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28/12/2023 | FRANCE | N°21BX03655

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 21BX03655


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision, communiquée verbalement le 11 décembre 2019, par laquelle le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux lui a retiré ses fonctions de responsable de l'unité médico-judiciaire et de la Cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agression (CAUVA) et de condamner le CHU à lui verser une indemnité de 8 000 euros en réparation de ses préjudices.



Par un j

ugement n° 2002185 du 15 juillet 2021, le tribunal a annulé la décision

du 11 décembre 2019 et a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision, communiquée verbalement le 11 décembre 2019, par laquelle le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux lui a retiré ses fonctions de responsable de l'unité médico-judiciaire et de la Cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agression (CAUVA) et de condamner le CHU à lui verser une indemnité de 8 000 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 2002185 du 15 juillet 2021, le tribunal a annulé la décision

du 11 décembre 2019 et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 septembre 2021, le CHU de Bordeaux, représenté par la SELARL Racine, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il a annulé une décision du 11 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande d'annulation de cette décision présentée par Mme D... devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire pour défaut de réclamation préalable ;

- lors d'un entretien du 11 décembre 2019, la professeure C..., cheffe du pôle

de santé publique, a informé Mme D... du projet de réorganisation à intervenir au début

de l'année 2020 ; les avis requis par l'article R. 6146-5 du code de la santé publique ont été rendus postérieurement à cette réunion, et ce n'est que par une décision du 23 décembre 2019 que le directeur général du CHU a arrêté le nouvel organigramme des structures médicales

à compter du 1er janvier 2020 ; c'est ainsi à tort que le tribunal a déduit des termes

employés par la cheffe de pôle qu'une décision verbale faisant grief avait été notifiée

à Mme D... le 11 décembre 2019, et la demande dirigée contre un acte verbal non décisoire du 11 décembre 2019 doit être rejetée comme irrecevable ;

- le changement d'organigramme du pôle santé publique est une simple mesure de réorganisation interne qui ne fait pas grief ;

A titre subsidiaire, si la cour estimait que la demande de première instance était dirigée contre la décision du 23 décembre 2019 :

- cette décision publiée sur le site intranet de l'établissement n'avait pas à être notifiée à l'intéressée, et au demeurant, un défaut de notification n'a d'incidence que sur l'opposabilité, et non sur la légalité d'une décision ;

- les dispositions de l'article R. 6152-11 du code de la santé publique n'étant pas applicables à la situation de Mme D..., leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée ;

- la décision a été prise après avis du président de la commission médicale d'établissement et de la cheffe de pôle, conformément aux dispositions de l'article R. 6146-5 ;

- la décision a été prise dans l'intérêt du service, en raison des difficultés persistantes de Mme D... dans l'exercice de ses fonctions managériales, malgré la mise en place d'un accompagnement ;

- le moyen tiré de l'illégalité de la nomination du successeur de Mme D... est inopérant ;

- à titre infiniment subsidiaire, Mme D... ne justifie ni de la réalité des préjudices qu'elle allègue, ni d'un lien avec une faute du CHU.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Caijeo, représentant le CHU de Bordeaux, et celles

de Me Couvrand, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... épouse D..., praticienne hospitalière spécialisée en médecine légale, a été recrutée par le CHU de Bordeaux en juin 2018 et nommée à compter

du 1er juillet suivant responsable de l'unité médico-judiciaire cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agression (CAUVA), relevant du service de médecine légale et pénitentiaire du pôle santé publique. Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 11 décembre 2019 après un entretien du même jour avec la cheffe du pôle santé publique relatif au non-renouvellement de ses fonctions de responsable de cette unité, et a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'annulation d'une décision verbale de non-renouvellement du 11 décembre 2019,

et de condamnation du CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité de 8 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par un jugement du 15 juillet 2021, le tribunal a fait droit à la fin de non-recevoir du CHU relative à l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires en l'absence de demande préalable susceptible de lier le contentieux, et a annulé la décision du 11 décembre 2019 au motif qu'elle n'avait pas été précédée d'une procédure contradictoire. Le CHU de Bordeaux relève appel de ce jugement en ce qu'il a fait droit aux conclusions à fin d'annulation de Mme D....

2. Aux termes de l'article R. 6146-4 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable au litige : " Dans les centres hospitaliers et les centres hospitalo-universitaires, les responsables de structure interne, services ou unités fonctionnelles des pôles d'activité clinique ou médico-technique sont nommés par le directeur sur proposition du chef de pôle, après avis du président de la commission médicale d'établissement, selon des modalités fixées par le règlement intérieur. / (...) " Aux termes de l'article R. 6146-5 du même code : " Il peut être mis fin, dans l'intérêt du service, aux fonctions de responsable de structure interne, service ou unité fonctionnelle par décision du directeur, après avis du président de la commission médicale d'établissement et du chef de pôle. / (...). "

3. Il ressort des pièces du dossier que le directeur général du CHU de Bordeaux prend chaque année, avec effet au 1er janvier et au 1er juillet, deux décisions relatives à l'arborescence des structures médicales de l'établissement, par lesquelles il arrête, après consultation de la commission médicale d'établissement, la composition des pôles, des services et des unités médicales en désignant les responsables de chacun d'eux. En l'espèce, le non-renouvellement des fonctions de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA de Mme D... à compter du 1er janvier 2020 résulte d'une décision du directeur général du CHU de Bordeaux

du 23 décembre 2019 relative à l'arborescence des structures médicales faisant apparaître une vacance des fonctions de responsable de cette unité, que le président de la commission médicale d'établissement avait suggéré de placer à titre transitoire sous l'autorité directe de la cheffe de pôle. Malgré la maladresse de la formulation du courriel de la cheffe du pôle

du 11 décembre 2019 au directeur général du CHU relatif à l'entretien qu'elle avait eu le même jour avec Mme D... " pour lui notifier la fin de ses fonctions managériales à l'unité médico-judiciaire CAUVA à compter du 1er janvier 2020 ", en précisant que l'intéressée avait exprimé son point de vue et son désaccord, cet entretien ne constituait qu'une étape de la procédure préparatoire à la décision de non-renouvellement du 23 décembre 2019. Le CHU de Bordeaux est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé une décision

du 11 décembre 2019.

4. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de requalifier les conclusions à fin d'annulation de Mme D... comme dirigées contre la décision du 23 décembre 2019, et d'examiner les moyens qu'elle a soulevés devant le tribunal administratif.

5. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent

de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte

de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles

ne traduisent une discrimination, est irrecevable. Contrairement à ce que soutient le CHU

de Bordeaux, la décision de non-renouvellement des fonctions de responsable de l'unité

médico-judiciaire CAUVA fait grief à l'intéressée dès lors qu'elle la prive de responsabilités managériales.

6. En premier lieu, la circonstance que la décision du 23 décembre 2019, qui a été publiée sur le site internet de l'hôpital, n'a pas été personnellement notifiée à Mme D..., est sans incidence sur sa légalité.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les motifs du non-renouvellement dans les fonctions de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA ont été communiqués à Mme D... lors de l'entretien du 11 décembre 2019. Le moyen tiré d'une absence de motivation de ce non-renouvellement ne peut donc être accueilli.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que conformément aux dispositions de l'article R. 6146-5 du code de la santé publique citées au point 2, le président de la commission médicale d'établissement et la cheffe du pôle santé publique ont émis des avis préalablement à la décision du 23 décembre 2019 de non-renouvellement des fonctions de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA de Mme D.... Si la requérante fait valoir que ces avis ne lui ont pas été communiqués, ni l'article R. 6152-11 relatif aux mutations internes qu'elle invoque, au demeurant inapplicable à sa situation, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'impose une communication des avis à l'agent concerné.

9. En quatrième lieu, les dispositions de l'article R. 6146-5 du code de la santé publique ne prévoyant pas de consultation de la commission médicale d'établissement sur la fin de fonctions d'un responsable d'unité fonctionnelle, le moyen tiré d'une absence de communication d'un avis de cette commission ne peut qu'être écarté comme inopérant.

10. En cinquième lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, les décisions prises en considération de la personne sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. Il ressort des pièces

du dossier que Mme D... a été reçue en entretien par la cheffe de pôle et son adjoint

le 11 décembre 2019, et qu'elle a fait valoir ses observations sur le non-renouvellement de fonctions envisagé par l'administration. Elle a ainsi bénéficié d'une procédure contradictoire préalablement à la décision du 23 décembre 2019.

11. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment d'une note de la cheffe de pôle de santé publique, du chef adjoint et de la directrice référente du 30 octobre 2019 au directeur général du CHU et au président de la commission médicale d'établissement, que lors de son recrutement dans un contexte difficile, qualifié de " peu propice à la mise en confiance d'un manager " après de graves dysfonctionnements dans le service, Mme D... s'est vue assigner les objectifs de conduire un projet médical de service et de manager une équipe médicale dans le dessein d'apaiser les tensions et de favoriser un partenariat constructif entre les médecins légistes et les autres professionnels. Elle a bénéficié d'un accompagnement par un prestataire extérieur, d'une mission d'appui du service de santé au travail, ainsi que d'un encadrement et de conseils par la cheffe de pôle et la directrice référente, mais n'est parvenue ni à instaurer un climat de travail serein et constructif, ni à construire un projet médical de service fédérateur. Après avoir reçu en entretien les trois autres médecins légistes du service le 30 octobre 2019, la cheffe de pôle, le chef adjoint et la directrice référente ont estimé que les maladresses accumulées par Mme D... ne rendaient plus possible son maintien sur ses fonctions managériales, et la nouvelle cheffe de pôle nommée le 1er novembre 2019 a abouti à la même conclusion. Dans ces circonstances, et alors qu'aucune faute ne lui est reprochée, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que son non-renouvellement en qualité de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA dans l'intérêt du service serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

12. En dernier lieu, Mme D... ne peut utilement invoquer une irrégularité de la procédure de nomination de son successeur pour contester la légalité de la décision par laquelle elle n'a pas été renouvelée dans ses fonctions de responsable d'unité.

13. Il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux doit être annulé en ce qu'il a annulé une décision du 11 décembre 2019 et mis par suite à la charge du CHU une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 décembre 2019 de non-renouvellement en qualité de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA présentées par Mme D... devant le tribunal doivent être rejetées.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Mme D..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2002185 du 15 juillet 2021 est annulé en tant qu'il a annulé une décision du 11 décembre 2019 et qu'il a mis à la charge

du CHU de Bordeaux une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 23 décembre 2019 de

non-renouvellement de Mme D... en qualité de responsable de l'unité médico-judiciaire CAUVA sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Bordeaux

et à Mme B... E... épouse D....

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03655


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03655
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL INTERBARREAUX RACINE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;21bx03655 ?
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