Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... et Mme C... A... ont demandé par des requêtes séparées au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2020 par lesquels le préfet de la Haute-Vienne a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par des jugements n°s 2001822 et 2001825 du 25 février 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les demandes de M. A... et de Mme A....
Procédure devant la cour :
I- Par une requête n° 21BX01390 et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2021 et le 1er décembre 2021, M. A..., représenté par Me Malabre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001822 du 25 février 2021 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2020 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour et de travail, à titre subsidiaire, de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 100 euros par jour passé ce délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il justifie participer à l'entretien et à l'éducation de son enfant français né le 28 septembre 2019, en produisant des attestations de la mère de l'enfant, de nombreuses factures d'achats faits pour lui, dont les frais de crèche, et des virements mensuels réguliers de sommes à la mère depuis juillet 2020, sachant qu'il n'avait pas d'activité professionnelle avant mai 2020 ; le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Limoges a été saisi pour fixer le droit de visite et d'hébergement du père, ainsi que le montant de sa contribution financière ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison de ce qu'il est présent en France depuis 8 ans, vit avec sa compagne guinéenne entrée en France en 2015, avec qui il a un logement ; trois de leurs cinq enfants sont nés en France et les plus grands sont scolarisés ; il est père d'un enfant français ; il a bénéficié de titres de séjour en raison de son état de santé, ce qui lui a permis de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille et se trouve, de ce fait, intégré dans la société française ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi :
- elles sont illégales en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/009950 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 juin 2021.
Par une ordonnance du 3 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2022 à 12h00.
II- Par une requête n° 21BX01388 enregistrée le 25 mars 2021, Mme A..., représentée par Me Duponteil, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001825 du 25 février 2021 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2020 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de ce qu'elle est présente en France depuis 2015, vit avec son compagnon guinéen entré en France en 2012, avec qui elle a un logement ; trois de leurs enfants sont nés en France et les plus grands sont scolarisés ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour les mêmes raisons ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle " entend reprendre intégralement les vices concernant la légalité externe et interne précédemment exposés dans le cadre du refus de séjour " ;
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, car elle a dû quitter son pays dans des conditions difficiles et sa vie serait en danger en cas de retour ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour les motifs exposés lors de sa demande d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/009953 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 juin 2021.
Par une ordonnance du 3 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2022 à 12h00.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Evelyne Balzamo, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, est entré sans visa en France le 26 août 2012 selon ses déclarations, et a présenté une demande d'asile, rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 3 mai 2015. Le 22 novembre 2016, M. A... a demandé au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour en raison de son état de santé. Entre temps, sa concubine, Mme A..., également ressortissante guinéenne, l'a rejoint sous couvert d'un visa de court séjour en octobre 2015, et a présenté une demande d'asile, rejetée en dernier lieu par la CNDA le 19 juin 2018. Par deux arrêtés du 20 juillet 2018, le préfet de la Haute-Vienne a, concernant la demande de M. A..., refusé de lui accorder un titre de séjour en qualité d'étranger malade, puis a prononcé à l'encontre de chacun d'eux une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 17 décembre 2019, M. A... a déposé une demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, tandis que Mme A... a sollicité pour la première fois le 16 juin 2020 un titre de séjour en raison de sa vie privée et familiale en France. Par deux arrêtés du 16 novembre 2020, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de leur accorder un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... et Mme A... relèvent appel des jugements n° 2001822 et 2001825 du 25 février 2021, par lesquels le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes d'annulation de ces arrêtés.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 21BX01388 et 21BX01390 portent sur la situation d'un couple et présentent à juger des questions similaires. Il y a lieu, par suite, de joindre ces deux requêtes afin qu'il soit statué par un même arrêt.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui résidait en France depuis plus de huit ans au jour de l'arrêté contesté, est le père d'un enfant français, Balamine Ali A..., né le 28 septembre 2019, d'une liaison avec Mme E..., ressortissante française rencontrée en 2013. M. A... établit qu'il participe financièrement à l'entretien de Balamine Ali A... depuis le mois de juillet 2020, principalement par le versement d'une pension alimentaire de cent quinze euros. Il produit également deux attestations de la mère témoignant qu'il s'occupe régulièrement de Balamine Ali A..., le récupère à la crèche et le garde jusqu'à ce qu'elle termine son travail, et passe du temps avec lui un weekend sur deux. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... dispose d'un logement depuis 2016, dans lequel il vit avec Mme A... et trois de leurs enfants, et subvient aux besoins du foyer par son travail. S'il est constant que M. A... et Mme A... ont deux enfants en B... nés en 2010 et 2012, il ressort toutefois de ce qu'il a quitté le pays alors qu'ils étaient très jeunes et qu'il rapporte ne pas savoir où ils se trouvent, qu'il n'a pas noué de liens particuliers avec eux. Ainsi, il ressort de l'ensemble des éléments exposés, notamment de la durée de sa présence en France, de l'existence d'une vie privée et familiale en France ancienne et plus récemment intense et stable, et de son intégration dans la société française par le travail, que l'essentiel de ses intérêts se situent désormais en France. Dès lors, le préfet de la Haute-Vienne a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé, et a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des motifs retenus.
5. Il ressort des pièces du dossier, que Mme A... avait une relation avec M. A... en B... de 2009 à 2012. Elle établit avoir quitté la B... en 2015 à l'âge de vingt-trois ans et avoir rejoint M. A... en France au plus tard en 2016, soit depuis plus de quatre ans au jour de l'arrêté contesté. Mme A... a par la suite donné naissance en France à trois enfants issus de son couple avec M. A..., dont les deux plus âgés sont scolarisés et le plus jeune n'était âgé que de onze mois au jour de l'arrêté contesté. Dès lors, en refusant à Mme A... un titre de séjour, alors que la cellule familiale ne pourra se reconstituer en B..., eu égard à ce qui a été dit au point précédent, le préfet de la Haute-Vienne a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que M. A... et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 16 novembre 2020 du préfet de la Haute-Vienne refusant de leur délivrer un titre de séjour, leur faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi. Ils sont dès lors fondés à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle des arrêtés du 16 novembre 2020 du préfet de la Haute-Vienne.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement des circonstances de droit ou de fait, qu'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " soit accordée aux intéressés. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne, de procéder à la délivrance de tels titres, dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte et de les munir dans cette attente d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. A... et Mme A... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leurs avocats peuvent se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Malabre, avocat de M. A..., et Me Duponteil, avocate de Mme A..., de la somme de 1 200 euros à chacun.
DECIDE :
Article 1er : Les jugements n° 2001822 et 2001825 du tribunal administratif de Limoges du 25 février 2021 et les arrêtés du 16 novembre 2020 du préfet de la Haute-Vienne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne, sous réserve que des circonstances de droit ou de fait nouvelles n'y fassent pas obstacle, d'accorder à M. A... et à Mme A..., dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de les munir dans cette attente d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Malabre une somme de 1 200 euros et à Me Duponteil une somme de 1 200 euros, au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
M. Michael Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition le 8 mars 2022.
L'assesseur le plus ancien,
Nicolas NormandLa présidente,
Evelyne Balzamo Le greffier,
Fabrice Phalippon
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N°s 21BX01388, 21BX01390