Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre Les Abymes à lui verser une indemnité de 120 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un harcèlement moral.
Par un jugement n° 1701200 du 21 mai 2019, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 août 2019 et des mémoires enregistrés les 12 janvier, 12 février et 15 juin 2021, Mme B..., représentée par le cabinet Arvis Avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le CHU de Pointe-à-Pitre à lui verser la somme de 60 000 euros à parfaire, avec intérêts à compter de l'enregistrement de la demande de première instance et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration l'a irrégulièrement placée en congé de longue durée durant 10 mois alors qu'elle était apte à la reprise de ses fonctions ; lors de cette reprise, elle a été affectée le 9 novembre 2012 à la direction de la formation, des conditions de travail et des relations sociales, laquelle a été supprimée le 1er novembre 2013 et intégrée à la direction des ressources humaines ; à l'occasion de cette réorganisation, elle a été " placardisée " sans aucune perspective d'affectation durant un an alors que le CHU recrutait plusieurs agents contractuels ; la proposition de trois postes par lettre du 17 novembre 2014 n'était accompagnée d'aucune fiche de poste et l'administration n'a pas vérifié la compatibilité avec son état de santé malgré sa qualité de travailleuse handicapée, de sorte qu'elle ne pouvait que refuser ; elle a présenté sans succès de multiples candidatures à des postes vacants compatibles avec son état de santé, sur lesquels l'administration a préféré affecter des agents contractuels ; dans le même temps, elle a fait l'objet de comportements abusifs de sa hiérarchie : retrait de bureau, vol d'objets professionnels, coupure de sa ligne téléphonique, changement de serrures sans information préalable, oubli de convocation à un concours professionnel ; cette situation caractérise un harcèlement moral et une discrimination liée à l'état de santé, et le silence de l'administration démontre l'absence d'élément objectif pouvant justifier ces agissements ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle a été victime notamment d'un maintien abusif sans affectation et d'un refus de prise en compte de son état de santé, qui ont eu pour effet d'altérer gravement son état de santé psychologique ;
- alors que son médecin l'avait déclarée apte à la reprise du travail après un congé de longue maladie du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011, l'administration a décidé, sans aucune justification médicale, de la placer en congé de longue durée dans l'attente de l'avis du comité médical, et l'a maintenue dans cette position irrégulière jusqu'au 9 novembre 2012, ce qui constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CHU ;
- le CHU a également commis une faute en la maintenant sans affectation durant plus de deux ans et en ne s'assurant pas de l'adaptabilité des postes à son état de santé, la contraignant à refuser les propositions ;
- si elle a été rémunérée à plein traitement durant son placement irrégulier en congé de longue durée, elle n'a perçu aucune prime au cours de cette période ; elle n'a bénéficié d'aucun avancement à compter de son placement en congé de longue maladie le 1er décembre 2010 ; le préjudice financier résultant des fautes de l'administration sera réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 euros ;
- elle a fait l'objet de multiples changements d'affectation injustifiés avant d'être écartée de ses fonctions durant plusieurs années, et n'a bénéficié d'aucune formation durant cette interruption de sa carrière ; le préjudice porté à sa carrière devra être indemnisé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros ;
- les nombreux manquements de son employeur ont conduit à son placement en arrêt de travail pour maladie professionnelle en raison d'une grave dépression ; elle sollicite une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par des mémoires en défense enregistrés le 31 octobre 2019 et les 11 février et 13 avril 2021, le CHU de Pointe-à-Pitre, représenté par la SCP d'avocats Normand et Associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme B... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu de harcèlement moral ;
- il n'a commis aucune faute ;
- le préjudice financier invoqué correspond à la demande relative à une prétendue perte de chance sérieuse d'être admise au concours interne d'assistant médico-administratif, rejetée par un jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 31 janvier 2017 dont Mme B... n'a pas interjeté appel ;
- aucune pièce n'est produite à l'appui des demandes indemnitaires, qui ont été revues à la baisse ;
- le changement de poste en lien avec l'évolution de l'organisation de l'établissement n'a causé aucun préjudice de carrière à la requérante.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Arvis, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., adjointe administrative en fonctions au CHU de Pointe-à-Pitre depuis 1991, a été affectée au secrétariat médical du laboratoire de microbiologie-parasitologie à partir de novembre 2003. Après un congé de longue maladie d'un an à compter de septembre 2010, suivi d'un congé de maladie de longue durée, elle a été affectée à la direction de la formation, des conditions de travail et des relations sociales à sa reprise du travail en octobre 2012. Cette direction a été supprimée à compter du 1er novembre 2013, et ses services ont été réintégrés au sein de la direction des ressources humaines, ce qui a conduit à des suppressions de postes, dont celui de Mme B..., à laquelle il a été demandé de postuler sur un poste vacant dans une autre direction de l'établissement. Mme B... a insisté sur son souhait d'être maintenue à la direction des ressources humaines avant d'accepter, le 28 mai 2015, un poste d'adjoint administratif aux instituts de formation aux soins infirmiers sur lequel elle a été affectée à titre " ferme et définitif " à compter du 1er juillet 2015. Par une réclamation préalable du 10 juillet 2017, elle a sollicité une indemnité de 120 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait d'un harcèlement moral caractérisé par des refus répétés de la direction des ressources humaines de faire droit à ses vœux d'affectation, par des " intimidations " et par l'envoi tardif d'une convocation qui ne lui a pas permis de se présenter aux épreuves d'un concours. En l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande de condamnation du CHU de Pointe-à-Pitre à lui verser la somme de 120 000 euros. Elle relève appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande, et elle réduit ses prétentions indemnitaires à la somme de 60 000 euros.
Sur les demandes indemnitaires :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. En premier lieu, si Mme B... fait valoir que son congé de longue maladie d'un an aurait été prolongé sans justification médicale par un congé de maladie de longue durée de dix mois, elle n'apporte aucun élément tendant à démontrer que cette prolongation, que le CHU explique par la nécessité d'attendre l'avis du comité médical départemental dont il ne gère pas l'activité, aurait eu pour objet de l'écarter du service.
5. En deuxième lieu, Mme B... soutient avoir fait l'objet de " multiples changements d'affectation injustifiés ". Toutefois, elle n'établit ni n'allègue que les différentes affectations qu'elle détaille sur une période de 22 ans entre 1991 et 2012 lui auraient été imposées, et elle se borne à relever que le poste qu'elle occupait avant son congé de longue maladie avait été confié à un autre agent à son retour en octobre 2012, sans se plaindre de sa nouvelle affectation à la direction de la formation, des conditions de travail et des relations sociales, dont elle a ensuite constamment demandé le maintien dans le cadre de la réorganisation ayant conduit à l'intégration de cette direction dans celle des ressources humaines.
6. En troisième lieu, l'organisation du service relève de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Le poste sur lequel elle avait été affectée en octobre 2012 ayant été supprimé dans le cadre de la réorganisation mise en œuvre au 1er novembre 2013, Mme B... ne disposait d'aucun droit à un maintien à la direction des ressources humaines. Par suite, le fait que ses demandes réitérées d'affectation sur divers postes devenus vacants au sein de cette direction n'ont pas été satisfaites, quand bien même des agents contractuels y auraient été recrutés, ne saurait caractériser des agissements répétés de harcèlement moral.
7. En quatrième lieu, les allégations de Mme B... selon lesquelles elle aurait été " placardisée ", sans aucune perspective d'affectation, sont contredites par les pièces qu'elle-même produit, notamment les lettres du directeur des ressources humaines des 17 novembre 2014 et 7 mai 2015. La première déplore qu'elle n'ait entrepris aucune démarche après un entretien du 17 septembre 2014 au cours duquel il lui avait été demandé de postuler sur des postes ouverts à la mobilité faisant l'objet d'une publicité et lui propose les postes de secrétaire aux instituts de formation, secrétaire du service social ou agent au service des admissions et consultations, dont les fiches sont disponibles au secrétariat de la direction des ressources humaines, en lui demandant de prendre position avant le 1er décembre 2014. La seconde lettre, après un nouvel entretien du 27 avril 2015, prend acte de ses trois refus de poste ainsi que de ses attentes quant à de nouvelles fonctions, c'est-à-dire d'être affectée sur le site du nouveau centre hospitalier Ricou, de conserver ses horaires et de demeurer en lien avec la gestion des ressources humaines. Cette même lettre lui propose un poste d'adjoint administratif au service de santé au travail, et accepte d'adapter ce poste pour tenir compte de son souhait de conserver certaines de ses tâches actuelles, ce qui démontre que contrairement à ce qu'elle affirme, Mme B... n'a pas été laissée sans travail. Si la requérante, qui faisait valoir en première instance qu'elle avait dû décliner les trois premières propositions pour demeurer dans le service dont elle connaissait parfaitement le fonctionnement, reproche en appel à l'administration de ne pas avoir vérifié leur compatibilité avec son état de santé malgré sa qualité de travailleuse handicapée, cette qualité ne lui a été reconnue qu'à compter du 21 décembre 2016, et elle n'admet expressément d'incompatibilité, en se prévalant d'une recommandation du médecin de prévention du 17 octobre 2003 et d'un certificat médical du 8 mars 2012, que pour le poste d'agent au service des admissions et consultations.
8. En cinquième lieu, il est constant que la lettre du 3 juin 2015 convoquant Mme B... à se présenter aux épreuves d'admissibilité au concours interne d'assistant médico-administratif branche " secrétariat médical " organisé le 25 juin 2015 par le CHU de Pointe-à-Pitre lui a été envoyée le jour même de ces épreuves, ce qui ne lui a pas permis de s'y présenter. Le tribunal administratif de la Guadeloupe a d'ailleurs condamné l'établissement à lui verser une indemnité de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral par un jugement du 31 janvier 2017. Cet envoi tardif apparaît comme une simple erreur isolée du service chargé de l'envoi des convocations.
9. En sixième lieu, le vol d'un classeur professionnel en février 2015 dans le bureau de Mme B... et la disparition d'affaires personnelles ne sauraient être imputés à sa hiérarchie, qui a tenu compte de leur signalement par l'intéressée et fait vérifier la sécurité des locaux. Il résulte des déclarations de la requérante à l'expert psychiatre qui l'a examinée le 19 mars 2017 dans le cadre de la reconnaissance de l'imputabilité au service d'un arrêt de travail que le " retrait de bureau " dont elle se plaint fait référence au fait qu'en 2014, son bureau a été occupé par un autre agent durant ses vacances, qu'un changement de serrure a été effectué en sa présence, apparemment à la suite du vol du tampon " Marianne ", et qu'elle a obtenu une clé de son bureau. Les autres allégations relatives à des " tentatives d'intimidation " et à un " complot ", dénoncées par Mme B... dans une lettre du 19 janvier 2016 au directeur général du CHU se concluant par une demande d'intervention pour la " rétablir " dans ses fonctions à la direction des ressources humaines, ne reposent sur aucun élément de fait autre que la suppression du poste occupé en 2012 et le refus de satisfaire ses demandes réitérées d'affectation à la direction des ressources humaines, auxquelles, ainsi qu'il a été dit au point 6, l'administration n'était pas tenue de faire droit.
10. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait soumis au juge par Mme B... ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par suite, la demande relative au préjudice moral invoqué à raison d'un tel harcèlement doit être rejetée.
En ce qui concerne les fautes imputées au centre hospitalier :
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le délai de soumission du cas de Mme B... au comité médical départemental par CHU de Pointe-à-Pitre serait fautif.
12. Si Mme B... soutient avoir été maintenue sans affectation durant plusieurs mois à compter du 1er novembre 2013, c'est-à-dire après la suppression de son poste, cette situation est imputable à la faute qu'elle a commise en s'abstenant de postuler, comme il lui avait été demandé, sur des emplois vacants dans des directions autres que celle des ressources humaines.
En ce qui concerne le préjudice financier :
13. Mme B... n'apporte aucun élément relatif à l'avancement auquel elle aurait pu prétendre, ni aux primes dont elle aurait été privée durant son placement en congé de maladie longue durée, pendant lequel elle percevait intégralement son traitement. Par suite, sa demande d'indemnisation d'un préjudice financier, qui n'avait au demeurant pas fait l'objet d'une demande préalable au CHU sur ce point, ne peut qu'être rejetée.
En ce qui concerne le préjudice de carrière :
14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 que les allégations de Mme B... selon lesquelles elle aurait fait l'objet de multiples changements d'affectation injustifiés avant d'être écartée de ses fonctions durant plusieurs années ne sont pas fondées. Si la requérante affirme en outre n'avoir bénéficié d'aucune formation, elle n'apporte aucun élément tendant à démontrer qu'elle aurait sollicité des formations qui lui auraient été refusées. Par suite, la demande relative à l'indemnisation d'un préjudice de carrière doit être rejetée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
16. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par le CHU de Pointe-à-Pitre à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le CHU de Pointe-à-Pitre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2021.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03385