Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice, prononçant sa révocation à compter de la date de notification de la mesure.
Par un jugement n° 1800681 du 11 septembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 11 novembre 2019, le 21 avril 2022, le 1er mai 2022 et le 2 mai 2022, M. D..., représenté par Me Janura, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) d'enjoindre à la ministre de la justice de le réintégrer dans les fonctions de surveillant pénitentiaire au sein de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré ;
4°) subsidiairement, de demander communication du dossier pénal et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de ce procès pénal ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 4 du décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 dès lors que la sanction a été prononcée après avis du conseil de discipline, qui n'a pas statué par un vote à la majorité sur sa demande de sursis à statuer laquelle s'analysait comme une demande de report ;
- cette décision repose sur des faits matériellement inexacts dès lors qu'il n'a fait qu'enjamber le détenu et les jambes de son collègue mais n'a pas porté de coup de pied à la tête dudit détenu le 9 août 2016 alors que celui-ci se trouvait au sol, l'acte de violence retenu contre lui ne reposant que sur les fausses déclarations de trois collègues ;
- il n'a pas été suspendu et a été réintégré dans ses fonctions au 15 janvier 2018 après avoir été placé en congé exceptionnel ; il n'a pas été mis en examen ni même entendu en tant que témoin dans le cadre de l'enquête pénale en cours à la suite du décès de M. A... par asphyxie et l'agent qui a posé le bâillon sur celui-ci n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire ;
- la sanction de révocation prononcée à son encontre est disproportionnée dès lors qu'il a toujours donné satisfaction dans ses fonctions au sein de l'administration pénitentiaire où il est entré en 1992.
A la suite d'une demande de production de pièces pour compléter l'instruction du 12 avril 2022, le ministre de la justice a produit, le 14 avril 2022, les pièces demandées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer du requérant et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me Janura, représentant M. D..., requérant, présent.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., surveillant-brigadier pénitentiaire affecté à compter de 1995 à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime), a fait l'objet d'une mesure de révocation par arrêté de la garde des sceaux, ministre de la justice du 11 janvier 2018, pris après avis du conseil de discipline du 11 octobre 2017. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, ni l'article 4 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat aux termes duquel " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline quinze jours au moins avant la date de réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Ce conseil peut décider, à la majorité des membres présents, de renvoyer l'affaire à une nouvelle réunion. (...) " ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'imposait au conseil de discipline de se prononcer par un vote à la majorité de ses membres sur la demande de sursis à statuer présentée en séance par l'avocate de M. D..., qui ne s'analyse pas comme une demande de report. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige est entachée d'un vice de procédure doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Quatrième groupe : (...) - la révocation ". Aux termes de l'article 6 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire : " Tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Le personnel de l'administration pénitentiaire (...) ne se départit de sa dignité en aucune circonstance ". L'article 12 de ce décret dispose que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut faire un usage de la force que dans les conditions et limites posées par les lois et règlements ". L'article 15 de ce décret ajoute que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire a le respect absolu des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire et de leurs droits. Il s'interdit à leur égard toute forme de violence ou d'intimidation (...) ". Aux termes de l'article 17 de ce décret : " Le personnel de l'administration pénitentiaire doit en toute circonstance se conduire et accomplir ses missions de telle manière que son exemple ait une influence positive sur les personnes dont il a la charge et suscite leur respect ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. D'une part, il est constant que le 9 août 2016 vers 10 heures M. A..., détenu au quartier de la Caserne à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, a tenté d'agresser une surveillante à l'aide d'un manche de fourchette transformé en arme artisanale alors qu'il se rendait, accompagné par plusieurs surveillants et d'un gradé, à l'unité sanitaire, et que, après avoir mordu un autre surveillant, il a été maitrisé puis placé en quartier disciplinaire où son décès par asphyxie a été constaté à 13 heures. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de l'inspection des services pénitentiaires du 7 novembre 2016 et des témoignages précis et circonstanciés de six agents présents au moment des faits dont trois témoins de la scène, que M. D..., alors en poste à l'unité de vie familiale, auquel le chef de détention avait demandé d'accompagner le gradé victime d'une morsure aux services des urgences, a fait un détour volontaire par la lingerie où M. A... avait été placé dans l'attente de son transfèrement au quartier disciplinaire, et a porté un violent coup de pied du haut vers le bas à la tête de ce détenu alors qu'il se trouvait au sol, bâillonné et menotté face contre terre. Ces faits, qui sont suffisamment établis par les pièces du dossier, ne sont contredits ni par les affirmations de M. D..., qui se borne à soutenir qu'il est victime de faux témoignages et qu'il a seulement enjambé le détenu, ni par les contradictions qui selon lui entacheraient les déclarations et témoignages des autres agents pénitentiaires présents. En outre, contrairement à ce que soutient M. D..., les constatations médico-légales effectuées au cours de l'enquête pénale confirment la présence de lésions à la tête et d'ecchymoses rendant vraisemblable le coup porté à la tête du détenu. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la garde des sceaux, ministre de la justice, se serait fondée sur des faits matériellement inexacts pour prononcer la sanction de révocation en litige doit être écarté.
6. D'autre part, en commettant des violences volontaires à l'encontre d'un détenu à terre et menotté alors qu'il ne se trouvait pas en situation d'usage légitime de la force, M. D... a gravement manqué à l'honneur et à ses devoirs envers la personne qui lui était confiée. Un tel comportement est constitutif d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. Compte tenu de la gravité des faits commis de sang-froid, de l'atteinte à la réputation de l'administration pénitentiaire, de l'expérience de cet agent, et en dépit de l'absence d'antécédents disciplinaires, la sanction de révocation infligée à M. D..., qui ne peut se prévaloir utilement de ce qu'il n'aurait pas été suspendu préalablement à l'intervention de la décision contestée et n'aurait, à la date de cette décision, ni été mis en examen ni été entendu par les services de police dans le cadre de l'enquête pénale en cours, ne présente pas un caractère disproportionné.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin pour la cour de mettre en œuvre ses pouvoirs d'instruction ou de sursoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel saisie du jugement du 27 janvier 2022 par lequel le tribunal correctionnel de la Rochelle a condamné M. D... à une peine d'un an d'emprisonnement assortie d'un sursis, que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions à fin d'annulation.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D... demande au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2022.
La rapporteure,
Caroline C...
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Catherine Jussy La République mande et ordonne au ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04233