Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Réunion Protection Equipement-Océan Indien (RPE-OI) et M. B... D... C... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les décisions du 19 juillet 2021 et du 15 septembre 2021 par lesquelles le directeur de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de La Réunion et le directeur général du travail ont rejeté leur demande tendant à ce que le gérant de la société soit entendu en audition pénale libre par un autre inspecteur du travail, et d'enjoindre à l'administration de désigner un inspecteur du travail afin de procéder à cette audition.
Par une ordonnance n° 2101411 du 12 novembre 2021, le magistrat désigné du tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 janvier 2022, la société Réunion Protection Equipement-Océan Indien (RPE-OI) et M. B... D... C..., représentés par Me Gauthier, demandent à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance n° 2101411.
2°) d'annuler les décisions en litige du 19 juillet 2021 et du 15 septembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de désigner un nouvel inspecteur du travail chargé de procéder à l'audition pénale libre du représentant légal de la société RPE-OI ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- c'est à tort que le magistrat désigné a rejeté la requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- les actes et procès-verbaux des agents de l'inspection du travail ne sont pas établis sous l'autorité du procureur de la République ;
- il n'y a pas, dans le code de procédure pénale, de dispositions permettant de saisir la juridiction judiciaire dans le cadre d'une enquête préliminaire ; la solution du tribunal revient à priver les requérants d'un recours juridictionnel contre les décisions en litige.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :
- les décisions en litige ne mentionnent pas les voies et délais de recours ; elles peuvent être attaquées sans condition de délai.
Ils soutiennent, au fond, que :
- le défaut d'impartialité, prohibé par l'article R. 8124-18 du code du travail et l'article R. 8124-19 alinéa 1 du même code, dont a fait preuve l'agent auteur du contrôle et chargé de l'audition, vicie la procédure d'enquête ; ce manquement au principe d'impartialité est attesté par les témoignages produits au dossier ; il doit conduire à l'annulation des décisions en litige.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. La société Réunion Protection Equipement-Océan Indien (RPE-OI), dont le président est M. C..., a pour activité la conception, la fabrication et le négoce de produits et matériels d'hygiène et de santé. Le 9 mars et le 7 mai 2021, l'inspectrice du travail de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de La Réunion a effectué une visite de contrôle au sein des locaux de la société à l'issue de laquelle plusieurs infractions au code du travail ont été relevées. Par courrier du 10 mai 2021, l'inspectrice du travail a convoqué le président de la société à comparaître devant elle pour une audition pénale libre prévue le 31 mai 2021. Le 28 mai 2021, le conseil de la société RPE-OI a demandé au directeur général du travail de désigner un autre inspecteur du travail au motif que l'inspectrice chargée de procéder à l'audition avait fait preuve de partialité durant les opérations de contrôle. Après avoir refusé de se présenter à l'audition prévue le 31 mai 2021, la société RPE-OI a demandé au directeur régional du travail ainsi qu'au ministre du travail à être auditionnée par un autre inspecteur. Le directeur de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités et le directeur général du travail ont, par deux décisions prises respectivement les 19 juillet et 15 septembre 2021, rejeté la demande de la société. La société RPE-OI et M. C... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les décisions précitées. Ils relèvent appel de l'ordonnance rendue le 12 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal a rejeté leur demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
2. Ainsi qu'il a été dit, le président de la société RPE-OI a été convoqué à comparaître devant l'inspectrice du travail à une audition pénale libre le 31 mai 2021 dans le cadre des dispositions des articles 28 et 61-1 du code de procédure pénale.
3. Aux termes de l'article 61-1 du code de procédure pénale : " (...) la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu'après avoir été informée : 1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ; 2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ; 3° Le cas échéant, du droit d'être assistée par un interprète ;
4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; 5° Si l'infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, du droit d'être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation (...) par un avocat (...). Lorsqu'une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l'infraction dont elle est soupçonnée, son droit d'être assistée par un avocat ainsi que les conditions d'accès à l'aide à l'intervention de l'avocat (...) ".
4. Aux termes de l'article 28 du code de procédure pénale, inclus dans le chapitre 1er " de la police judiciaire " du Livre Ier " de la conduite de la politique pénale, de l'exercice de l'action publique et de l'instruction " : " Les fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et dans les limites fixées par ces lois. Lorsque la loi prévoit que ces fonctionnaires et agents peuvent être requis par commission rogatoire du juge d'instruction, ils exercent, dans les limites de la commission rogatoire, les pouvoirs qui leur sont conférés par les lois spéciales mentionnées au premier alinéa du présent article. D'office ou sur instructions du procureur de la République, ces fonctionnaires et agents peuvent concourir à la réalisation d'une même enquête avec des officiers et agents de police judiciaire, le cas échéant, en les assistant dans les actes auxquels ils procèdent. Ces fonctionnaires et agents peuvent, sur instruction du procureur de la République, procéder à la mise en œuvre des mesures prévues à l'article 41-1. Lorsque ces fonctionnaires et agents sont autorisés à procéder à des auditions, l'article 61-1 est applicable dès lors qu'il existe à l'égard de la personne entendue des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. (...) ".
5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 8112-1 du code du travail : " Les agents de contrôle de l'inspection du travail (...) sont chargés (...) de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail (...) Ils sont également chargés concurremment avec les officiers et agents de police judiciaire, de constater les infractions à ces dispositions et stipulations (...) ". De même, l'article L. 8271-6-1 du même code relatif à la lutte contre le travail illégal : " Les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur (...) Conformément à l'article 28 du code de procédure pénale, l'article 61-1 du même code est applicable lorsqu'il est procédé à l'audition d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite des visites de contrôle effectuées dans les locaux de la société, l'inspectrice du travail a, selon procès-verbal dressé le 8 juillet 2021, informé la société RPE-OI que les équipements de travail utilisés au sein de l'atelier de fabrication de masques chirurgicaux, charlottes et sur-chaussures ne répondaient pas aux normes réglementaires, ce qui constituait une infraction à l'article L. 4722-1 du code du travail, punie d'une amende de 10 000 euros par salarié en vertu de l'article L. 4741-1 du même code, inclus dans le chapitre 1er " Infractions aux règles de santé et de sécurité ", du Titre IV " dispositions pénales " de la Quatrième partie " Santé et sécurité au travail " du code du travail . Par ailleurs, ce même procès-verbal reprochait à la société RPE-OI une infraction à l'article L. 1242-1 du code du travail prohibant la conclusion de contrats de travail à durée déterminée pour pourvoir des emplois durables liés à l'activité normale de l'entreprise, réprimée par l'article L. 1248-1 du même code, inclus dans le chapitre VIII " dispositions pénales " du Titre IV " Contrat de travail à durée déterminée " du Livre II de ce code. Enfin, le procès-verbal signalait à la société qu'elle était en infraction avec l'article L. 8221-1 du code du travail interdisant le travail dissimulé, infraction réprimée par l'article L. 8224-1 du code du travail, inclus dans le chapitre IV " dispositions pénales " du titre II " Travail dissimulé " de la Huitième partie " Contrôle de l'application de la législation du travail " du code du travail.
7. Les décisions en litige du 19 juillet 2021 et du 15 septembre 2021 par lesquelles l'administration a rejeté la demande de la société appelante tendant à ce que son gérant soit entendu en audition pénale libre par un inspecteur du travail autre que celui ayant adressé la convocation du 10 mai 2021 ne sont pas détachables de la procédure pénale à laquelle les agents relevant de leurs services ont participé, dans le cadre des articles 28 et 61-1 précités du code de procédure pénale, pour la répression d'infractions pénalement sanctionnées en vertu du code du travail. Il s'ensuit que les conclusions présentées par les appelants ne sont pas au nombre de celles qu'il appartient à la juridiction administrative de connaître.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société RPE-OI et M. A... C... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par les appelants tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 22BX00104 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Réunion Protection Equipement-Océan Indien (RPE-OI), à M. B... D... C... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 28 août 2023 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX00104 2