Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 496 815 euros, assortie des intérêts avec capitalisation, subsidiairement d'ordonner une expertise et de condamner le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires à lui verser une provision de 30 000 euros.
Par un jugement n° 1805417 du 4 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2020, M. A..., représenté par Me Labrunie, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
3°) de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 496 815 euros en réparation des préjudices subis ;
4°) dans le cas où une expertise serait ordonnée, de mettre les frais d'expertise à la charge du comité d'indemnisation des essais nucléaires et de le condamner à lui verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 20 000 euros ;
5°) de condamner le comité d'indemnisation des essais nucléaires à majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts au taux légal et capitalisés à compter de la réception de sa première demande d'indemnisation ;
6°) de mettre à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- les conditions de lieux, de temps et de pathologie posées par la loi du 5 janvier 2010 modifiée par celle du 28 février 2017 pour bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie sont remplies ;
- sa pathologie ne résulte pas exclusivement d'une cause étrangère alors que huit essais nucléaires ont été effectués durant son séjour, que sa croissance n'était pas terminée et qu'à la suite d'un cyclone des particules de plutonium ont été libérées sur le site ;
- le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ne peut établir avec certitude qu'il a été exposé à une dose inférieure à 1 mSv par an et ne peut dès lors renverser la présomption de causalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à une mesure d'expertise avant dire droit.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 11 février 1965, a effectué son service militaire en Polynésie française entre le 3 juin 1985 et le 12 novembre 1986. Un cancer de la thyroïde lui a été diagnostiqué en 2014, à l'âge de 49 ans. Il a présenté une demande d'indemnisation au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui l'a rejetée par une décision du 11 octobre 2018. M. A... relève appel du jugement du 4 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 496 815 euros en réparations des préjudices que lui ont causés les essais nucléaires français.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi (...) ". Selon l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie
radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa du V du même article, dans sa rédaction applicable au litige : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
4. Au nombre des maladies radio-induites mentionnées à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, dont la liste est annexée au décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, figure le cancer du corps thyroïde pour une exposition pendant la période de croissance. Pour refuser l'indemnisation, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires s'est fondé sur le dépassement par l'intéressé de l'âge limite de 19 ans, au-delà duquel il considère que la croissance est achevée pour l'appréciation de la radio-inductabilité du cancer du corps thyroïde. Il résulte de l'instruction que le bien-fondé de cette limite est justifiée notamment par les courbes de croissances établies par l'Inserm sur la base d'une étude menée en 2018, qui retient que la croissance des garçons se termine en général entre 16 et 17 ans, et des études scientifiques menées après l'accident de Tchernobyl, dont il résulte que le facteur de radio-induction se manifeste chez les adolescents avant 16 ans, la sensibilité aux effets cancérigènes n'étant plus significative au-delà. Comme le fait valoir M. A..., il n'est pas impossible que pour certains individus la croissance se poursuive au-delà de l'âge de 19 ans. Toutefois, en se bornant à produire un certificat médical établi le 15 janvier 2020 par son médecin traitant qui indique, au vu d'une simple photographie de cette époque et sans se fonder sur une courbe de croissance, que l'évolution de la proportion tronc/membres inférieurs permet d'affirmer que la croissance de l'intéressé n'était pas terminée en 1986, M. A... n'établit pas que, lors de son affectation en Polynésie française en 1985 à l'âge de vingt ans, sa croissance n'était pas terminée. La seule circonstance que d'autres personnes, âgées de 19 ans au moment de leur séjour dans une zone contaminée, auraient obtenu une indemnisation n'est pas de nature à démontrer que sa croissance n'était pas achevée en 1985. Dans ces conditions, dès lors que sa croissance devait être regardée comme terminée à la date de son affectation en Polynésie française, la pathologie dont souffre M. A... ne fait pas partie de celles figurant sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Ainsi, sa situation ne relève pas de la présomption de causalité instituée par la loi du 5 janvier 2010 et il ne peut pas bénéficier de la réparation intégrale du préjudice qu'elle prévoit. Dans ces conditions, M. A... ne peut utilement se prévaloir de ce que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires n'apporterait pas les éléments de nature à renverser la présomption de causalité.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit utile d'ordonner l'expertise sollicitée, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires du 11 octobre 2018. Sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 20 janvier 2022.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLa présidente,
Fabienne Zuccarello
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX00106 2