Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 2 décembre 2019 par laquelle la directrice régionale du réseau La Poste de Gironde et Garonne l'a muté, à titre disciplinaire, à Tonneins à compter du 23 décembre 2019 et de condamner La Poste à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par un jugement n° 2000448 du 17 novembre 2021, le tribunal a annulé la décision du 2 décembre 2019 et a condamné La Poste à verser à M. B... la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 janvier 2022, 5 octobre 2022 et 1er septembre 2023, la Poste, représentée par le cabinet d'avocat Lexia, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2000448 du 17 novembre 2021 ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé la sanction en litige au motif que les faits reprochés à M. B... n'étaient pas suffisamment établis ; ce dernier a varié dans ses déclarations au cours de l'enquête administrative en indiquant, dans un premier temps, qu'un incident informatique l'avait empêché d'enregistrer la demande de la cliente puis, dans un second temps, qu'il n'avait pu procéder au virement demandé dès lors que ladite cliente n'était pas en possession de son livret A ; le fait qu'il ait pu procéder à d'autres opérations informatiques le 24 octobre 2018 montre que sa première version était fausse, ce qui l'a conduit à changer ses déclarations ;
- en revanche, les déclarations de la cliente n'ont jamais varié quant au fait que la somme de 1 000 euros qu'elle était venue déposer en espèces sur son livret A, le 24 octobre 2018 au bureau de Poste, a disparu ;
- le classement sans suite dont a fait l'objet la plainte pénale de la cliente est sans incidence sur le bien-fondé de la sanction au regard du principe de l'indépendance des poursuites pénales et des poursuites disciplinaires ;
- c'est à tort que les premiers juges ont fait droit aux conclusions indemnitaires de M. B... à hauteur de 8 000 euros dès lors que ce montant excédait celui mentionné dans sa requête introductive d'instance ; le contentieux est en effet lié à hauteur de ce dernier montant et non de celui indiqué dans la demande préalable indemnitaire présentée au cours de l'instance devant le tribunal ;
- le préjudice invoqué par M. B... n'est pas établi du seul fait que son nouveau lieu de travail se situe à une distance supplémentaire de 15 km de son domicile ; il n'est pas établi non plus que M. B... ait été victime d'un syndrome anxio-dépressif en raison de la sanction dont il a fait l'objet.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 mars 2022 et 20 janvier 2023, M. B..., représenté par le cabinet AARPI Castéra-Sassoust agissant par Me Castéra, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de La Poste la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 18 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 septembre 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Lafond pour la société La Poste et Me Borgna se substituant à Me Castera, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., agent technique et de gestion de niveau supérieur, est employé par la société La Poste, avec le statut de fonctionnaire, en qualité de chargé de clientèle au bureau de poste de La Plume. Le 31 janvier 2019, une cliente a déposé plainte contre M. B... pour abus de confiance. Après le dépôt, le 8 août 2019, d'un rapport d'enquête administrative, La Poste a engagé des poursuites disciplinaires à l'issue desquelles la directrice régionale de La Poste de Gironde et Garonne a, par une décision du 2 décembre 2019, infligé à M. B... la sanction de déplacement d'office. M. B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 2 décembre 2019 et de condamner La Poste à l'indemniser de ses préjudices. Par un jugement du 17 novembre 2021, le tribunal a annulé la sanction du 2 décembre 2019 et a condamné La Poste à verser à M. B... une somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts. La Poste relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, applicable aux fonctionnaires de La Poste en vertu l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. / Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. / Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation (...) ".
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public repose sur des faits matériellement exacts constituant des fautes de nature à justifier une telle sanction.
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport d'enquête soumis au conseil de discipline, qu'il est reproché à M. B... de ne pas avoir enregistré, alors qu'il se trouvait en fonction au bureau de poste le 24 octobre 2018, une somme de 1 000 euros en espèces qu'une cliente était venue déposer sur son livret A, et d'être responsable de la disparition de cette somme. Ces faits reposent sur les déclarations de la cliente concernée, laquelle soutient s'être rendue au bureau de poste en possession d'une enveloppe contenant vingt billets de 50 euros que M. B... aurait prise sans l'ouvrir, puis déposée sous le guichet sans procéder devant elle à un enregistrement informatique de ce dépôt. Il ressort des pièces du dossier que la cliente concernée, constatant que son livret A n'avait pas été crédité de la somme de 1 000 euros, a déposé à l'encontre de M. B... une plainte pour abus de confiance le 31 janvier 2019.
5. Les recherches effectuées par La Poste, à la suite des déclarations de sa cliente, n'ont pas permis de retrouver trace d'un enregistrement de 1 000 euros sur le journal de bord du bureau de poste le 24 octobre 2018, ainsi qu'à une date postérieure. De plus, la copie du livret A que la cliente a communiquée à La Poste montre qu'aucune somme de 1 000 euros n'y a été créditée durant la période considérée.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a, au cours de son audition par La Poste le 4 juin 2019, indiqué qu'il pensait ne pas avoir enregistré le dépôt en raison d'une panne informatique, raison pour laquelle il n'a pas délivré de reçu et a restitué l'argent à la cliente. Au cours de son audition, M. B... a affirmé avoir mis en place un virement permanent vers le livret A de la cliente sans expliquer pourquoi la panne informatique alléguée n'avait pas empêché la réalisation de cette opération. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'analyse du journal de bord du 24 octobre 2018 effectuée par La Poste, que M. B... a passé des opérations informatiques durant toute la journée sans être confronté à un moment donné à une panne informatique. Au cours d'une confrontation que La Poste a organisée avec la cliente le 5 juillet 2019, M. B... a modifié ses déclarations en affirmant ne pas avoir enregistré le dépôt en espèces au motif que la cliente n'était pas en possession de son livret A. Pendant cette confrontation, la cliente a déclaré que M. B... lui avait affirmé, lorsqu'elle est revenue en janvier 2019 s'enquérir du sort de ses 1 000 euros, que l'argent a été transmis au Bureau de Passage en totale contradiction, selon elle, avec les premières déclarations de l'intéressé selon lesquelles le dépôt lui avait été immédiatement restitué. De son côté, M. B... a maintenu avoir rendu l'enveloppe contenant l'argent à la cliente, ce que cette dernière a vivement contesté au cours de la confrontation.
7. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les faits litigieux reposent entièrement sur les déclarations de la cliente concernée, lesquelles ont été constamment contestées par M. B... au cours de l'enquête administrative et de la procédure disciplinaire. La circonstance que M. B... ait, ainsi qu'il ressort du point précédent, présenté des versions différentes pour sa défense ne suffit pas, par elle-même, à établir la réalité des reproches qui lui sont adressés alors que sa première audition est survenue sept mois après les évènements allégués. La circonstance que M. B... n'ait pas jugé utile d'informer sa hiérarchie de ce que la cliente s'est rendue, en janvier 2019, au bureau de poste pour s'enquérir du sort de son argent, ne suffit pas à établir la réalité des faits qui ont fondé la sanction en litige.
8. Dans les circonstances propres au cas d'espèce, les faits à l'origine de la sanction en litige sont insuffisamment caractérisés. Dès lors, La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la sanction de déplacement d'office prononcée à l'encontre de M. B... le 2 décembre 2019.
9. Au demeurant, la plainte déposée par la cliente concernée a été classée sans suite pour le " motif 54 " correspondant au cas du plaignant désintéressé sur demande du parquet.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
10. L'illégalité dont est entachée la sanction du 2 décembre 2019 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de La Poste vis-à-vis de M. B....
11. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de son déplacement d'office, M. B... a été contraint à des allongements quotidiens de trajets dès lors que le site de Tonneins, sur lequel il a été affecté, se trouve davantage éloigné de son domicile que son précédent poste. M. B... a par ailleurs subi un préjudice moral dès lors que sa probité a été mise en cause sur la base d'éléments insuffisants. Enfin, il résulte de l'instruction que M. B... a été placé en arrêt de travail en raison d'un syndrome anxio-dépressif à compter du 21 novembre 2019, soit le lendemain de l'avis du conseil de discipline favorable à la sanction de déplacement d'office. Dans ces conditions, M. B... a subi des troubles dans ses conditions d'existence dont le tribunal a toutefois fait une évaluation excessive en les fixant à 8 000 euros. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des préjudices de M. B... en les évaluant à la somme de 4 000 euros, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par La Poste et tirée de ce que la demande indemnitaire serait irrecevable en tant qu'elle excède la somme de 5 000 euros.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre de ses frais de procès. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de La Poste, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La somme de 8 000 euros à laquelle La Poste a été condamnée à verser à M. B... par le jugement n° 2000448 du tribunal administratif de Bordeaux du 17 novembre 2021 est ramenée à 4 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 2000448 du tribunal administratif de Bordeaux du 17 novembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de La Poste est rejeté.
Article 4 : La Poste versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à La Poste et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX00125 2