Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner solidairement le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser une indemnité d'un montant total de 15 997,80 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'une infection nosocomiale.
Dans la même instance, la caisse nationale militaire de sécurité sociale a demandé
au tribunal de condamner le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis à lui rembourser la somme de 59 655,56 euros, avec intérêts et capitalisation.
Par un jugement n° 1801034 du 5 novembre 2019, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 janvier 2020 et un mémoire enregistré le 25 mai 2021, M. B..., représenté par la SCP Fliche, Blanché et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner solidairement le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM à lui verser une indemnité d'un montant total de 15 997,80 euros ;
3°) de mettre à la charge solidaire du groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et de la SHAM les frais d'expertise taxés à 1 200 euros ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- dès lors que les prélèvements du 22 mai 2015 étaient négatifs et que ceux
du 26 mai ont montré un staphylocoque doré, il est établi que l'infection n'était pas présente à l'admission à l'hôpital le 6 mai 2015 ; l'infection ne s'est pas déclarée au niveau de la fracture mais des fixateurs ; la circonstance, relevée par l'expert judiciaire, que l'infection sur fiche de fixateur est une complication, qu'il est très difficile d'éviter, est sans incidence sur la qualification d'infection nosocomiale ; l'existence d'une cause étrangère n'est pas démontrée et ne saurait résulter de la fréquence de la complication septique ; si le tribunal a jugé, en se fondant sur l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), que la cause de l'infection était une colonisation habituelle d'une fiche de fixateur externe par un staphylocoque doré " probablement présent au niveau nasal du patient ", il ne s'agit que d'une hypothèse qui n'est pas de nature à mettre en cause l'absence d'infection le 22 mai 2015 ; c'est ainsi à tort que le tribunal a rejeté sa demande ;
- il a exposé 975,10 euros de frais de déplacement et de péage pour se rendre aux réunions d'expertise à Tours et à Castres ;
- il sollicite les sommes de 4 022,70 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert judiciaire, de 8 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 2 sur 7, et de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique de 1 sur 7.
Par des mémoires enregistrés le 4 avril 2020 et le 23 septembre 2021, la caisse nationale militaire de sécurité sociale, représentée par Me Vergeloni, demande à la cour de condamner solidairement le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM à lui verser la somme
de 59 655,56 euros avec intérêts à compter du 22 janvier 2019 et capitalisation, et de mettre à la charge solidaire du groupe hospitalier et de la SHAM les sommes de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que ses débours définitifs en lien avec l'infection se sont élevés
à 59 655,56 euros, ainsi qu'il en est justifié par l'attestation d'imputabilité de son médecin conseil.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2021, le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête et de la demande de la caisse nationale militaire de sécurité sociale, et demandent la réformation du jugement en tant qu'il a mis les frais d'expertise à la charge du groupe hospitalier.
Ils soutiennent que :
- dès lors qu'il résulte des deux rapports d'expertise que l'infection n'est pas la conséquence des actes de soins ou du séjour dans l'environnement hospitalier, mais de la fracture ouverte qui a nécessité l'hospitalisation, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes ;
- à titre subsidiaire, les experts missionnés par la CCI ont estimé que les seules conséquences anormales de l'infection, compte tenu de la gravité de la pathologie initiale, étaient l'hospitalisation du 29 octobre 2015 pour nettoyage et le traitement antibiotique pris jusqu'à
mi-décembre, et ont retenu un déficit fonctionnel temporaire en rapport avec l'infection de 50 % du 28 au 30 octobre 2015 et de 10 % du 31 octobre au 15 décembre 2015, de sorte que seuls les préjudices et les débours correspondants pourraient être admis, tous les autres préjudices étant en lien avec la gravité de la fracture ;
- dès lors qu'aucune circonstance particulière ne le justifiait, c'est à tort que le tribunal a mis les frais d'expertise à la charge du groupe hospitalier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dunyach, représentant M . B... et de Me Macicior, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 mai 2015, M. B... a fait une chute d'une échelle à l'origine d'une fracture comminutive ouverte du tiers distal des deux os de la jambe droite avec trois refends articulaires. Lors d'une intervention chirurgicale réalisée le même jour à l'hôpital de Rochefort relevant du groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis, une broche d'ostéosynthèse a été mise en place dans le péroné, ainsi qu'un fixateur tibio-calcanéen avec deux fiches dans le calcanéum, trois dans le tibia et une dans le premier métatarsien. L'évolution s'est compliquée d'une infection à staphylocoque doré au niveau des fiches supérieures du fixateur externe, à l'origine d'un retard de consolidation. La demande présentée par M. B... devant la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Poitou-Charentes a été rejetée par un avis du 2 juin 2016 après la réalisation d'une expertise concluant que l'infection ne présentait pas de caractère nosocomial dès lors qu'il s'agissait d'une colonisation " habituelle " d'une fiche de fixateur par un staphylocoque doré provenant probablement de la cavité nasale du patient, et que la fracture ouverte était susceptible de complications infectieuses. Le 23 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, saisi par M. B..., a ordonné une expertise, réalisée le 26 juillet 2017, dont le rapport a également conclu que l'infection ne saurait être considérée comme nosocomiale, s'agissant d'une complication fréquente de la pose d'un fixateur " qu'il est très difficile d'éviter ". Après avoir présenté à la SHAM et au groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis des demandes préalables restées sans réponse, M. B... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à leur condamnation solidaire à lui verser une indemnité de 15 997,80 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de l'infection. Il relève appel du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal a rejeté cette demande au motif que l'infection ne trouvait pas son origine dans un acte de soin, mais dans la fracture ouverte. Par leur appel incident, le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il a mis les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés à la charge du groupe hospitalier.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
3. Il résulte de l'instruction qu'aucune infection n'était présente ou en incubation lors de l'admission de M. B... à l'hôpital le 6 mai 2015, la présence de colonies de staphylocoque doré ayant été mise en évidence pour la première fois dans des prélèvements réalisés
le 26 mai 2015 sur un écoulement au niveau d'un fixateur externe. Le 8 juin 2015, alors qu'une antibiothérapie avait été mise en place depuis le 30 mai, le bilan biologique était tout à fait satisfaisant et les orifices des fiches propres et sans écoulement. Le staphylocoque a cependant été retrouvé dans les prélèvements réalisés le 19 août 2015 lors de l'ablation du fixateur externe. Des scintigraphies réalisées les 12 et 14 octobre 2015 en vue d'éliminer une origine septique à la non-consolidation ont fait suspecter un sepsis sur une fiche tibiale proximale, et des prélèvements profonds effectués le 29 octobre sous anesthésie générale, sur lesquels un staphylocoque doré méti S à phénotype multi-sensible a été retrouvé, ont permis de poser le diagnostic d'ostéite de contigüité du tiers supérieur, tiers moyen du tibia droit, probablement dans les suites de la contamination d'une fiche du fixateur externe. Les deux expertises ont conclu que l'infection avait bien pour origine la colonisation d'une fiche du fixateur mis en place pour le traitement de la fracture. La circonstance que le staphylocoque aurait été issu de la cavité nasale du patient, qui n'est nullement établie, est sans incidence sur le lien entre les soins et son introduction dans l'os à l'occasion de ceux-ci, et le risque accru d'infection en lien avec le fixateur, au demeurant évalué à 5 % seulement, ne constitue pas une cause étrangère. Enfin, la thèse d'un lien entre l'infection et la fracture ouverte ayant nécessité l'hospitalisation, développée par l'expert judiciaire en réponse au dire de M. B..., est en contradiction avec le dossier médical et l'expertise elle-même. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu le caractère nosocomial de l'infection.
Sur les préjudices de M. B... :
4. M. B... s'est rendu de son domicile de La Flotte à Tours le 17 mars 2016 pour l'expertise organisée par la CCI, et à Castres le 26 juillet 2017 pour l'expertise ordonnée par le juge des référés, soit respectivement 506 km et 1 016 km aller et retour, avec son véhicule d'une puissance de six chevaux fiscaux. Les frais de péage non justifiés ne pouvant être admis, il justifie ainsi, par application du tarif de 0,568 euros par km, de frais de déplacement
de 854,50 euros.
5. Si l'expert désigné par le juge des référés, qui a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. B... au 12 octobre 2016, dix mois après l'arrêt des antibiotiques, a détaillé les périodes de déficit fonctionnel en lien avec la fracture, il n'a retenu, en lien avec l'infection, qu'une période de déficit du 26 mai 2015 à la guérison, au taux de 10 %. Il y a lieu de retenir en outre un taux de 100 % pour l'hospitalisation du 29 octobre 2015 durant laquelle des prélèvements et une biopsie osseuse ont été réalisés. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 860 euros sur la base de 500 euros par mois de déficit total.
6. Il y a lieu de fixer à 2 000 euros l'indemnisation des souffrances endurées de 2 sur 7, et à 1 000 euros le préjudice esthétique de 1 sur 7 en lien exclusif avec l'infection nosocomiale.
Sur la demande de la caisse nationale militaire de sécurité sociale :
7. La caisse nationale militaire de sécurité sociale produit un détail de ses débours " étudié par le médecin conseil afin de n'en retenir que les prestations en nature strictement liées aux préjudices en cause ", incluant l'ensemble des soins en lien avec le traitement de la fracture, alors que la caisse est seulement fondée à obtenir le remboursement de ses débours en lien avec l'infection nosocomiale. En l'état des justificatifs produits, ce lien n'est établi que pour la somme de 1 491,41 euros concernant l'hospitalisation du 29 octobre 2015.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM doivent être solidairement condamnés à verser les sommes de 4 714,50 euros
à M. B... et de 1 491,41 euros à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
Sur les frais d'expertise :
9. Le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM, qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement en tant qu'il a mis à la charge du groupe hospitalier les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. D'une part, lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. De même, la capitalisation s'accomplit à nouveau, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.
11. La caisse nationale militaire de sécurité sociale est fondée à demander les intérêts sur la somme de 1 491,41 euros à compter du 22 janvier 2019, date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal, et leur capitalisation à compter du 22 janvier 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) / En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. / (...). " Le montant maximum de l'indemnité a été fixé à 1 114 euros par arrêté du 14 décembre 2021. Eu égard au remboursement
de 1 491,41 euros auquel elle a droit, la caisse nationale militaire de sécurité sociale ne peut prétendre qu'au tiers de cette somme, soit 497,13 euros au titre de l'indemnité forfaitaire
de gestion.
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge solidaire du groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et de la SHAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... à l'occasion du présent litige, et de rejeter la demande présentée
par la caisse nationale militaire de sécurité sociale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM sont solidairement condamnés à verser à M. B... une indemnité de 4 714,50 euros.
Article 2 : Le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM sont solidairement condamnés à verser à la caisse nationale militaire de sécurité sociale une somme
de 1 491,41 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2019 et capitalisation
à compter du 22 janvier 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1801034 du 5 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et la SHAM verseront solidairement les sommes de 497,13 euros à la caisse nationale militaire de sécurité sociale au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis et à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse nationale militaire de sécurité sociale et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Une copie en sera adressée au docteur D..., expert.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2022.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 20BX00082