-2 du même code, alors en vigueur : " I. ' L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 465-1. (...) / (...) / V. ' La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée. Toutefois, l'administration doit préalablement avoir informé cette dernière, lors de la procédure contradictoire fixée au IV, de la nature et des modalités de la publicité envisagée. (...) ".
5. Il résulte de l'instruction qu'au cours des opérations de contrôle, l'enquêteur de la DGCCRF a identifié deux périodes de contrôle, entre le 1er janvier et le 30 mars 2016 et entre le 1er et le 30 juin 2016. Après analyse comptable du grand livre fournisseurs, ce dernier a constaté que sur les 6 486 factures fournisseurs sur commande réglées durant ces périodes, le paiement de 451 factures a été comptabilisé à plus de 60 jours, avec des délais moyens de paiement pondérés de 116 jours pour la première période et 108 jours pour la seconde. Parmi ces 451 factures, l'enquêteur a sollicité un échantillon de 154 factures correspondant à des prestations de plus de 1 000 euros et à 90 fournisseurs différents. Il est apparu, en définitive et après les explications fournies par la société, que, sur ces 154 factures, l'administration a retenu, dans sa décision du 6 août 2019, que 70 d'entre elles ont accusé un retard moyen pondéré de 74 jours pour 57 fournisseurs concernés, soit 45 % de l'échantillon. En prenant comme hypothèse que le pourcentage de retards avérés est le même pour les factures de montants inférieur ou supérieur à 1 000 euros, le nombre de factures payées au-delà des délais légaux maximum de paiement de 60 jours ou 45 jours fin de mois peut ainsi être fixé à 205 factures, soit 3,2 % des 6 486 factures réglées au cours des deux périodes contrôlées.
6. En premier lieu, si la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest soutient que la décision attaquée est fondée sur la prise en compte d'une soixantaine de factures qui ne relèvent pas de la première période de contrôle identifiée par l'enquêteur, dès lors qu'elles ont été émises avant l'année 2016, il résulte toutefois de l'instruction et notamment des termes du procès-verbal de constatation de manquement du 20 novembre 2018 que cette période, qui s'étend du 1er janvier au 31 mars 2016, correspond à celle durant laquelle ont été constatés des dépassements des délais légaux maximum de paiement de 60 jours ou 45 jours fin de mois pour des factures émises antérieurement ou en début de période. C'est donc à juste titre que l'administration a pris en compte des factures émises avant le 1er janvier 2016 dès lors que ces dépassements sont intervenus entre le 1er janvier et le 31 mars 2016. La société n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'ont été méconnus le principe constitutionnel qu'elle invoque de présomption d'innocence, également garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 9-1 du code civil.
7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été exposé au point 5 que le pourcentage de factures payées avec retard par la société s'élève à 3,2 % et non à 1,08 % ainsi que l'a retenu, à tort, le tribunal et ainsi que le soutient l'appelante. Il résulte de l'instruction que le montant total des factures payées au-delà des délais légaux maximum de paiement s'élève à près de 573 000 euros et que 57 fournisseurs différents en ont été victimes. Au vu de l'ampleur des dépassements constatés, s'élevant à 74 jours en moyenne, du volume d'affaire concerné, ainsi que de la position de force de la société dans ses relations commerciales, l'amende administrative infligée à la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest, telle que l'a réduite le tribunal, de 56 250 euros, assortie d'une publication de la sanction pendant trois mois sur le site internet de la DGCCRF, n'apparaît pas hors de proportion avec la faute commise. A cet égard, la circonstance que le montant de cette amende correspond à 15 % du montant maximum de 375 000 euros prévu par les dispositions précitées de l'article L. 441-6 du code de commerce pour une personne morale, alors que le pourcentage de factures payées avec retard par la société s'élève à 3,2 %, est sans influence sur son caractère proportionné, le législateur n'ayant pas prévu que le quantum de l'amende soit corrélé au pourcentage de factures pour lesquelles les délais légaux maximum de paiement ont été dépassés. Par suite, sans que l'appelante puisse utilement se prévaloir du montant des amendes qui ont pu être infligées par l'administration dans d'autres dossiers, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le principe constitutionnel de proportionnalité des peines, également consacré par l'article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été méconnu.
8. En dernier lieu, il ne résulte ni des termes de la décision contestée du 6 août 2019 ni de ceux du jugement attaqué que le directeur de la DIRECCTE de la Nouvelle-Aquitaine ou le tribunal se seraient estimés tenus de prononcer la publication de l'amende administrative infligée à la société requérante. Par suite, le moyen tiré de ce que la publication de la sanction prononcée par l'administration et maintenue, pour une durée de trois mois, par le tribunal procède d'une application rétroactive illégale de la loi plus sévère du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui prévoit désormais une publication systématique de la sanction prononcée pour non-respect des délais de paiement, manque en fait et doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
9. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 7 et 8 qu'en l'absence d'illégalité fautive entachant la décision du 6 août 2019 du directeur de la DIRECCTE de la Nouvelle-Aquitaine prononçant la publication de l'amende administrative infligée à la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest, telle que maintenue par le tribunal pour une durée de trois mois, l'intéressée n'est, en tout état de cause, pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat en raison des préjudices prétendument liés à cette publication.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de sa demande et à solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages-intérêts. Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues bâtiment centre sud-ouest et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX04556
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