Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 15 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2200759 du 19 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées les 8 mars et 9 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Jouteau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200759 du tribunal administratif de Bordeaux du 19 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 15 février 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation administrative et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- sa présence en France depuis l'année 2008 et jusqu'à la date de l'arrêté contesté est établie par les nombreuses pièces qu'il produit ; en tout état de cause, cette présence est établie entre les années 2008 et 2018, au cours de laquelle il a présenté sa demande de titre de séjour ; ainsi, en ne saisissant pas la commission du titre de séjour, la préfète a entaché sa décision d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- eu égard à sa situation professionnelle, familiale et personnelle, l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michaël Kauffmann a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant géorgien né le 16 septembre 1979, est entré en France le 25 septembre 2008 et a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade à compter du 23 août 2012, régulièrement renouvelée jusqu'au 26 octobre 2017. Le 19 décembre 2018, M. B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur. Par un jugement du 20 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision implicite de rejet née le 28 avril 2019 du silence gardé sur cette demande par la préfète de la Gironde et a enjoint à cette dernière de réexaminer la situation de l'intéressé. Par un arrêté du 15 février 2022, la préfète de la Gironde, après avoir procédé à ce réexamen, a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 19 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".
3. Il ressort des nombreuses pièces versées au dossier de première instance et d'appel, composées notamment de document médicaux, de factures, de documents administratifs et fiscaux, de promesses d'embauche, de bulletins de paie, de quittances de loyer établies à son nom pendant la période litigieuse ainsi que des nombreuses procédures administratives et contentieuses qu'il a engagées ou dont il a fait l'objet depuis son entrée en France au titre du droit d'asile et de la réglementation relative au séjour et à l'éloignement des étrangers, que M. B... doit être regardé comme apportant de façon suffisamment probante la preuve de sa résidence habituelle en France durant plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté. En particulier, au titre des années 2019 et 2020, qui sont contestées par le préfet, le requérant produit, pour 2019, une promesse d'embauche, un courrier adressé à la préfecture de la Gironde, des certificats de scolarité ainsi que des documents administratifs relatifs à la scolarité de ses enfants, des courriers de la caisse d'allocations familiales et de l'Urssaf ainsi qu'un avis d'impôt sur le revenu et, pour l'année 2020, une fiche de visite aux services fiscaux, un avis d'impôt sur le revenu, une fiche de renseignements adressée à la préfecture, un contrat de location d'une durée de trois ans conclu à compter du 1er juin 2020 pour un appartement à Cenon et un bulletin scolaire de son fils adressé aux parents de l'enfant. Par ailleurs, le préfet ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de l'absence de preuves de présence au titre des années 2008 à 2011 qui sont antérieures aux dix années de présences exigées à la date de l'arrêté contesté du 15 février 2022. Par suite, la préfète de la Gironde était tenue, avant de rejeter la demande de titre de séjour de M. B..., de soumettre son cas à la commission départementale du titre de séjour. En ne procédant pas à cette consultation, la préfète a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette irrégularité est susceptible, en l'espèce, d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision portant refus de titre de séjour prise par la préfète et a en outre privé M. B... d'une garantie. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande Il est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 15 février 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 3 et dès lors qu'aucun autre moyen opérant n'est, en l'état, susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, l'exécution du présent arrêt implique seulement le réexamen de la situation de M. B.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à ce réexamen dans un délai de cinq mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir le requérant d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Jouteau, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Jouteau de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200759 du 19 octobre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 15 février 2022 de la préfète de la Gironde est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de cinq mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Jouteau une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Jouteau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Christelle Jouteau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX006472