Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler l'arrêté du 20 avril 2017 par lequel le vice-recteur de l'académie de Mayotte l'a admis à la retraite à compter du 1er septembre 2017, ainsi que le titre de pension du 17 juillet 2017 en tant qu'il a fixé la date d'effet de sa pension le 29 octobre 2013.
Par un jugement n° 1700960, 1800030 du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 20BX00339 du 24 février 2020, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis la requête de M. B..., enregistrée au greffe le 25 janvier 2020, au Conseil d'État.
Par une décision n° 439123 du 14 octobre 2020, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a attribué le jugement de la requête de M. B... à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 janvier 2020, le 2 juin 2020, le 8 janvier 2021, le 22 avril 2021 et le 10 juin 2021, M. B..., représenté par la SCP Touvenin, Coudray et Grevy, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 27 novembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 avril 2017 et le titre de pension du 17 juillet 2017 ;
3°) d'enjoindre au vice-recteur de l'académie de Mayotte de le réintégrer dans le corps des professeurs des écoles ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le vice-recteur a commis une erreur de droit dès lors que l'arrêté du 16 mars 1977 ne fixe pas la limite d'âge à 55 ans ;
- en vertu de l'article 64-1 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, il a été affilié au régime spécial de retraite correspondant à son cadre d'emploi de titularisation et ne relevait plus de l'arrêté du 16 mars 1977 mais du décret du 14 février 2005 relatif au statut du corps des instituteurs de la fonction publique de l'État recrutés à Mayotte ;
- à la date de sa titularisation dans le corps des professeurs des écoles, la limite d'âge applicable à la catégorie sédentaire était de 67 ans en vertu de l'article 1er de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public ;
- à la date à laquelle il a eu 55 ans, le décret de mise en œuvre de la règle fixée par le VII de l'article 64-1 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte n'avait pas encore été adopté, cet article étant trop imprécis quant aux conditions dans lesquelles le droit d'option doit s'exercer et au délai à l'expiration duquel l'agent doit être regardé comme ayant conservé le bénéfice des règles applicables au sein de la collectivité de Mayotte ; par conséquent, seule la limite d'âge de 67 ans pouvait lui être opposée ;
- le constat de l'atteinte de la limite d'âge de 55 ans n'était pas suffisant dès lors que la condition des 30 ans de services prévue par l'article 22 de l'arrêté du 16 mars 1977 n'était pas remplie ;
- les articles 22 et 32 de l'arrêté du 16 mars 1977 méconnaissent les objectifs prévus par les articles 2 et 6 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 qui posent un principe de non-discrimination liée à l'âge ;
- ce n'est qu'à la demande du vice-rectorat qu'il a sollicité son admission à la retraite le 7 avril 2017 ;
- le titre de pension du 17 juillet 2017 est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'aurait dû être prise en compte, pour le calcul de son droit à pension, la totalité des services qu'il a accomplis avant d'avoir atteint sa limite d'âge, soit 65 ans au moins.
Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2020, la Caisse des dépôts et consignations demande sa mise hors de cause de l'affaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de M. B... ne sont pas fondés et que le moyen tiré de l'inconventionalité des dispositions de l'arrêté du 16 mars 1977, qui relève d'une cause juridique distincte, est irrecevable en appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2021, le recteur de l'académie de Mayotte conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;
- la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 ;
- l'ordonnance n° 2012-790 du 31 mai 2012 ;
- l'arrêté n° 77-50/RG du préfet de Mayotte du 16 mars 1977 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Charlotte Isoard,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 29 avril 1956, a exercé des fonctions d'enseignant en tant qu'agent contractuel de la collectivité de Mayotte entre 2002 et 2007. A compter du 1er septembre 2007, il a été nommé stagiaire dans le corps des instituteurs de l'État recrutés à Mayotte, puis a été titularisé dans ce corps le 1er septembre 2009. Il a ensuite été titularisé dans le corps des professeurs des écoles le 1er septembre 2011. Par un arrêté du 20 avril 2017, le vice-recteur de l'académie de Mayotte a admis M. B... à la retraite " pour ancienneté d'âge et de services " à compter du 1er septembre 2017. Par un arrêté du 17 juillet 2017, un titre de pension a été concédé à M. B... retenant le 29 octobre 2013 comme date d'effet de sa pension. M. B... relève appel du jugement du 27 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
2. D'une part, aux termes de l'article 21 de l'arrêté préfectoral du 16 mars 1977 portant création de la caisse de retraite des fonctionnaires et agents des collectivités publiques de Mayotte : " Les bénéficiaires du présent arrêté ne peuvent prétendre à pension qu'après avoir été préalablement admis à faire valoir leurs droits à la retraite soit d'office soit sur leur demande (...) ". Aux termes de l'article 22 du même arrêté : " I.- Le droit à pension pour ancienneté de service est acquis lorsque se trouve remplie, à la cessation de l'activité, la double condition de cinquante-cinq ans d'âge et de trente ans de services effectifs (...) ". Enfin, le 3 de l'article 32 du même arrêté dispose que : " Les agents peuvent bénéficier à leur demande d'une prolongation d'activité de deux ans renouvelable dans la limite de cinq ans ayant pour effet de reculer de 55 à 60 ans la limite d'âge. La demande doit être formulée au moins 3 mois avant la limite d'âge normal de 55 ans (...) ".
3. D'autre part, aux termes du VII l'article 64-1 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte : " Les agents intégrés dans un corps ou cadre d'emploi en application du II et III (...) sont affiliés, au jour de leur intégration ou de leur titularisation et au plus tôt à compter du premier jour du sixième mois qui suit la publication de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, au régime spécial de retraite correspondant au corps ou cadre d'emplois d'intégration ou de titularisation. (...) Ces agents conservent, à titre personnel, le bénéfice de l'âge auquel ils peuvent liquider leur pension et de la limite d'âge applicables antérieurement à leur affiliation au régime spécial précité (...) ". Ces dispositions ont été modifiées par l'ordonnance du 31 mai 2012, qui a prévu que ces agents pouvaient opter pour l'âge d'ouverture des droits et la limite d'âge de leur corps d'intégration.
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que demeure applicable aux agents de la collectivité de Mayotte intégrés dans la fonction publique d'État la limite d'âge fixée par les dispositions combinées des articles 22 et 32 de l'arrêté du 16 mars 1977. Si l'ordonnance du 31 mai 2012 a modifié ces dispositions afin de permettre aux agents concernés d'opter pour la limite d'âge de leur corps d'intégration, il est constant que cette possibilité n'était pas ouverte à M. B... lorsqu'il a atteint la limite d'âge de 55 ans fixée par l'arrêté du 16 mars 1977, soit le 29 avril 2011.
5. Toutefois, M. B... invoque pour la première fois devant la cour la méconnaissance, par l'arrêté du 16 mars 1977, des principes posés par le droit de l'Union européenne, notamment le principe de non-discrimination. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de la relance, le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union européenne par des dispositions applicables aux agents de Mayotte, qui ne relève pas d'une cause juridique distincte de celle des moyens invoqués en première instance, n'est pas irrecevable en appel.
6. La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet, en vertu de ses articles 1 et 2, de proscrire les discriminations professionnelles fondées notamment sur l'âge. Une limite d'âge inférieure au droit commun constitue une différence de traitement selon l'âge affectant les conditions d'emploi et de travail au sens des articles 1 et 2 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000. Toutefois, une différence de traitement peut être justifiée dans trois hypothèse précisées par le paragraphe 5 de l'article 2 de cette directive, qui vise les " mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui. ", par le paragraphe 1 de l'article 4, qui prévoit que les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement ne constitue pas une discrimination " lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. ", et par le paragraphe 1 de l'article 6, permettant d'instituer des différences de traitement " lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. ".
7. En l'espèce, alors qu'aucun des objectifs cités ci-dessus ne justifie la différence de traitement, issue des dispositions de l'article 64-1 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte avant leur modification par l'ordonnance du 31 mai 2012, entre les anciens agents de la collectivité de Mayotte et les agents de la fonction publique, le recteur de l'académie de Mayotte n'invoquant d'ailleurs en défense aucune finalité expliquant cette différence de traitement, il appartenait au vice-recteur de Mayotte d'écarter les règles issues de l'article 22 de l'arrêté du 16 mars 1977 prévoyant une limite d'âge à 55 ans. Ainsi, il ne pouvait légalement se fonder sur " l'ancienneté d'âge " qu'aurait atteint M. B... pour prononcer son admission à la retraite par l'arrêté du 20 avril 2017. Cet arrêté est donc, pour ce motif, entaché d'illégalité. Par conséquent, l'arrêté du 17 juillet 2017 concédant un titre de pension à M. B..., qui a été pris pour l'application de l'arrêté du vice-recteur de Mayotte du 20 avril 2017, doit être regardé comme dépourvu de base légale.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés des 20 avril et 17 juillet 2017.
Sur l'injonction :
9. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au recteur de l'académie de Mayotte de réintégrer M. B... dans le corps des professeurs des écoles, sous réserve qu'il n'ait pas atteint la limite d'âge fixée pour ce corps, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 27 novembre 2019, l'arrêté du vice-recteur de Mayotte du 20 avril 2017 et le titre de pension du 17 juillet 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Mayotte de procéder à la réintégration de M. B... dans le corps des professeurs des écoles, dans les conditions fixées au point au 9, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, et à la caisse des dépôts et consignations.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Mayotte et au ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 28 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2021.
La rapporteure,
Charlotte IsoardLa présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03481 2