Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. O... N... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier (CH) de Guéret à lui verser la somme de 337 350 euros en réparation de ses préjudices.
Par un jugement n° 1300595 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Limoges a condamné le CH de Guéret à verser à M. N... la somme de 6 380 euros et à la mutualité sociale agricole (MSA) du Limousin la somme de 1 872,92 euros, outre les frais d'expertise.
Procédure initiale devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le l0 septembre 2015, le 26 octobre 2015, le 6 novembre 2015 et 25 août 2016, le CH de Guéret, représenté par Me L..., demande à la cour :
1 °) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1300595 du 10 juillet 2015 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. N... et la MSA du Limousin devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- il n'a pas commis de faute au cours de l'intervention chirurgicale du 22 février 2011 ;
- en tout état de cause, il n'existe pas de lien de causalité entre la perte d'acuité visuelle dont souffre M. N... et la rupture capsulaire survenue durant cette intervention, comme le souligne l'analyse médicale critique qu'il verse au dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2015, M. N..., représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, que la somme que le CH de Guéret a été condamné à lui verser soit portée à 327 600 euros, subsidiairement, qu'une nouvelle expertise soit ordonnée et, en tout état de cause, qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du CH de Guéret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le CH a commis une faute lors de l'intervention chirurgicale du 22 février 2011 et la perte d'acuité qu'il a subie est entièrement imputable à cette faute ;
- il est fondé à demander le remboursement de ses frais de déplacement, ainsi que l'indemnisation du déficit fonctionnel total dont il a souffert les 22 et 23 février 2011, des souffrances qu'il a endurées, de son déficit fonctionnel partiel et de sa perte de chance de se soustraire à l'acte chirurgical.
Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2017, la MSA du Limousin, représentée par Me G..., demande à la cour, par la voie de l'appel incident, dans 1'hypothèse où la responsabilité du CH de Guéret serait retenue, de porter à 4 256,76 euros la somme que cet établissement a été condamné à lui verser, incluant la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et de mettre à sa charge la somme de 500 euros au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que ses débours s'élèvent à la somme de 3 201,76 euros.
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que :
- aucune partie ne l'a mis en cause ;
- la responsabilité du CH de Guéret est engagée en raison des fautes qu'il a commises ;
- subsidiairement, il n'existe pas de lien de causalité entre la rupture capsulaire que M. N... a subie et la perte de vision dont il reste atteint.
Par un arrêt n° 15BX03061 du 20 mars 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 juillet 2015, rejeté les conclusions présentées par M. N... devant le tribunal et la cour, et partagé à parts égales entre le CH de Guéret et M. N... les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 1 500 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Limoges du 10 décembre 2012.
Par une décision n° 420828 du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. N..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires, enregistrés le 13 mai 2020 et le 24 août 2020, M. N..., représenté par Me K..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges, à titre principal, en portant à 168 000 euros la somme que le CH de Guéret a été condamné à lui verser en réparation de ses préjudices, à titre subsidiaire, en portant cette somme à 159 600 euros pour tenir compte de la perte de chance causée par le défaut d'information et, à titre infiniment subsidiaire, en condamnant l'ONIAM à lui verser la somme de 54 000 euros en réparation des préjudices causés par un aléa thérapeutique ;
2°) de mettre à la charge du CH de Guéret ou de toute partie perdante une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
A titre liminaire, sur la plénitude de juridiction de la cour administrative d'appel de Bordeaux :
- contrairement à ce qu'invoque le CH de Guéret, le Conseil d'Etat a prononcé une cassation totale de l'arrêt du 20 mars 2018 ; dès lors, la cour administrative d'appel reste saisie de la totalité de l'affaire ;
A titre principal, sur la responsabilité pour faute du CH :
- le CH de Guéret a commis une faute en choisissant de pratiquer une anesthésie topique pour son opération de la cataracte qui comportait des risques opératoires d'issue de vitré et de complications graves ; d'une part, le CH n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation, en utilisant la technique la plus utilisée et non la plus adaptée ; d'autre part, le choix d'une anesthésie topique a été fait alors qu'elle ne pouvait pas être complétée par une autre sédation, en l'absence d'organisation systématique de la présence d'un anesthésiste ; l'anesthésie pratiquée lors de l'intervention du 22 février 2011 n'a pas permis d'obtenir un effet antalgique suffisant ;
- le CH a commis une faute en procédant à l'intervention alors qu'il existait une suspicion d'état inflammatoire ;
- il a également commis une faute dans la mise en oeuvre de l'anesthésie ; d'une part, le dossier médical ne mentionne aucune information relative au nom du produit utilisé et à la mise en oeuvre de l'anesthésie de sorte que le CH ne justifie pas que l'anesthésiant et sa posologie étaient adaptés à la situation ; d'autre part, le CH de Guéret a également commis une faute en ne pratiquant pas de sédation complémentaire face à la douleur et l'agitation du patient qui démontre, à elle seule, l'insuffisance de l'anesthésie pratiquée ;
- le CH de Guéret a commis une faute dans son suivi post opératoire du fait des manques et des contradictions dans les comptes rendus opératoires, de la pose d'un pansement trop serré sur l'oeil déjà fragilisé du patient, de l'administration d'un médicament contrindiqué dans le cas de M. N... et de l'absence de réalisation d'examens complémentaires qui étaient pourtant nécessaires au vu de son état clinique ;
- le lien de causalité entre l'opération de la cataracte et la perte très importante d'acuité visuelle subie est certain ; il ressort de l'expertise que les séquelles dont il se plaint trouvent leur cause dans les complications survenues dans les suites de l'intervention du 22 février 2011, soit la rupture capsulaire, l'issue de vitré puis l'atteinte inflammatoire du pôle postérieur du globe oculaire gauche affectant la rétine et les voies optiques neurosensorielles ;
A titre subsidiaire, sur le défaut d'information et la perte de chance :
- le CH engage sa responsabilité car il ne démontre pas avoir rempli son obligation d'information en ce qui concerne les risques graves et fréquents inhérents à une opération de la cataracte et à leurs conséquences ;
- M. N... n'a pas bénéficié d'une information adaptée à sa situation, tenant compte des risques qui lui étaient particuliers en raison de sa myopie congénitale, engendrant des risques opératoires spécifiques ; il n'a pas non plus été informé de la technique d'anesthésie choisie ;
- il a subi une perte de chance à raison d'un manque d'information sur les risques algiques liés à l'anesthésie topique ; il avait toutes ses chances de se soustraire à cet acte qui n'avait aucun caractère urgent ; l'absence de possibilité de faire un choix différent pour l'intervention lui a fait perdre 95 % de chance d'obtenir un résultat similaire à celui obtenu ultérieurement par une autre opération pour son oeil droit ;
En tout état de cause, sur les préjudices :
- il a subi un préjudice patrimonial lié à plusieurs déplacements pour ses rendez-vous médicaux consécutifs à l'intervention du 22 février 2011, devant être indemnisé à hauteur de 1 000 euros ;
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire total lorsqu'il a été hospitalisé du 22 au 23 février 2011 et du 31 mai 2011 au 2 juin 2011 ; il a subi un déficit fonctionnel temporaire de 50 % sur une période d'un mois dans les suites de son hospitalisation à Guéret en raison de la complexité de sa prise en charge post-opératoire ; son préjudice doit être indemnisé à hauteur de 2 000 euros ;
- il a enduré des souffrances évaluées à 5/7 sur une période de deux jours, puis de 3/7 pendant huit mois devant être indemnisées à hauteur de 15 000 euros ;
- il conserve un déficit fonctionnel permanent de 26 % en raison d'une acuité visuelle de l'oeil gauche très réduite, de déformations, de troubles de la vision colorée, d'un trouble de la vision binoculaire et d'une gêne à la lumière ; ses séquelles le privent de ses passions, à savoir la minéralogie et l'arboriculture qui exigent une attention visuelle aux détails ; ce poste de préjudice devra être indemnisé à hauteur de 150 000 euros ;
A titre infiniment subsidiaire, sur l'aléa thérapeutique :
- si la cour administrative d'appel retient que les séquelles dont il souffre résultent d'un aléa thérapeutique, il lui est demandé de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 54 000 euros, soit 1 000 euros au titre de ses frais de déplacement, 1 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 12 000 euros au titre de souffrances qu'il a endurées et 40 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent.
Par un mémoire, enregistré le 22 juin 2020, le CH de Guéret, représenté par Me L..., demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 juillet 2015 et de rejeter la demande de M. N....
Il soutient que :
- le Conseil d'Etat n'a pas remis en cause l'appréciation de la cour selon laquelle le choix de l'anesthésie topique n'était pas fautif ni retenu le grief tiré d'une sédation insuffisante du patient ; il a ainsi approuvé les juges du fond selon lesquels aucune faute n'a été commise dans la prise en charge, en particulier s'agissant de la technique anesthésique retenue ; seul demeure en litige le moyen invoqué par M. N... selon lequel le CH a manqué à son devoir d'information ; les moyens tirés de ce que le CH aurait commis une faute dans le choix de l'anesthésie et dans son dosage ne devraient pas être examinés par la cour ;
- l'anesthésie topique pour une intervention de la cataracte constitue la technique anesthésique communément admise par le consensus médical ; le protocole anesthésique a bien été respecté en ce que le patient a bénéficié d'une visite pré anesthésique le 15 février 2011 et un anesthésiste était disponible pour intervenir à tout moment lors de l'intervention ; le choix de recourir à cette méthode d'anesthésie n'est donc pas fautif ;
- la réalité des douleurs prétendument subies par M. N... en per opératoire à l'origine de son mouvement de tête ne sont pas établies ; elles ne ressortent d'aucun élément du dossier, ne sont pas mentionnées dans le dossier médical de M. N..., qui n'a pas exprimé oralement subir de telles douleurs au cours de l'opération ; par ailleurs, si de telles douleurs étaient apparues, elles se seraient fait ressentir dès l'incision de la cornée et non simplement au moment de la mise en place de l'implant et la poursuite de l'intervention n'aurait pas été possible ;
- il n'y a pas eu de faute dans la mise en oeuvre de la sédation ; M. N... n'ayant pas informé l'équipe médicale de ses douleurs, elle n'a pas pu adapter l'anesthésie ;
- aucune disposition légale ou réglementaire n'exige que le consentement du malade revête la forme écrite ; M. N... a été correctement informé des risques encourus et a déclaré à l'expert avoir bénéficié d'une information type fiche de la société française d'ophtalmologie du même type que celle qu'il a consultée pour les gestes chirurgicaux pratiqués ultérieurement ;
- le lien entre la rupture capsulaire et la perte de vision de M. N... n'est pas établi ; aucune explication scientifique ne parvient à expliquer la perte d'acuité visuelle du patient ; si la perte de vision centrale était liée à une inflammation post opératoire type, il aurait été constaté la présence d'un oedème maculaire inexistant en l'espèce ;
- à l'issue de l'intervention, M. N... a été opéré de l'oeil droit, le 9 décembre 2011, preuve que la connaissance des risques induits par l'intervention ne l'a pas fait renoncer à une nouvelle intervention ; il est donc peu probable qu'il aurait refusé la première intervention pour laquelle n'existait aucune alternative ; la perte de chance subie par M. N... du fait d'un défaut d'information ne peut qu'être minime ;
- les demandes présentées par M. N... par la voie de l'appel incident doivent être rejetées dès lors que la preuve des frais de déplacement n'est pas rapportée et que les premiers juges ont justement évalué son déficit fonctionnel temporaire, ses souffrances endurées ainsi que son déficit fonctionnel permanent.
Par un mémoire, enregistré le 31 juillet 2020, la MSA du Limousin, représentée par Me G..., demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter à 3 201,76 euros le montant de la somme que le CH de Guéret a été condamné à lui verser en remboursement de ses débours et de mettre à la charge de cet établissement la somme de 1 061 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 800 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le montant de ses débours s'élève à la somme de 3 201,76 euros.
Par un mémoire, enregistré le 18 août 2020, l'ONIAM, représenté par Me H..., demande à la cour de rejeter les conclusions tendant à sa condamnation.
Il soutient que :
- le CH de Guéret a commis une faute dans le choix et la mise en oeuvre de l'anesthésie pratiquée en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour remédier immédiatement à la douleur et l'agitation du patient lors de l'intervention ;
- le CH a commis une faute à raison du défaut d'information du patient, engendrant ainsi une perte de chance importante de refuser l'intervention ;
- l'anesthésie topique n'a pas permis d'obtenir un effet antalgique suffisant et l'intensification de la douleur subie par M. N... a entraîné le mouvement à l'origine de la complication ; la baisse de l'acuité visuelle de l'oeil gauche subie par M. N... est due à la rupture capsulaire survenue à la suite du mouvement intempestif de la tête au moment de l'introduction d'un injecteur de cristallin artificiel ; le lien de causalité entre la faute du CH et les séquelles de M. N... est ainsi caractérisé ;
- il résulte de ce qui précède que les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;
- à titre subsidiaire, la preuve de l'absence d'imputabilité directe de la perte de la vision de l'oeil gauche à la rupture capsulaire n'est pas rapportée et faute de lien de causalité entre les préjudices et la complication qui serait survenue, les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I...,
- les conclusions de Mme B... C..., rapporteure publique,
- et les observations de Me F..., représentant la MSA du Limousin.
Considérant ce qui suit :
1. M. N... a subi une opération de la cataracte de l'oeil gauche sous anesthésie topique (instillation d'un collyre localement sur le globe oculaire) le 22 février 2011 au CH de Guéret. Postérieurement à cette intervention, il a souffert d'une perte importante d'acuité visuelle à cet oeil, qui est désormais limitée à 1/10e, perte qu'il impute à une rupture capsulaire survenue au cours de l'opération. M. N... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges d'une demande d'expertise. L'expert désigné par le tribunal a rendu son rapport le 31 octobre 2012. Par un jugement du 10 juillet 2015, le tribunal administratif, tenant compte de ce que l'intéressé a été indemnisé par son assureur à hauteur de 28 800 euros, a condamné le CH de Guéret à verser à M. N... une somme complémentaire de 6 380 euros en réparation de ses préjudices, et à la MSA du Limousin une somme de 1 872,92 euros en remboursement de ses débours. Par un arrêt du 20 mars 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel du CH de Guéret, d'une part, et appels incidents de M. N... et de la MSA du Limousin, d'autre part, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. N.... Ce dernier s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Par une décision du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.
Sur la responsabilité du CH de Guéret :
2. Aux termes du I de l'article 1142-1 du code de la santé publique : "Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. La décision du 4 mars 2020 du Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 20 mars 2018 dans son intégralité, pour un motif de procédure tiré de l'absence de soumission aux parties de la fiche d'information de la société d'ophtalmologie sur l'opération de la cataracte, disponible sur Internet, sur laquelle la cour s'était fondée pour écarter un défaut d'information du patient. Par suite, le CH de Guéret n'est pas fondé à soutenir que la cour administrative d'appel de Bordeaux aurait écarté, de manière définitive, le principe de sa responsabilité après avoir estimé qu'il n'a pas commis de faute dans la prise en charge de M. N....
4. M. N... soutient, pour la première fois en appel, que l'existence d'un état inflammatoire préexistant à l'opération de la cataracte réalisée le 22 février 2011 aurait dû conduire le personnel du CH de Guéret à différer l'intervention. Toutefois, l'existence d'une telle faute, qui n'a pas été retenue par l'expert désigné par le tribunal, ne saurait se déduire du seul courrier d'un spécialiste évoquant, plusieurs mois après l'intervention, une " notion d'inflammation du pôle postérieur gauche en angiographie à [s]on avis antérieur (sic) à la chirurgie de la cataracte ".
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, qu'une myopie congénitale telle que celle présentée par M. N... génère, d'une part, une fragilité particulière de l'oeil et, d'autre part, des risques opératoires importants lors d'une opération de la cataracte, de sorte que le type d'anesthésie utilisé doit avoir un effet antalgique suffisant afin d'éviter tout incident lors de l'opération. Si M. N... soutient que le CH de Guéret a commis une faute en choisissant de recourir à une simple anesthésie topique, il résulte de la littérature médicale produite par le CH et également du rapport d'expertise, qu'une telle méthode d'anesthésie est largement pratiquée et qu'elle n'est pas déconseillée pour les patients souffrant, comme M. N..., d'une myopie aggravant le risque opératoire. Le CH de Guéret est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une telle faute dans le choix de la méthode d'anesthésie.
6. Toutefois, l'expert désigné par le tribunal a retenu que la consultation d'anesthésie pré opératoire qui s'est déroulée le 15 février 2011 n'a donné lieu à aucun échange entre le médecin anesthésiste et le chirurgien, et que le dossier médical de M. N... ne contient aucune information concernant les caractéristiques de l'anesthésie, ni sur la présence d'un médecin anesthésiste susceptible de compléter l'anesthésie locale en cas de besoin pendant l'intervention. Il relève, par ailleurs, que les douleurs qu'a subies le patient au cours de l'opération et le mouvement intempestif de la tête auquel elles ont conduit, auraient en grande partie pu être évitées par un échange préalable et en tout cas per opératoire entre le chirurgien et l'anesthésiste. Si le CH de Guéret fait valoir que les douleurs ressenties par M. N... au cours de l'opération ne seraient pas avérées et, à tout le moins, que le patient n'en a pas informé le personnel médical de sorte qu'aucune faute ne saurait lui être reprochée, l'expert a mentionné, à plusieurs reprises, l'existence de signes annonciateurs algiques lors de l'intervention. De telles douleurs, que le personnel médical devait être en mesure d'identifier quand bien même elles n'auraient pas été expressément signalées par le patient, qui a indiqué s'être " cramponné à la table d'opération ", nécessitaient, selon l'expert, un geste de sédation préventif. En outre, il résulte de l'instruction qu'un gramme de paracétamol a été administré à M. N... au cours de l'intervention, ce qui révèle que le personnel médical a estimé nécessaire de réagir, quoique tardivement, à des signes de douleur de l'intéressé. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que le défaut de communication entre les médecins chirurgien et anesthésiste préalablement à l'intervention, ainsi que l'insuffisante réaction au cours de l'intervention pour remédier à un niveau d'anesthésie insuffisant, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité du CH de Guéret.
7. M. N... soutient également que le CH de Guéret a commis des fautes en lui posant, dans les suites immédiates de l'opération, un pansement trop serré sur l'oeil, ce qui aurait causé ou aggravé un phénomène d'issue de vitré. L'expert désigné par le tribunal a retranscrit dans son rapport les propos de M. N... selon lesquels le chirurgien aurait indiqué, le lendemain de l'opération, que ses douleurs étaient dues à la compression créée par le pansement. Toutefois, il ne retient pas l'existence d'une telle faute qui ne saurait, au vu de ces seuls éléments, être regardée comme établie.
8. De la même manière, si M. N... soutient que le CH de Guéret a commis une faute en procédant à des injections d'ozurdex qui seraient déconseillées dans le cas d'une rétine amincie, une telle faute, qui n'a pas davantage été retenue par l'expert, n'est corroborée par aucun élément au dossier.
9. Enfin, M. N... soutient que les nombreuses négligences commises par le CH de Guéret dans la tenue de son dossier médical sont également fautives. Toutefois, à les supposer établies, de telles fautes sont dépourvues de lien de causalité direct avec les préjudices dont l'intéressé demande réparation.
10. M. N... invoque des déformations, un trouble de la vision colorée, un trouble de la vision binoculaire, une gêne à la lumière ainsi que des algies orbito-oculaires gauches qu'il attribue aux complications survenues lors de son opération de la cataracte du 22 février 2011, soit une rupture capsulaire et une issue de vitré suivies d'une atteinte inflammatoire du pôle postérieur du globe oculaire gauche, affectant la rétine et les voies optiques neurosensorielles. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que les fautes commises par le CH de Guéret dans la préparation et le suivi au cours de l'opération de l'anesthésie de M. N... ont rendu possible un mouvement de tête intempestif, dont l'expert retient qu'il est à l'origine de la rupture capsulaire. Si le CH de Guéret soutient que rien ne permet de relier cette rupture capsulaire à la perte de vision qu'a subie M. N..., en se prévalant de divers avis médicaux faisant état des difficultés rencontrées pour en identifier la cause, il ne fournit aucune autre explication que celle à laquelle a abouti l'expert désigné par le tribunal, selon laquelle le dommage de M. N... résulte de l'issue de vitré et du phénomène inflammatoire consécutifs à la rupture capsulaire survenue au cours de l'opération.
11. Il résulte de ce qui précède que le CH de Guéret n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Limoges a retenu que le dommage de M. N... était entièrement imputable aux fautes qu'il a commises lors de sa prise en charge. Par suite, l'ONIAM doit être mis hors de cause ainsi qu'il le demande.
Sur les préjudices :
12. La MSA du Limousin demande le remboursement de débours à hauteur de 3 201,76 euros. Si elle indique avoir exposé 1 328,84 euros correspondant aux frais d'hospitalisation de M. N... les 21 et 22 février 2011, il ne résulte pas de l'instruction que ces frais seraient imputables aux fautes commises par le CH de Guéret au cours de l'intervention réalisée le 22 février 2011. En revanche, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la somme de 985,86 euros qu'elle a exposée pour des frais d'hospitalisation en clinique privée de M. N... afin qu'il soit procédé à une vitrectomie pour tenter de remédier aux conséquences de la première intervention est bien imputable aux fautes commises à l'occasion de celle-ci. Enfin, le montant retenu par les premiers juges de 887,06 euros pour les frais médicaux et pharmaceutiques exposés par la MSA n'est pas contesté en appel. Par suite, la MSA n'est pas fondée à soutenir que l'indemnité de 1 872,92 euros allouée au titre de ses débours serait insuffisante, ni par suite à demander que l'indemnité forfaitaire de gestion soit portée de 224 euros à 1 061 euros.
13. M. N... indique vivre à Soumans (Creuse) et produit une liste détaillée des différents déplacements qu'il a dû effectuer en voiture pour se rendre à Guéret, Limoges et Clermont-Ferrand pour différents rendez-vous médicaux nécessaires à la prise en charge des séquelles résultant de son opération de la cataracte de l'oeil gauche le 22 février 2011 au CH de Guéret. Dans ces conditions, il y a lieu d'allouer à M. N... la somme de 1 000 euros qu'il demande au titre de ses frais de déplacement.
14. L'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire de 100 % du 22 au 23 février 2011 et du 31 mai 2011 au 2 juin 2011, correspondant aux périodes d'hospitalisation de M. N..., et de 50 % pendant un mois correspondant aux suites de son hospitalisation au CH de Guéret. Ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, l'imputabilité aux fautes commises par le CH de Guéret du déficit fonctionnel temporaire total subi par M. N... les 22 et 23 février 2011 ne saurait être retenue dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce déficit n'aurait pas été subi en toute hypothèse. Il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire de M. N... imputable aux fautes du CH, en tenant compte de ce que l'intéressé a nécessairement subi un déficit fonctionnel temporaire qui ne saurait être inférieur à son déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 26 % jusqu'à sa consolidation, en portant la somme allouée à ce titre par le tribunal à 2 100 euros.
15. L'expert a évalué les souffrances endurées par M. N... au cours de son hospitalisation au CH de Guéret à 5 sur 7 et à 3 sur 7 pendant les deux années suivant cette hospitalisation, en tenant compte des douleurs orbito-oculaires ressenties essentiellement en fin de journée. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice de M. N... en l'indemnisant à hauteur de de 8 000 euros.
16. L'expert a relevé que les séquelles de M. N... semblaient désormais fixées et il a évalué son déficit fonctionnel permanent à 26 %, compte tenu d'une vision extrêmement limitée à l'oeil gauche, de métamorphopsies, de photophobie, de troubles de la vision binoculaire, de blépharospasme induit, ainsi que d'algies séquellaires. A la date de consolidation de son état de santé, le 24 octobre 2012, M. N... était âgé de 65 ans. Il y a lieu de porter à 32 000 euros l'évaluation faite par les premiers juges du déficit fonctionnel permanent de M. N.... En revanche le préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité de continuer à se livrer à des activités de minéralogie et d'arboriculture n'est pas établi. Enfin, M. N... ne saurait demander une indemnité spécifique au titre d'une perte de chance d'échapper au dommage réalisé, alors que ses préjudices sont intégralement indemnisés.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice total de M. N... doit être évalué à la somme de 43 100 euros, dont il y a lieu de déduire, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, l'indemnité de 28 800 euros versée par son assureur, au titre d'une " garantie des accidents de la vie ", en réparation d'une partie de ses préjudices. Par suite M. N... est seulement fondé à demander que la somme de 6 380 euros que le CH de Guéret a été condamné à lui verser par le jugement attaqué soit portée à la somme de 14 300 euros, et la requête du CH de Guéret doit être rejetée, de même que les conclusions présentées par la MSA du Limousin par la voie de l'appel incident ainsi que, par suite, celles tendant à ce que le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion soit rehaussé.
Sur les dépens :
18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de maintenir les frais d'expertise, taxés et liquidés à hauteur de 1 500 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Limoges du 10 décembre 2012, à la charge du centre hospitalier de Guéret.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Guéret la somme de 1 500 euros à verser à M. N... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La demande présentée au même titre par la MSA du Limousin, partie perdante dans cette instance, ne peut être accueillie.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 6 380 euros que le CH de Guéret a été condamné à verser à M. N... par le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 juillet 2015 est portée à 14 300 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 juillet 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le CH de Guéret versera à M. N... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Guéret, à M. O... N..., à la mutualité sociale agricole du Limousin et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme M... J..., présidente,
Mme A... E..., présidente-assesseure,
Mme D... I..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
La rapporteure,
Kolia I...
La présidente,
Catherine J...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00842