Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics (SMBTP) a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 720 008,06 euros assortie des intérêts légaux à compter du 16 août 2012 ainsi que leur capitalisation en réparation du préjudice dont elle s'estime victime.
Par un jugement n° 1300862 du 25 mars 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 août 2016 et le 6 décembre 2017, la SMBTP représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 mars 2016 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme susmentionnée en réparation de son préjudice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été expropriée pour cause d'utilité publique d'une parcelle composée d'une zone constructible et d'une zone non constructible au titre de laquelle elle a été indemnisée par le juge de l'expropriation par un arrêt définitif de la cour d'appel du 27 février 2006 ; en 2010, elle a eu connaissance d'un arrêt rendu par la chambre d'expropriation de la cour d'appel du 28 février 2007 confirmé par la Cour de cassation, prononçant la condamnation de l'Etat pour manoeuvre dolosive concernant une parcelle appartenant à un tiers, située dans la même zone d'urbanisation ; il résulte de cette décision que l'Etat a volontairement omis de faire respecter le schéma d'aménagement régional (SAR) du 6 novembre 1995 par la commune de Saint Leu en omettant de procéder au classement en zone constructible dans le plan local d'urbanisme (PLU) des parcelles situées en zone d'extension urbaine par le SAR ; ainsi une partie de sa parcelle a été illégalement classée en zone non constructible (NC) ; en outre dans le cadre de son contrôle de légalité l'Etat s'est abstenu d'exercer son contrôle et de relever cette illégalité manifeste ;
- l'intention dolosive de l'Etat qui lui a permis d'éviter d'exproprier trop chèrement les propriétaires concernés est à l'origine du préjudice financier qu'elle a subi ; le lien de causalité entre la faute de l'Etat et son préjudice est établi ;
- alors qu'elle a déposé un recours en révision devant la chambre d'expropriation de la cour d'appel en demandant la rétractation de l'arrêt du 27 février 2006 et la réévaluation de son terrain et que son recours a été rejeté par un arrêt du 27 mai 2011, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2013, elle a mis en oeuvre toutes les voies de recours possibles devant le juge de l'expropriation ; elle ne sollicite pas la réévaluation de l'indemnité d'expropriation mais la réparation d'un préjudice résultant du comportement fautif de l'Etat.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 décembre 2017 et le 5 janvier 2018 (non communiqué), le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en application de l'article R. 411-1 du code de justice administrative dès lors que la requérante se borne à reprendre ses écritures de première instance ;
- le " moyen soulevé " n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;
- c'est à juste titre que les premiers juges ont décliné leur compétence au profit du juge judiciaire seul compétent pour fixer l'indemnité d'expropriation.
Par ordonnance du 29 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 5 juillet 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics.
Deux notes en délibéré présentées pour la Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics ont été enregistrées le 13 septembre 2018 et le 19 septembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Le 3 mai 2002, le préfet de La Réunion a déclaré d'utilité publique l'acquisition d'un terrain sis à Saint Leu, cadastré CS 506 d'une superficie de 8 ha 83 a et 34 ca composé suivant le plan d'occupation des sols d'une partie constructible classée en zone NA et d'une partie non constructible classée en zone NC, appartenant à la Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics (SMBTP), au profit de l'Etat pour la création de la route des Tamarins. Par un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Denis en date du 21 avril 2004, confirmé par un arrêt définitif de la cour d'appel de Saint-Denis du 27 février 2006, le juge de l'expropriation a fixé à 107 030 euros l'indemnité d'expropriation due à la SMBTP en fixant pour la partie constructible un prix au mètre carré de 16,50 euros et pour la partie inconstructible un prix au mètre carré de 1 euro. Par un arrêt du 26 février 2007, la cour d'appel de Saint-Denis, saisie par un autre propriétaire exproprié, a jugé que le plan d'occupation des sols du secteur concerné n'a pas été rendu compatible avec le schéma d'aménagement régional qui classait en zone d'extension urbaine, constructible, la zone classée inconstructible par le plan d'occupation des sols.
2. La SMBTP a présenté le 15 janvier 2010 un recours en révision devant le juge de l'expropriation rejeté définitivement par la Cour de Cassation le 31 janvier 2013. Par une réclamation préalable du 16 août 2012, la SMBTP a également recherché la responsabilité pour faute de l'Etat en raison de ce classement illégal. Par un jugement du 25 mars 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions indemnitaires de l'intéressée. La SMBTP relève appel de ce jugement.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
3. Aux termes de l'article L. 13-1 du code de l'expropriation applicable aux faits de l'espèce : "Les indemnités sont fixées, à défaut d'accord amiable, par un juge de l'expropriation désigné, pour chaque département, parmi les magistrats du siège appartenant à un tribunal de grande instance. ". Selon le deuxième alinéa du 2° du II de l'article L. 13-15 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique alors applicable : " L'évaluation des terrains à bâtir tient compte des possibilités légales et effectives de construction qui existaient à l'une ou l'autre des dates de référence prévues au 1 ci-dessus, de la capacité des équipements susvisés, des servitudes affectant l'utilisation des sols et notamment des servitudes d'utilité publique, y compris les restrictions administratives au droit de construire, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive ".
4. Il résulte de ces dispositions que les conséquences des intentions dolosives de l'expropriant ne peuvent donner lieu à indemnisation que devant le juge de l'expropriation.
5. Il résulte de l'instruction que le seul préjudice invoqué par la SMBTP, consistant en la différence entre la valeur d'une partie de son terrain inconstructible telle qu'indemnisée par le juge de l'expropriation et celle du même terrain qui aurait dû selon elle, être classé en zone constructible, n'est pas distinct de celui résultant de la sous estimation du terrain exproprié. Dès lors, ses conclusions, qui tendent en réalité au relèvement de l'indemnité accordée par le juge de l'expropriation, ne sont pas au nombre de celles dont il appartient au juge administratif de connaître. Par suite, la SMBTP dont, au demeurant, le recours en révision devant le juge de l'expropriation à fin qu'il constate et prenne en compte dans l'évaluation de son terrain les intentions dolosives qu'aurait traduites l'absence de classement d'une partie de son terrain en zone constructible a été rejeté, ne peut rechercher la responsabilité de l'Etat de ce chef devant la juridiction administrative.
6. Si par ailleurs, la SMBTP soutient qu'elle a épuisé les recours à sa disposition devant le juge de l'expropriation, cette circonstance ne saurait par elle-même remettre en cause le bloc de compétence relevant du juge judiciaire qui lui réserve le soin de la fixation de l'indemnité d'expropriation.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SMBTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande indemnitaire comme présentée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante, verse à la SMBTP une quelconque somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Mascareignes Bâtiment et Travaux Publics, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 9 octobre 2018.
Le rapporteur,
Caroline GaillardLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02690