Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 mai 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement à la maison centrale de Saint-Maur
à compter du 16 mai 2017.
Par un jugement n° 1701032 du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 juin 2020, M. D..., représenté par
la société AARPI THEMIS, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler la décision du 4 mai 2017 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision est entachée d'incompétence de son auteur ; il n'est pas établi que le signataire de cette décision disposait d'une délégation consentie par le directeur interrégional des services pénitentiaires ;
- le principe des droits de la défense a été méconnu ; il n'est pas établi que le dossier contradictoire de mise à l'isolement lui aurait été communiqué ;
- la prolongation de l'isolement a été décidée sans avoir préalablement recueilli l'avis médical prévu à l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale ; s'il est fait mention d'un avis médical, il ne lui a pas été remis ;
- la décision repose sur une erreur de fait et une erreur d'appréciation ; ses condamnations pénales sont anciennes et ne sauraient justifier une prolongation de son isolement en 2017 ; il conteste avoir adopté une attitude rebelle, et ce fait n'est établi par aucune pièce ; un retour en détention ordinaire ne lui a jamais été proposé durant son incarcération à la maison centrale de Saint Maur ; il ne constitue un danger ni pour lui-même, ni pour ses codétenus ni pour l'établissement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il justifie de la compétence du signataire de la décision attaquée ;
- il est établi que M. D... a bénéficié de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; la circonstance qu'il ait refusé de signer l'accusé de réception de son dossier est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
- ainsi que l'a déjà relevé le tribunal, la décision a été édictée sur la base d'un avis médical favorable ;
- s'agissant de la légalité interne, il s'en rapporte à son mémoire de première instance.
Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée
au 15 avril 2022.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mai 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... A...,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur du 13 janvier 2016
au 20 juin 2017, date à laquelle il a été transféré dans un autre établissement pénitentiaire,
a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 mai 2017
par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a ordonné
la prolongation de sa mise à l'isolement à compter du 16 mai 2017. Il relève appel
du jugement du 23 janvier 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. (...) ". L'article R. 57-7-62 du même code dispose : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire. La personne détenue placée à l'isolement est seule en cellule. Elle conserve ses droits à l'information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l'exercice du culte et à l'utilisation de son compte nominatif. Elle ne peut participer aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes détenues soumises au régime de détention ordinaire, sauf autorisation, pour une activité spécifique, donnée par le chef d'établissement. Toutefois, le chef d'établissement organise, dans toute la mesure du possible et en fonction de la personnalité de la personne détenue, des activités communes aux personnes détenues placées à l'isolement. La personne détenue placée à l'isolement bénéficie d'au moins une heure quotidienne de promenade à l'air libre. ". Aux termes de
l'article R. 57-7-66 de ce code : " Le chef d'établissement décide de la mise à l'isolement pour une durée maximale de trois mois. Il peut renouveler la mesure une fois pour la même durée (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-67 : " Au terme d'une durée de six mois, le directeur interrégional des services pénitentiaires peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois. La décision est prise sur rapport motivé du chef d'établissement. Cette décision peut être renouvelée une fois pour la même durée ". L'article R. 57-7-73 prévoit enfin : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) ".
3. Aux termes de l'article R. 57-7-64 du même code : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. Le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires. Si la personne détenue ne comprend pas la langue française, les informations sont présentées par l'intermédiaire d'un interprète désigné par le chef d'établissement. Il en est de même de ses observations, si elle n'est pas en mesure de s'exprimer en langue française. Les observations de la personne détenue et, le cas échéant, celles de son avocat sont jointes au dossier de la procédure. Si la personne détenue présente des observations orales, elles font l'objet d'un compte rendu écrit signé par elle. /Le chef d'établissement, après avoir recueilli préalablement à sa proposition de prolongation l'avis écrit du médecin intervenant à l'établissement, transmet le dossier de la procédure accompagné de ses observations au directeur interrégional des services pénitentiaires lorsque la décision relève de la compétence de celui-ci ou du ministre de la justice. La décision est motivée. Elle est notifiée sans délai à la personne détenue par le chef d'établissement ". Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées
à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". Aux termes de l'article L. 122-2 de ce code : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ".
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une décision
du 24 novembre 2016, publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture Bourgogne Franche-Comté du 2 décembre suivant, le directeur interrégional des services pénitentiaires Centre-Est Dijon a donné délégation à M. C... B..., adjoint au directeur interrégional, à l'effet de signer, notamment, les décisions prises en matière d'isolement des personnes détenues. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige ne peut être accueilli.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le requérant a été informé le 4 mai 2017, par la remise en mains propres d'un document écrit, de ce que la prolongation de son isolement était envisagée, des motifs justifiant une telle prolongation et de ce qu'il pouvait présenter des observations écrites ou orales, se faire assister ou représenter et consulter les pièces relatives à la procédure. Un accusé de réception mentionne que le dossier relatif à la procédure d'isolement a été remis à l'intéressé à la même date, et qu'il a refusé d'y apposer sa signature. Ces mentions font foi jusqu'à preuve contraire, et le requérant se borne à en contester l'exactitude sans faire état d'aucune circonstance précise. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe des droits de la défense doit dès lors être écarté.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale, la directrice de la maison centrale de Saint-Maur a recueilli l'avis écrit du médecin intervenant au sein de cet établissement préalablement à sa proposition de prolongation de l'isolement de M. D.... Ni ces dispositions, ni aucun autre texte, ne prescrivent à peine d'irrégularité de la procédure la communication à la personne détenue de cet avis médical.
7. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été condamné à plusieurs peines de réclusion criminelle pour des faits, en particulier, de menaces de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, de torture ou actes de barbarie commis sur un codétenu, et de torture ou actes de barbarie ayant entraîné la mort commis sur un autre codétenu. Il est constant qu'au cours de son incarcération au sein de la maison centrale de Saint-Maur, il a suivi à de nombreuses reprises des grèves de la faim et de la soif aux fins de contester son affectation dans cet établissement, puis bloqué le quartier disciplinaire, dont il refusait de sortir, pendant une période de quatre mois allant de juillet à octobre 2016, et enfin été mis à l'isolement sur sa
demande à partir du 12 octobre 2016. Il ressort des éléments concordants produits par
l'administration, en particulier une synthèse établie le 2 mai 2017 par le service pénitentiaire d'insertion et de probation et des rapports des 2 et 3 mai 2017 de la directrice de l'établissement relatifs au comportement de M. D... en détention que ce dernier, tout en refusant de présenter une demande de prolongation de son isolement, a refusé son affectation en détention ordinaire, et refusait toute communication avec le personnel pénitentiaire depuis environ un mois. Dans ces circonstances, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les faits ayant fondé la décision seraient matériellement inexacts. Eu égard à la personnalité et à la dangerosité du requérant ainsi qu'à son comportement récent d'obstruction, cette décision ne repose pas davantage sur une erreur manifeste d'appréciation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-DupuyLa présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice BenoitLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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