Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 avril 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre
de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou subsidiairement de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2205949 du 1er février 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 février 2023, Mme C..., représentée
par Me Lanne, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 22 avril 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- le titre de séjour dont elle a sollicité le renouvellement a été délivré sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et elle a nécessairement saisi la préfète de la Gironde d'une demande sur le fondement, notamment, des dispositions de l'article L. 435-1 en cochant sur le formulaire " je sollicite un changement de statut ", " F 10 autres situations ", ce qui est le plus proche d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, non prévue par le formulaire ; c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit aux moyens tirés du défaut d'examen de sa situation personnelle et de l'absence de consultation de la commission du titre de séjour, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1, alors qu'elle justifie de sa présence en France depuis le 29 septembre 2010, soit plus de dix ans ;
- si la cour estimait que l'administration a examiné sa demande au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le refus correspondant n'est pas motivé, et la préfète n'a pas recherché si des motifs exceptionnels justifiaient sa régularisation ;
- elle est atteinte d'un syndrome drépanocytaire majeur de type SC, diagnostiqué tardivement en 2011, et ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié au Nigéria, où elle serait d'ailleurs confrontée au coût des médicaments ; elle bénéficie en France d'un suivi depuis 2011, et d'un traitement par hydroxycarbamide, dont les effets bénéfiques ont été prouvés ; elle a bénéficié de titres de séjour en raison de son état de santé à compter du 23 octobre 2014,
puis du 29 mai 2019 au 23 mai 2021, et l'accès aux soins au Nigéria n'a pas évolué ; ainsi, le refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle réside en France depuis plus de dix ans, elle tente de s'intégrer professionnellement, et elle est mère de trois enfants nés en France, de sorte que le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 avril 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me Lanne, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., de nationalité nigériane, a déclaré être entrée en France
le 29 septembre 2010. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 mai 2011, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 12 février 2013. Le préfet de la Gironde lui a délivré un premier titre de séjour en raison de son état de santé, valable du 23 octobre 2014 au 22 octobre 2015, dont le renouvellement lui a été refusé, puis
un second à compter du 29 mai 2019, renouvelé jusqu'au 23 mai 2021. Par un arrêté
du 22 avril 2022, la préfète de la Gironde a refusé de renouveler ce titre de séjour ainsi que de régulariser la situation de Mme C... au regard de ses liens privés et familiaux, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C... relève appel du jugement du 1er février 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
S'agissant de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. /
Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...). "
3. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code. Si Mme C... a sollicité, outre le renouvellement de son titre de séjour, un changement de statut en faisant référence au libellé " F10 autres situations ", elle n'a pas demandé une régularisation exceptionnelle sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et la préfète n'a pas examiné sa demande sur ce fondement, mais au titre de son pouvoir propre de régularisation. Par suite, Mme C... n'est fondée ni à reprocher à la préfète un défaut d'examen de sa situation au regard de
l'article L. 435-1, ni à soutenir que, compte tenu de la durée de sa présence en France, supérieure à dix ans, l'administration aurait dû saisir la commission du titre de séjour.
S'agissant de l'état de santé :
4. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...). " Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
5. Selon l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 7 décembre 2021, l'état de santé de Mme C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais l'intéressée peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel elle peut voyager sans risque. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est atteinte de drépanocytose, maladie génétique affectant les globules rouges et pouvant entraîner des crises douloureuses, des ulcères, des paralysies, une anémie et des infections, le gène mutant étant une particularité des populations d'Afrique subsaharienne. Dans le cas de Mme C..., cette maladie, diagnostiquée seulement en 2011, provoque des douleurs articulaires par crises, qualifiées d'épisodiques et de peu sévères par un certificat médical du 26 février 2019. A supposer qu'elle soit en lien avec la drépanocytose, la prise en charge la plus récente au service des urgences du CHU de Bordeaux, le 28 avril 2020, est antérieure de plus d'un an à la demande de renouvellement du titre de séjour. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une greffe de moelle osseuse, seul traitement connu, serait envisagée. Aucun élément n'est produit pour démontrer que l'hydroxycarbamide prescrite en France à Mme C... aurait un effet quelconque sur l'évolution de son état de santé, et la requérante, dont les douleurs sont traitées par des antalgiques, n'établit pas, en se bornant à invoquer le coût élevé des médicaments au Nigéria, qu'elle ne pourrait avoir accès à des antalgiques dans son pays d'origine. Par suite, elle n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
S'agissant de l'erreur manifeste d'appréciation :
6. Si Mme C... résidait en France depuis plus de onze ans à la date du refus de titre de séjour, elle ne conteste pas que le père de ses enfants, une fille née le 15 mars 2016 et des jumeaux nés le 12 mai 2020, se maintient irrégulièrement en France depuis une obligation de quitter le territoire français du 11 octobre 2018, et elle conserve des attaches familiales au Nigéria, constituées par ses parents et sa fratrie. En outre, elle a été condamnée à trois ans d'emprisonnement par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 9 octobre 2014 pour des faits de proxénétisme aggravé commis entre 2011 et le 19 juin 2013. Dans
ces circonstances, et alors même qu'elle a travaillé lorsqu'elle s'est trouvée en situation régulière, en dernier lieu à plein temps en qualité d'agent des services logistiques à partir
du 18 janvier 2021, le refus de régularisation à titre dérogatoire ne peut être regardé comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / (...). " Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que Mme C... peut bénéficier d'un traitement approprié au Nigéria. Par suite, elle n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance de ces dispositions.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
9. Eu égard à la situation personnelle et familiale exposée au point 6, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
11. A la date de la décision contestée, les enfants de Mme C..., nés en France, étaient âgés respectivement de 6 ans et de 23 mois, et leur père, de nationalité nigériane comme leur mère, était en situation irrégulière. La scolarisation de l'aînée à l'école maternelle
et l'accueil des jumeaux dans une structure de la petite enfance ne suffit pas à faire regarder l'obligation de quitter le territoire français comme portant atteinte à leur intérêt supérieur.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Par suite,
ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative
à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX00358