Vu le recours, enregistré le 27 juillet 1989, présenté par le ministre délégué chargé du budget ;
Le ministre demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 avril 1989 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a accordé à la société de crédit des SOCIETES D'ASSURANCES A CARACTERE MUTUEL (SOCRAM) la décharge du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1980, 1981 et 1982 ;
2°) de remettre intégralement l'imposition contestée à la charge de la SA SOCRAM ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique plénière du 11 juin 1991 :
- le rapport de M. LALAUZE, conseiller ;
- les observations de Me Françoise GARNIER, avocat de la société de crédit des SOCIETES D'ASSURANCES A CARACTERE MUTUEL ;
- et les conclusions de M. LABORDE, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SA SOCRAM constituée par plusieurs sociétés d'assurances à caractère mutuel a pour objet d'offrir aux adhérents desdites sociétés, des crédits à la consommation ; que les contrats de prêts proposés contiennent une clause en vertu de laquelle la SOCRAM assume le risque invalidité-décès des emprunteurs en prenant à sa charge le solde des mensualités restant à rembourser ; qu'ayant évalué par des méthodes statistiques l'incidence financière de ce risque, la société a constitué des provisions venant en déduction de ses résultats ; que l'administration a procédé à la réintégration dans le bénéfice imposable de la société des provisions ainsi constituées au titre des exercices 1980, 1981 et 1982 et mis en recouvrement les impositions correspondantes ; que par jugement du 12 avril 1989 le tribunal administratif de Poitiers en a accordé la décharge ; que le ministre délégué chargé du budget demande l'annulation de ce jugement et le rétablissement de ces impositions ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : "1 ... le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment : ... 5 - les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice ..." qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la remise des fonds à l'emprunteur a lieu dès la signature du contrat de prêt ; que les engagements de la société sont irrévocablement souscrits à cette date et que le risque de perte invoqué naît donc à cet instant et est indépendant pour le futur de toutes diligences de la société ; que la répartition des taux de risques imputables à chacune des deux années suivant l'octroi des prêts a été déterminée à partir d'une étude statistique dont les modalités ne sont pas contestées par l'administration et qui a permis d'évaluer le montant des pertes restant à subir en fonction des contrats en cours ; que par suite le caractère probable de la perte invoquée quant à son principe est établi ;
Considérant toutefois que dans le cas où les pertes que l'entreprise sera appelée à subir au cours d'exercices ultérieurs trouvent leur origine dans des contrats dont l'exécution se poursuivra au cours de ces exercices et, où en raison des stipulations de ces contrats leur exécution sera également une source de recettes pour l'entreprise, celle-ci ne peut porter en provision que l'excédent s'il en existe un, du montant global desdites pertes sur le montant global des recettes attendues.
Considérant qu'il résulte de la règle ci-dessus rappelée que si la société est fondée à soutenir qu'en raison des engagements souscrits dans des contrats conclus au cours des exercices 1980 à 1982 elle pouvait tenir pour probable qu'elle aurait à supporter au cours des exercices ultérieurs couverts par ces contrats la perte d'une part du montant des prêts consentis aux clients bénéficiant de la clause sus-évoquée, elle n'était pas en droit même si elle avait évalué avec une précision suffisante le montant de cette perte, de porter en provision l'intégralité de ce montant mais seulement l'excédent de celui-ci sur le montant des produits générés par ces mêmes contrats ou à tout le moins de la part de ces produits destinée à compenser la garantie offerte à ses clients, part qu'elle devait pouvoir évaluer statistiquement avec la même précision ; qu'ainsi la société ne serait fondée à constituer une provision que dans le cas et dans la mesure où le bilan prévisionnel de l'ensemble des contrats de prêts assortis de la clause dont s'agit ferait apparaître un solde négatif ; qu'elle ne soutient ni même n'allègue que ce pût être le cas ; que dès lors elle ne justifie pas avoir régulièrement constitué ces provisions ; que le ministre délégué chargé du budget est fondé à demander l'annulation du jugement contesté ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 12 avril 1989 est annulé.
Article 2 : Le complément d'impôt sur les sociétés auquel la SA SOCRAM a été assujettie au titre de chacune des années 1980, 1981 et 1982 est remis intégralement à sa charge.