Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... F..., Mme G... H..., épouse F... et M. A... F... ont demandé, par trois requêtes distinctes, au tribunal administratif de Nîmes d'annuler les arrêtés du 1er septembre 2022 par lesquels la préfète du Gard a rejeté leurs demandes de titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de l'éloignement.
Par un jugement n° 2203647-2203648-2203649 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les arrêtés précités et a enjoint à la préfète du Gard de leur délivrer, à chacun, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mars 2023, la préfète du Gard demande à la cour d'annuler ce jugement du 24 février 2023 du tribunal administratif de Nîmes.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que son arrêté était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation des consorts F... ;
- ainsi, les intimés n'ont été autorisés à séjourner en France que le temps nécessaire à l'instruction de leurs demandes d'asile et s'y sont ensuite maintenus de manière irrégulière, tout en retournant parfois en Albanie ; de plus, l'essentiel de leur famille vit dans ce dernier pays, où ils sont vécu la majeure partie de leur vie ; enfin, ils ne justifient d'aucune intégration particulière dans la société française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2023, les consorts F..., représentés par Me Debureau, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés ; ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a estimé que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales avaient été méconnues ;
- en effet, ils établissent vivre en France depuis 2016, leurs enfants y sont ou y ont été scolarisés, et ils démontrent être bien intégrés dans la société française.
M. E... F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 18 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... F..., ressortissant albanais né le 2 novembre 1975, et Mme G... H..., épouse F..., ressortissante albanaise née le 7 novembre 1977, se sont mariés le 2 février 2001. De cette union sont issus A... F..., né le 1er août 2001, Boris F..., né le 10 mai 2004, Njomez F..., née le 21 février 2009 et Edojita F..., née le 6 août 2013. Le 22 novembre 2021, M. E... F..., Mme G... F... et M. A... F... ont présenté, chacun, une demande de titre de séjour au titre de l'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de la vie privée et familiale. Leurs demandes ont été rejetées par trois arrêtés du 1er septembre 2022 par lesquels la préfète du Gard a assorti les refus de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et de décisions fixant le pays de renvoi.
2. La préfète du Gard relève appel du jugement du 24 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé les trois arrêtés précités et lui a enjoint de délivrer à M. E... F..., Mme G... F... et M. A... F... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que les époux F... ont présenté, le 31 décembre 2012 une première demande d'asile, dont ils se sont désistés, avant de quitter volontairement le territoire français le 22 avril 2013, des mesures d'éloignement ayant été édictées à leur encontre le lendemain, le 23 avril 2013, par le préfet de l'Ain. Étant revenus ultérieurement sur le territoire français, les intéressés ont présenté, le 30 septembre 2016, de nouvelles demandes d'asile, qui ont été rejetées par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 24 avril 2017, confirmées le 25 septembre 2017 par la Cour nationale du droit d'asile. Les intéressés ont alors fait l'objet de décisions les obligeant à quitter le territoire français en date du 26 décembre 2017. Ensuite, il ressort des pièces du dossier que les époux F... et leurs enfants ont été hébergés par le centre d'accueil de demandeurs d'asile de la Luciole à Nîmes du 7 novembre 2016 au 19 juillet 2018, puis par une bénévole de l'association Quartier Libre, et enfin par l'association Réfugiés Bienvenue Nîmes à compter de novembre 2019. Dans ces conditions, et dès lors que les quatre enfants des époux F... ont été scolarisés en France de manière continue à partir de l'année scolaire 2016-2019 jusqu'à l'année scolaire 2021-2022 incluse, les époux F... et leurs quatre enfants doivent être regardés comme ayant résidé habituellement sur le territoire français depuis près de six ans à la date de la décision attaquée.
5. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les époux F... se sont inscrits, peu après leur demande d'asile du 30 septembre 2016, à des ateliers sociolinguistiques organisés par l'association Quartier Libre et, s'agissant de Mme F..., aux ateliers mis en place en 2019 et 2020 par le Secours catholique, étant précisé que, selon l'attestation établie par la directrice du CADA de la Luciole, les intéressés ont fait preuve d'un comportement respectueux des lieux et des personnels, ont suivi avec assiduité les cours proposés et ont progressé en français. Si M. E... F... a effectué en 2020 et 2021 des actions de bénévolat au sein de l'association " ressourcerie réa-Nîmes ", Mme F... a travaillé comme femme de ménage d'avril 2020 à août 2022 pour M. D..., de septembre 2020 à décembre 2021 pour M. B..., et pour M. C... depuis septembre 2021, les attestations de ces trois employeurs témoignant du sérieux du travail effectué et de la maîtrise par Mme F... de la langue française. De surcroît, s'agissant des enfants des époux F..., il ressort des pièces du dossier que ces derniers, accompagnés par leurs parents, ont suivi avec sérieux et assiduité leur scolarité en France. De plus, M. A... F... a obtenu en 2020 un baccalauréat professionnel avec la mention bien dans la spécialité " aménagement et finition du bâtiment " puis, en 2022, un brevet de technicien supérieur dans la spécialité " enveloppe des bâtiments : conception et réalisation ", étant précisé que l'intéressé dispose d'une promesse d'embauche datée du 5 novembre 2021 au sein de la société Ciciarelli Alu. Son frère, Boris, a suivi, de 2020 à 2022, un cursus en vue de l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle en tant qu'électricien et, au demeurant, a été embauché en cette qualité, en contrat à durée indéterminée au mois de mai 2023. Enfin, il ressort des attestations de proches versées au dossier que les époux F... et leurs enfants, y compris leur fils aîné, ont noué des attaches privées et familiales solides en France, où vivent notamment la sœur et le beau-frère de Mme F.... Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les appelants ont fait preuve d'une volonté et d'une capacité réelles et notables d'insertion au sein de la société française.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Gard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les arrêtés litigieux et lui a enjoint de délivrer des titres de séjour aux intimés.
Sur les frais liés au litige :
7. M. E... F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Debureau, avocate de M. E... F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à ce titre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Debureau.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de la préfète du Gard est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Debureau, conseil des consorts F... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... F..., Mme G... H..., épouse F... et M. A... F.... Copie en sera adressée à la préfète du Gard.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00634