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12/10/2023 | FRANCE | N°21BX02893

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 octobre 2023, 21BX02893


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation, en réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.

Par un jugement n° 1902148 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2021, M. B..., repré

senté par Me Ciaudo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation, en réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.

Par un jugement n° 1902148 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Ciaudo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 mars 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences de l'absence de réponse du ministre à une mise en demeure de produire ; celui-ci devait ainsi être regardé, en application de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, comme ayant acquiescé aux faits ;

- l'Etat a commis une faute en le plaçant durant plusieurs mois dans une cellule indigne, ce qui est contraire tant à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'à l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; sa cellule était exigüe, dépourvue d'eau chaude et équipée d'un chauffage défaillant ; c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il pouvait récupérer sans difficulté de l'eau chaude et que la présence de deux tuyaux de chauffage, sans possibilité de régulation de la température, suffisait à considérer qu'il existait un chauffage en état de marche ;

- le préjudice subi peut être évalué à 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- alors même qu'il n'a pas produit dans le cadre de la première instance, le tribunal était tenu de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'était pas contredite par les pièces du dossier ; le courrier de la directrice de la maison centrale, daté du

17 août 2018, et que M. B... a produit, contredisait ses allégations, de même que les deux rapports d'inspection du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2009 et 2010, librement accessibles ;

- les conditions de détention ne méconnaissent ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions des articles D. 349 à 351 du code de procédure pénale ; alors qu'aucune norme n'impose des dimensions minimales à une cellule et que M. B... bénéficie d'un encellulement individuel, une surface de 6,5 m², dotée de plusieurs équipements de confort, est suffisante pour ne pas exposer le détenu à des souffrances prohibées par les dispositions précitées ; en outre, l'intéressé peut accéder librement aux espaces communs et aux activités de loisirs et bénéficier de formations ; les sanitaires installés au sein de chaque cellule sont destinés aux actes d'hygiène les plus élémentaires et les douches communes sont accessibles tous les jours, une laverie entretient le linge et si les détenus souhaitent faire leur vaisselle à l'eau chaude, ils peuvent acheter une bouilloire ; la cellule bénéficie du chauffage central qui n'est pas défectueux et qui est régulièrement vérifié, et des travaux de rénovation des fenêtres, afin d'améliorer l'isolation, étaient en cours en 2019.

M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré du 22 novembre 2017 au 3 décembre 2019, a demandé au ministre de la justice, le 13 février 2019, de lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ses conditions de détention. Par un jugement du 11 mars 2021 dont l'intéressé relève appel, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser cette indemnité.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 612-3 du code de justice administrative : " (...) lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti (...), le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut lui adresser une mise en demeure. (...) ". Aux termes de l'article R. 612-6 de ce code : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Dans une telle hypothèse, il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier.

3. M. B... soutient qu'en s'abstenant de tirer les conséquences de l'acquiescement aux faits par le ministre de la justice, lequel n'a pas produit de mémoire en défense, en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le 25 février 2020, le tribunal administratif de Poitiers aurait entaché son jugement d'irrégularité. Toutefois, la circonstance que le tribunal n'aurait pas tiré toutes les conséquences du silence du ministre sur la mise en demeure qui lui a été adressée n'affecte pas la régularité du jugement attaqué, mais relève du bien-fondé de celui-ci.

Sur la responsabilité :

4. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, alors en vigueur : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de la personne détenue ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, alors en vigueur, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".

5. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

6. Il résulte de l'instruction que M. B... a été incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré dans une cellule de 6,50 m², soit 3,40 mètres sur 1,90 mètre, chauffée par de larges tuyaux de chauffage central. Outre le couchage, un bureau, une chaise et trois étagères murales, la cellule est équipée de sanitaires. Si M. B... soutient qu'elle était exigüe, sa surface, identique à celles des autres cellules, n'était pas insuffisante s'agissant d'un encellulement individuel. Bien que n'ayant pas accès à l'eau chaude, M. B... pouvait s'en procurer dans les douches, auxquelles il avait accès tous les jours, ainsi que cela ressort du rapport de visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté et du règlement intérieur de l'établissement, et non un jour sur deux comme il le soutient, et l'entretien de son linge était assuré par une laverie gratuite. Enfin, la seule circonstance que le système de chauffage ne soit pas équipé d'un thermostat pour chaque détenu n'est pas de nature à démontrer que celui-ci ne serait pas en état de marche. Au vu de ces éléments, contredisant l'acquiescement aux faits dont l'intéressé s'était prévalu, les conditions de détention de M. B... à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré n'étaient pas de nature à porter atteinte à la dignité humaine, ni, par conséquent, à engager la responsabilité pour faute de l'Etat.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... et son conseil demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 octobre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX02893


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02893
Date de la décision : 12/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : AARPI THEMIS AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-10-12;21bx02893 ?
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