Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 9 août 2018 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 1900163 du 14 mai 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2020, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 14 mai 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 août 2018 du préfet de la Guyane ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", et dans l'attente, de lui remettre une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois sous les mêmes conditions de remise d'une autorisation provisoire de séjour et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige est entaché d'incompétence de son signataire au motif que la délégation de signature produite par le préfet de la Guyane n'est pas suffisamment claire ;
- il est entaché d'erreurs de fait dès lors qu'elle est mère de quatre et non de trois enfants, et que la cellule familiale ne peut pas se reconstituer dans le pays d'origine dès lors que deux des pères de ses enfants résident régulièrement en France ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en application des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle vit en France depuis 2012, qu'elle a séjourné de manière régulière pensant plusieurs années, qu'elle n'a plus aucune famille proche en Haïti, ses quatre enfants résidant avec elle, que sa fille aînée est de nationalité française et que son père vit en France sous couvert d'une carte de séjour, que son fils âgé de dix-sept ans est scolarisé en France depuis 2014, que sa fille âgée de cinq ans est née en France et le père de celle-ci y réside sous couvert d'une carte de résident et exerce un droit de visite et d'hébergement, et que son frère réside également en Guyane.
Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/010153 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 septembre 2020.
Par une ordonnance du 23 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 janvier 2021 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante haïtienne née le 16 décembre 1977 à Miragoane (Haïti), déclare être entrée irrégulièrement en France le 24 janvier 2012. Elle a sollicité un titre de séjour dont elle a obtenu la délivrance et qui était valable jusqu'au 27 avril 2016. Elle a par la suite sollicité la délivrance d'un nouveau titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 août 2018, le préfet de la Guyane a rejeté sa demande. Mme C... relève appel du jugement du 14 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée en France en janvier 2012 et qu'elle a été mise en possession de plusieurs récépissés de demande de carte de séjour valables du 23 février 2012 au 11 février 2014 en raison de sa demande d'asile faite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis d'un recours intenté devant la Cour nationale du droit d'asile. Par la suite, elle s'est vue délivrer de nouveaux récépissés valables du 4 août au 3 novembre 2014, le temps que le préfet de la Guyane se prononce sur sa demande de titre de séjour d'un an dont elle sera titulaire jusqu'au 27 avril 2016. Elle a également été mise en possession de récépissés valables du 30 octobre 2017 au 29 mai 2018, le temps que le préfet se prononce sur sa demande de titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Ainsi, Mme C... qui réside en France depuis six ans et demi à la date de l'arrêté en litige, a pu séjourner en France en situation régulière pendant plusieurs années. Par ailleurs, elle était mère de trois enfants à la date de l'arrêté en litige du 9 août 2018, sa fille aînée majeure étudiante à l'université de la Guyane et dont le père réside régulièrement en France sous couvert d'un titre de séjour, ayant d'ailleurs obtenu depuis la nationalité française. Son deuxième enfant né en 2003 est également scolarisé en Guyane et était inscrit pour la rentrée scolaire 2018-2019 en seconde dans un lycée professionnel tandis que son autre fille est née en Guyane le 18 janvier 2015 d'un père titulaire d'une carte de résident de dix ans. Ainsi, Mme C..., dont le frère est également titulaire d'un titre de séjour et réside en Guyane, établit la réalité et l'intensité de ses liens personnels et familiaux en France sans être contredite par le préfet de la Guyane qui n'a pas davantage produit de défense en appel qu'en première instance. En outre, la requérante produit des éléments, notamment des courriers de Pôle emploi, qui établissent ses efforts d'intégration professionnelle dans la société française même si ces démarches n'ont pu aboutir à la signature d'un contrat de travail en raison de son état de santé et de la nécessité de s'occuper de ses enfants en bas âge. Au regard de l'ensemble de ces éléments et dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme C... est fondée à soutenir que la décision portant refus de titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, au regard des buts en vue desquels elle a été prise et a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, que le préfet de la Guyane délivre à Mme C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me A... avocate de Mme C... sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir l'indemnité d'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane n° 1900163 du 14 mai 2020 et l'arrêté du 9 août 2018 du préfet de la Guyane sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me A... avocate de Mme C... au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir l'indemnité d'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise pour information au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur ;
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition, le 13 avril 2021.
La présidente-rapporteure,
Evelyne Balzamo
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 20BX03423