Vu la procédure suivante :
Par une requête, des pièces et des mémoires, enregistrés les 7 avril 2020, 17 avril 2020, 8 juin, 2020, 19 août 2020, 4 décembre 2020 et un mémoire récapitulatif enregistré le 13 septembre 2021, la société par actions simplifiée de distribution Artel (Sodiart), représentée par Me Courrech, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 11 février 2020 par lequel le maire de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création, à Castelsarrasin, 1 400 route de Moissac, d'un espace culturel à l'enseigne " E. Leclerc " par l'extension de 950 mètres carrés de la surface de vente de l'ensemble commercial comprenant un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " de 4 330 mètres carrés de surface de vente, une parapharmacie de 160 mètres carrés de surface et une galerie marchande de quatre boutiques pour un total de 299 mètres carrés de surface de vente, pour porter la surface commerciale à 5 739 mètres carrés ;
2°) d'enjoindre à la commune de Castelsarrasin de statuer à nouveau sur sa demande après un nouvel avis de la Commission nationale d'aménagement commercial.
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient la commission nationale en défense, un extrait Kbis a bien été produit dans le dossier examiné par la commission départementale d'aménagement commercial ; en outre, la commission, en émettant un avis défavorable sur ce projet au fond, a nécessairement estimé que sa demande était formellement recevable ;
- le recours présenté devant la Commission nationale d'aménagement commercial par la société Bertri contre l'avis favorable émis sur le projet par la commission départementale d'aménagement commercial de Tarn-et-Garonne aurait dû être déclaré irrecevable, dès lors que, comme l'indique le rapport d'instruction, la société exploitante d'un magasin à dominante alimentaire sur la zone de chalandise n'indique pas en quoi le projet de création d'un espace culturel impactera son activité de supermarché et donc qu'elle ne justifie pas de sa qualité et de son intérêt à contester le projet en cause ;
- contrairement à ce que laisse entendre la commission en relevant notamment que le terrain d'assiette du projet est situé à 3,5 kilomètres du centre-ville de Castelsarrasin et 5 kilomètres de celui de Moissac, la localisation en centre-ville n'est pas une condition impérative du respect des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce, d'autant que le projet se situe à équidistance des centres-villes de Moissac et Castelsarrasin, répond ainsi aux attentes des consommateurs résidant sur les deux communes les plus importantes de la zone de chalandise et alors qu'aucun local d'une telle surface n'est disponible dans le centre-ville de la commune ;
- la commission nationale ne pouvant se fonder sur le règlement d'un plan local d'urbanisme intercommunal qui n'était pas arrêté à la date à laquelle la commission s'est prononcée ;
- l'appréciation par la commission de l'évolution démographique de la zone de chalandise est erronée, notamment en ce qui concerne la commune de Moissac dont la population a connu entre 2009 et 2019 une croissance de 2,4 % et non une diminution de 20 % comme l'indique la commission dans son avis ;
- comme le confirme la jurisprudence, l'attribution de subvention au titre du fonds FISAC ou la sélection de communes au titre du plan " Action cœur de ville " n'apparaissent pas par elles même de nature à justifier le refus du projet ;par ailleurs, à supposer même, comme l'affirme la commission nationale, que le projet entre en concurrence avec la seule librairie implantée sur la commune de Moissac, cela ne signifie pas pour autant que le projet serait susceptible de nuire à l'animation commerciale de toute une ville ;en outre, la création d'une moyenne surface spécialisée en produits culturels sur une zone de chalandise où il n'en existe strictement aucune est de nature à réduire l'évasion commerciale et ce dans l'intérêt de l'ensemble du commerce local ;
- si la commission estime que des efforts supplémentaires d'intégration dans le paysage auraient dû être envisagés notamment au regard de l'implantation du site en entrée de ville et de sa proximité avec le canal latéral à la Garonne et que la pérennité des aménagements paysagers n'est pas garantie, le projet consiste en une réduction de l'imperméabilisation de 5 500 mètres carrés, notamment des places de stationnement, et une augmentation des espaces verts de plus de 5 700 mètres carrés, la plantation d'une centaine d'arbres ;
- dès lors que la commission départementale de Tarn-et-Garonne a autorisé expressément par une décision définitive l'exploitation d'un hypermarché de 4 330 mètres carrés de surface de vente, le débat sur les modalités de prise en compte de l'extension de 920 mètres carrés au titre de la loi LME de 2008 relevée par la commission dans son avis n'a plus lieu d'être, d'autant que le projet consiste en la création d'une moyenne surface autonome et que la commission a omis de prendre en considération la suppression de l'espace culturel de 508 mètres carrés prévu en 2013. Ainsi, les extensions réalisées en franchise en 2008 sont créatrices de droits acquis et ne peuvent être aujourd'hui remises en cause.
Par un mémoire enregistré le 11 mai 2020, la Commission nationale d'aménagement commerciale, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que la société Sodiart ne produit pas un extrait Kbis récent permettant de justifier de son identité et de sa capacité d'ester en justice ;
- les moyens invoqués ne sont en tout état de cause pas fondés.
Un mémoire, enregistré le 15 juillet 2020, a été présentée par la commune de Castelsarrasin, représentée par Me Besiers.
Elle fait valoir qu'elle a émis un avis favorable au projet car elle était en situation de compétence liée.
Par un mémoire enregistré le 29 octobre 2020, la société Marchevirque, venant aux droits de la société Bertri, représentée par Me Jauffret, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Sodiart une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que son recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial était recevable et que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Carteret, représentant la société Sodiart.
Une note en délibéré présentée pour la société Sodiart, représentées par la SCP Courrech, a été enregistrée le 3 février 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée de distribution Artel (Sodiart) a déposé le 8 juillet 2019 une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un espace culturel à l'enseigne " E. Leclerc " et tendant à procéder ainsi à l'extension de 950 mètres carrés de la surface de vente d'un ensemble commercial situé à Castelsarrasin, 1 400 route de Moissac, comprenant un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " de 4 330 mètres carrés de surface de vente, une parapharmacie de 160 mètres carrés et une galerie marchande de quatre boutiques pour un total de 299 mètres carrés de surface de vente, pour porter la surface de vente de cet espace commercial à un total de 5 739 mètres carrés. Le 3 septembre 2019, la commission départementale d'aménagement commercial de Tarn-et-Garonne a donné un avis favorable au projet. La Commission nationale d'aménagement commercial, saisie par la société Bertri d'un recours contre cet avis de la commission départementale, a émis un avis défavorable au projet le 21 novembre 2019. Par un arrêté du 11 février 2020, le maire de Castelsarrasin a refusé de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. La société par actions simplifiée Sodiart demande à la cour d'annuler ce refus de permis de construire.
Sur la régularité de la saisine de la Commission nationale d'aménagement commercial :
2. Aux termes de l'article L. 752-17 du code de commerce : " Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, (...) tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet (...) peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial (...) ". Selon l'article R. 752-31 du même code : " (...) A peine d'irrecevabilité, le recours est motivé et accompagné de la justification de la qualité et de l'intérêt donnant pour agir de chaque requérant (...) ". Enfin, en vertu de l'article R. 752-3 du code de commerce : " (...) constitue la zone de chalandise d'un équipement faisant l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale l'aire géographique au sein de laquelle cet équipement exerce une attraction sur la clientèle. Elle est délimitée en tenant compte notamment de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, des temps de déplacement nécessaires pour y accéder, de la présence d'éventuelles barrières géographiques ou psychologiques et de la localisation et du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants ". Pour l'application de l'article L. 752-17 du code de commerce, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise d'un projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, a intérêt à former un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'autorisation donnée à ce projet par la commission départementale.
3. La société Sodiart soutient que la société Bertri, aux droits de laquelle vient régulièrement la société Marchevirque, n'avait pas intérêt à agir devant la Commission nationale d'aménagement commercial dès lors que le magasin qu'elle exploite est à dominante alimentaire, alors que le projet contesté consiste en la création d'un espace culturel. Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté que le magasin à l'enseigne " Intermarché " exploité par la société Bertri à Castelsarrasin, est situé dans la zone de chalandise telle que définie par le pétitionnaire. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la société Sodiart, la société Bertri, exploite à Castelsarrasin un supermarché d'une surface de vente de 2 800 mètres carrés comprenant plusieurs rayons proposant divers biens tels que des livres, de la carterie, des produits informatiques et téléphoniques et des jeux vidéos, et que le chiffre d'affaires de la vente de ces produits constitue une part qui ne peut être regardée comme négligeable du chiffre d'affaires total réalisé par la société Bertri. Dès lors, eu égard au caractère généraliste des produits commercialisés, le projet en litige est de nature à exercer une attraction sur la clientèle de la société Bertri. Par suite, le moyen tiré de ce que la Commission nationale d'aménagement commercial n'aurait pas été régulièrement saisie faute de justification de l'intérêt pour agir de la société Bertri, doit être écarté.
Sur l'appréciation de la Commission nationale d'aménagement commercial :
4. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre (...)".
5. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, ajoutées par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes.
6. Il ressort des pièces du dossier, que la Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis défavorable au projet en cause, aux motifs que ce projet aurait un effet négatif sur l'animation de la vie urbaine de l'agglomération de Moissac au regard de la distance par rapport au centre-ville, du déclin démographique significatif de cette ville immédiatement voisine du terrain d'assiette du projet, que la précédente extension de 892 mètres carrés de l'ensemble commercial réalisée en 2008 n'a pas été autorisée alors que le projet en cause ne peut être regardé comme une régularisation implicite de cette extension non autorisée et que ce projet était insuffisant en matière d'intégration dans le paysage au regard de l'implantation du site en entrée de ville et à proximité du canal latéral de la Garonne.
7. En premier lieu, s'agissant de l'impact du projet sur l'animation urbaine, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'implantation du projet se situe à trois kilomètres du centre-bourg de Castelsarrasin et à cinq kilomètres du centre-ville de Moissac. Or cette dernière commune accueille des commerces de proximité dont une librairie, deux magasins de fournitures d'équipements informatiques et un magasin d'électroménager intégrés au tissu urbain et qui seraient fragilisés par l'espace culturel envisagé. La zone d'implantation du projet, située dans une zone commerciale à proximité d'activités industrielles et logistiques, n'est pas intégrée au tissu urbain existant et se caractérise par l'absence d'habitations à proximité immédiate et d'équipements publics. En outre, la commune de Moissac, dont le taux de vacances des commerces atteint près de 30 %, a obtenu des subventions au titre du fond FISAC, ce qui révèle la grande fragilité et le déclin du tissu commercial de la commune lequel ne serait donc pas préservé en cas d'implantation d'un centre culturel périphérique. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait sérieusement étudié les possibilités d'implantation dans le tissu urbain notamment de la commune de Castelsarrasin. Au demeurant, la zone d'activité dans laquelle elle envisageait de s'implanter est peu desservie par les transports en commun à raison de seulement deux allers retours journaliers comme le relèvent les avis des ministres concernés et le rapport de la direction départementale des territoires devant la commission départementale. Enfin, il ressort également des pièces du dossier que le projet conduira nécessairement au renforcement d'un pôle commercial de périphérie, au détriment du centre-ville de Moissac, mais également au détriment des centres-villes des communes environnantes. Par suite, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée créerait une évasion de la clientèle vers les communes beaucoup plus éloignées d'Agen et de Montauban, la commission nationale n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en estimant par ce premier motif, que le projet en cause risquait de compromettre la réalisation de l'objectif d'aménagement du territoire en portant atteinte à l'animation de la vie urbaine.
8. En second lieu, si la société Sodiart soutient que la Commission nationale d'aménagement commercial aurait commis une erreur de droit en se fondant sur l'absence de régularisation, par les décisions des commissions départementales d'aménagement commercial de 2010 et 2013, des extensions de surfaces de vente réalisées en 2008, ainsi qu'une erreur quant à l'appréciation de l'intégration paysagère du projet, en tout état de cause, il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle s'était uniquement fondée sur le motif tiré de ce que le projet en cause risquait de compromettre la réalisation de l'objectif d'aménagement du territoire en portant atteinte à l'animation de la vie urbaine.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée en défense, que les conclusions de la société Sodiart tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 février 2020 par lequel le maire de Castelsarrasin a rejeté sa demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Sodiart, qui est la partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros à verser à la société Marchevirque, venant au droit de la société Bertri, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Sodiart est rejetée.
Article 2 : La société Sodiart versera la somme de 1 500 euros à la société Marchevirque en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sodiart, à la société Marchevirque, à la commune de Castelsarrasin et à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente - assesseure,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.
La rapporteure,
Fabienne ZuccarelloLa présidente,
Marianne HardyLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX01273