Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Polycentre a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.
Par un jugement n° 1900847 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021, la société Polycentre, représentée par Me Dominguez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1900847 du tribunal administratif de Limoges du 21 octobre 2021 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015 pour un montant de 234 274 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les avances en compte courant octroyées à la société Blossac Optique Châtellerault pour lesquelles elle a constitué une provision pour dépréciation ne constituent pas un acte anormal de gestion, dès lors qu'il existait des relations commerciales entre les deux sociétés ; elle justifiait d'un intérêt à apporter son aide à cette société en difficulté financière en contrepartie de la sauvegarde de ses intérêts commerciaux dans le secteur d'activité ;
- les conditions de déductibilité des provisions prévues à l'article 39-1-5° du code général des impôts sont réunies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2022, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la demande présentée par la société requérante est irrecevable à hauteur de 13 807 euros dès lors que l'intéressée limite sa contestation à l'impôt sur les sociétés correspondant aux rehaussements relatifs à la provision pour créance concernant la société Blossac Optique Châtellerault, à hauteur de 220 467 euros ;
- les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pauline Reynaud,
- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Polycentre, qui exerce une activité de vente de produits dans le secteur de l'optique, est détenue à 99,9 % par la société Polyvision, elle-même détenue à 99,9 % par la société Blossac Optique Châtellerault (BOC). La société Polycentre a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période courant de 2012 à 2015, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible des provisions pour dépréciation de créances constituées par la société Polycentre au titre des exercices 2013, 2014 et 2015, correspondant à des avances de trésorerie consenties à la société Blossac Optique Châtellerault. Par une proposition de rectification du 6 septembre 2016, l'administration a notifié à la société Polycentre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, pour un montant, en droits et pénalités, de 234 274 euros. Sa réclamation préalable ayant été rejetée par une décision de l'administration fiscale du 19 mars 2019, la société Polycentre a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2013 à 2015 résultant de la réintégration dans son résultat imposable des provisions pour dépréciation de créances qu'elle a constituées concernant les avances consenties à la société Blossac Optique Châtellerault. La société Polycentre relève appel du jugement n° 1900847 du 21 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur l'étendue du litige :
2. La société Polycentre demande la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2013 à 2015 pour un montant de 237 274 euros. Toutefois, la société requérante n'articule de moyens qu'à l'encontre des rehaussements résultant de la remise en cause du caractère déductible des provisions pour dépréciation de créances consenties à la société BOC, qui s'élèvent à un montant de 220 467 euros. Les conclusions de la requête relatives aux autres chefs de rehaussement sont, dans cette mesure, irrecevables.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable de justifier tant du montant des provisions qu'il entend déduire de son bénéfice net que du principe même de leur déductibilité.
5. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Une provision ne peut être constituée en application du 5° du 1 de l'article 39 du même code qu'en vue de faire face à des pertes ou à des charges encourues dans le cadre d'une gestion commerciale normale. Le fait, pour une sous-filiale, de consentir une avance de trésorerie à la société mère en difficulté, qui contrôle la filiale, et avec laquelle elle n'entretient aucune relation commerciale, ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, dès lors que cette avance, même assortie du versement d'intérêts, est d'un montant manifestement hors de proportion avec la solvabilité du bénéficiaire. Il n'en va autrement que si la société établit qu'en consentant cette avance, elle a agi dans son propre intérêt. Tel serait le cas si la sous-filiale justifiait que cette avance était nécessaire pour éviter la liquidation de la société mère dans des conditions telles qu'elle entraînerait elle-même sa liquidation. A défaut, l'administration est réputée apporter la preuve des faits dont elle se prévaut pour estimer que cette opération constitue un acte anormal de gestion et est fondée à réintégrer dans le bénéfice imposable les provisions constituées par la sous-filiale, et destinées à couvrir le risque de perte des sommes correspondant à cette avance.
6. Il résulte de l'instruction que la société Polycentre a comptabilisé, au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, des provisions pour dépréciation d'un montant respectif, de 347 382,68 euros, 383 856,94 euros et 437 362,23 euros, correspondant à des avances sur trésorerie sans intérêts consenties à la société BOC, dont elle est la sous-filiale.
7. Si La société Polycentre soutient tout d'abord qu'elle entretenait historiquement des relations commerciales avec la société BOC lors de l'octroi de ces avances, et se prévaut à cet égard d'une convention de " management fees " et de la centralisation des achats avec leurs fournisseurs, ces éléments ne suffisent toutefois pas à justifier de l'existence de telles relations commerciales avec la société BOC.
8. Il résulte par ailleurs de l'instruction, en particulier de la proposition de rectification du 6 septembre 2016, que le bilan de la société BOC au titre de l'année 2013 fait apparaître un montant de capitaux propres de 189 153 euros, et que les résultats financiers de cette société ne sont pas de nature à établir l'existence de difficultés financières majeures. Dans ces conditions, le montant des avances consenties depuis plusieurs années apparaît hors de proportion avec la solvabilité de la société BOC.
9. La société Polycentre fait ensuite valoir qu'elle a fait l'objet, le 1er décembre 2021, d'une assignation en extension de la procédure de liquidation judiciaire, initialement ouverte pour la société Polyvision, et que les difficultés financières de la société BOC sont de nature à compromettre la poursuite de son activité et porter atteinte à sa réputation. Toutefois, la société requérante indique elle-même dans ses écritures que si la société BOC éprouve des difficultés financières, celles-ci ne sont pas de nature à compromettre irrémédiablement sa situation, et que la société BOC ne se trouve ni en état de cessation de paiement, ni d'insolvabilité, de sorte que, eu égard à ce qui a été dit au point 8, la société requérante ne justifie pas que les avances consenties étaient nécessaires pour éviter la liquidation de la société mère dans des conditions telles qu'elle entraînerait elle-même sa liquidation.
10. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les avances consenties à la société BOC constituent un acte anormal de gestion, justifiant la réintégration du montant des provisions constituées par la société Polycentre au titre des années 2013, 2014 et 2015 dans les résultats passibles de l'impôt sur les sociétés.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Polycentre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2012 à 2015. En conséquence les conclusions présentées à fin d'injonction, ainsi qu'au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Polycentre est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Polycentre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
La rapporteure,
Pauline ReynaudLa présidente,
Evelyne Balzamo Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX04692 2