Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... F... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 juillet 2022 par lequel le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n°2202348 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mai 2023, Mme D... F... E..., représentée par Me Desroches, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 février 2023 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 juillet 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an et, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle dans un délai de quinze jours, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été signé par une autorité ne disposant pas d'une délégation régulièrement publiée ;
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée en fait, et sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux ;
- en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Vienne a méconnu les articles L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de séjour ;
- elle avait droit à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en application de l'article 9 de la convention conclue le 2 septembre 1992 entre la France et le Gabon et en application de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2023, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une décision du 13 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République gabonaise relative à la circulation et au séjour des personnes, signée à Paris le 2 septembre 1992, modifiée le 5 mars 2002 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante gabonaise née le 18 août 1997, est entrée en France le 6 septembre 2019, sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 10 novembre 2019. Elle s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire et a déposé le 27 septembre 2021 une demande de titre de séjour. Le préfet de la Vienne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait susceptible d'être reconduite d'office à l'expiration de ce délai, par un arrêté du 29 juillet 2022 dont Mme E... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Poitiers. Par un jugement du 7 février 2023 dont Mme E... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le moyen commun aux décisions contestées :
2. Par un arrêté en date du 12 juillet 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne n°111 du 13 juillet 2022, le préfet de la Vienne a donné délégation à Mme A... C..., directrice de cabinet et signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer notamment les actes pris en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence dont seraient entachées les décisions contestées manque en fait et doit être écarté.
Sur la légalité de la décision de refus de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". L'arrêté vise les textes sur lesquels s'est fondé le préfet de la Vienne, en particulier l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il expose notamment que l'intéressée, célibataire et sans enfant, qui s'est maintenue irrégulièrement en France après l'expiration de son visa de court séjour, ne justifie pas y avoir noué des liens personnels et familiaux particulièrement anciens, stables et intenses, q ne dispose pas de ressources propres et ne démontre pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. L'arrêté contient de nombreux éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de l'intéressée, et les dispositions précitées n'imposaient pas à l'autorité administrative de mentionner l'ensemble des circonstances susceptibles de justifier la régularisation de la situation de Mme E... au titre de sa vie privée et familiale, telles que sa résidence commune avec des membres de sa famille ou sa réussite dans les études. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait. Cette motivation témoigne de l'examen particulier de la situation de la requérante.
4. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ". Et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que, à la date de la décision contestée, Mme E..., âgée de 24 ans, célibataire et sans enfant, ne réside en France que depuis moins de trois ans. Elle a obtenu en France un brevet de technicien supérieur spécialité comptabilité et gestion, et, si elle envisage d'y poursuivre ses études, ne justifie pas, contrairement à ce qu'elle soutient, d'une particulière insertion. Si elle réside en France avec sa mère et deux autres enfants de celle-ci, elle en a été séparée de 2015 à 2019 et a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de 22 ans. Dès lors, le préfet de la Vienne n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme E... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise la décision de refus de séjour, et n'a pas, pour les mêmes motifs, commis une erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas à la régularisation de la situation de l'intéressée.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
6. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus de séjour doit être écarté.
7. Indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
8. Aux termes de l'article 9 de convention franco-gabonaise du 2 septembre 1992, modifiée le 5 mars 2002 : " Les ressortissants de chacune des Parties contractantes désireux de poursuivre des études supérieures ou d'effectuer un stage de formation de niveau supérieur sur le territoire de l'autre doivent, outre le visa de long séjour prévu à l'article 4, justifier d'une attestation d'inscription ou de préinscription dans l'établissement d'enseignement où s'effectue le stage, ainsi que, dans tous les cas, de moyens d'existence suffisants. / Ces dispositions ne font pas obstacle à la possibilité d'effectuer dans l'autre État d'autres types d'études ou de stages de formation dans les conditions prévues par la législation applicable ". Aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour (...) ". Et aux termes de l'article L. 422-1 de ce code : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an. / En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l'âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l'autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sous réserve d'une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".
9. D'une part, Mme E... ne justifiant pas d'un visa de long séjour, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle devait se voir attribuer de plein droit un titre de séjour en qualité d'étudiant sur le fondement de l'article 9 de la convention franco-gabonaise du 2 septembre 1992 et du 1er alinéa de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'autre part, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 2ème alinéa de cet article n'étant pas de plein droit, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions au soutien de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
10. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 5 du présent arrêt.
Sur la légalité de la décision fixant le Gabon comme pays de renvoi :
11. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement doit être écarté.
12. La décision fixant le pays de renvoi vise les stipulations de l'article 3 de la CEDH et les dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne la nationalité de la requérante et la circonstance qu'elle n'établit pas courir des risques dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée pour information au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.
Le rapporteur,
Julien B...
La présidente,
Ghislaine Markarian La greffière,
Stéphanie LarrueLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX01232