Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 23 décembre 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2203256 du 10 mai 2023, le tribunal a annulé la décision de refus de titre de séjour du 23 décembre 2022, a enjoint au préfet de la Charente-Maritime de réexaminer la demande de titre de séjour de M. A... C..., et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, M. A... C..., représenté
par Me Bouillault, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 23 décembre 2022 en ce qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour pour une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- l'arrêté vise les articles L. 611-1 à L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui englobe le 5° de l'article L. 611-1, et l'obligation de quitter le territoire français a été prise dans le même arrêté que le refus de titre de séjour ; c'est ainsi à tort que le tribunal n'a pas fait droit au moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- dès lors qu'il était titulaire d'un titre de séjour depuis le 15 octobre 2019 et qu'il en avait sollicité le renouvellement avant son expiration, c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il se trouvait en situation irrégulière depuis plus de trois mois à la date de l'arrêté ;
- présent en France depuis plus de neuf ans, il est toujours marié à une ressortissante marocaine titulaire d'une carte de résident, sa sœur de nationalité française qui réside en France promet de l'héberger, il a des amis, il était titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée à la date de son placement sous contrôle judiciaire le 5 février 2021, il dispose d'une promesse d'embauche pour sa sortie de détention, et il a participé à des ateliers de citoyenneté et à une formation aux métiers de la propreté et de l'hygiène durant son incarcération ; en outre, il reçoit des soins en France et il est propriétaire d'un terrain en Dordogne ; alors que son père est décédé en 2017, sa vie privée et familiale se trouve désormais en France, de sorte que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :
- la décision est insuffisamment motivée ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
- la décision est insuffisamment motivée dès lors qu'elle fait seulement référence à la menace à l'ordre public, sans tenir compte des autres critères fixés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la durée de trois ans de l'interdiction de retour est disproportionnée au regard
de sa situation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas motivée en fait au regard de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. A... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., de nationalité marocaine, a déclaré être entré en France
le 25 avril 2014. Après avoir épousé le 16 juin 2015 une compatriote titulaire d'une carte de résident, il s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", renouvelée jusqu'au 14 octobre 2021. Le 31 août 2021, alors qu'il était séparé de son épouse, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " auprès des services de la préfecture de la Dordogne. Par un arrêté du 23 décembre 2022, le préfet de la Charente-Maritime a refusé d'autoriser la poursuite de son séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour pour une durée de trois ans. Par un jugement du 10 mai 2023, le tribunal administratif de Poitiers, saisi
par M. A... C... d'une demande d'annulation de cet arrêté, a seulement annulé la décision de refus de titre de séjour pour défaut de motivation, et a enjoint au préfet de prendre une nouvelle décision. M. A... C... relève appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit au surplus de ses conclusions.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / (...) / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / (...). "
3. En premier lieu, il ressort de la rédaction de l'arrêté du 23 décembre 2022
que l'obligation de quitter le territoire français a été prise sur le fondement du 5° de
l'article L. 611-1, en raison d'une menace pour l'ordre public, et non par voie de conséquence de la décision de refus de " la poursuite du séjour " prise par le même arrêté. Les premiers juges ont annulé cette dernière décision pour défaut de motivation quant à la demande en qualité de salarié qui avait été présentée au préfet de la Dordogne et eu égard à ce motif, ils ont seulement enjoint au préfet de la Charente-Maritime de prendre une nouvelle décision. Ainsi, alors que l'illégalité du refus de titre de séjour n'impliquait pas la délivrance d'un titre de séjour et que l'obligation de quitter le territoire français n'avait pas été prise sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1,
M. A... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit au moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français.
4. En deuxième lieu, M. A... C... ne conteste pas que, comme l'a relevé le tribunal au point 5 du jugement, il s'est vu remettre le 1er septembre 2021, lors du dépôt de sa demande de titre de séjour, un récépissé dont la validité a expiré le 28 février 2022, et la circonstance alléguée que ce récépissé n'aurait pas été renouvelé du fait de son incarcération ne ressort pas des pièces du dossier. Par suite, il se trouvait bien en situation irrégulière depuis plus de trois mois le 23 décembre 2022, et le préfet pouvait lui faire obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'obligation de quitter le territoire français, M. A... C..., entré en France à l'âge de 39 ans, y résidait depuis plus de huit ans et se trouvait en détention depuis près d'un an pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement de quatre ans, dont deux avec sursis probatoire durant trois ans, à laquelle il avait été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Bergerac du 22 juin 2021 pour des faits d'agression sexuelle commis du 1er janvier 2016 au 2 février 2021 sur la fille mineure de son épouse, alors âgée de six à douze ans. Si le requérant fait valoir qu'il est toujours marié, il n'établit ni même n'allègue avoir conservé des liens avec son épouse. Ni les circonstances que son père est décédé en 2017 et que l'une de ses sœurs de nationalité française réside en France, ni les relations amicales et les perspectives d'emploi dont il se prévaut ne suffisent à faire regarder la mesure d'éloignement prise à son encontre comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées.
Sur le refus de délai de départ volontaire :
7. En citant l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant à l'autorité administrative de refuser un délai de départ volontaire lorsque le comportement de l'étranger constitue une menace à l'ordre public, en faisant référence à la condamnation mentionnée au point précédent et en relevant que le comportement de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public, le préfet de la Charente-Maritime a suffisamment motivé sa décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire à M. A... C....
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 6 que M. A... C... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
9. Aux termes de l'article de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. " La décision indique que M. A... C... ne justifie pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Alors que M. A... C... n'établit ni même n'allègue avoir fait état de quelconques craintes en cas de retour au Maroc, cette motivation est suffisante en fait.
Sur l'interdiction de retour :
10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...). "
11. La décision relève que M. A... C... ne justifie d'aucune circonstance humanitaire particulière justifiant de ne pas prononcer d'interdiction de retour, que
son comportement délictuel durant plus de cinq ans constitue une menace grave à l'ordre et
à la sécurité publics, et que compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Ces circonstances, décrites par l'arrêté, se rapportent à la date d'entrée en France, au " divorce " d'avec son épouse, mère de la victime, à l'absence de perspective de réinsertion à la levée d'écrou et aux attaches familiales conservées au Maroc. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. A... C..., la motivation de l'interdiction de retour, qui ne se limite pas à la menace pour l'ordre public, est suffisante en fait au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code
de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Eu égard aux éléments exposés au point 6, et alors même que M. A... C... n'avait pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il avait commencé des soins dans le service de psychiatrie de l'unité de consultation et de soins ambulatoires du centre
de détention de Bédenac le 9 décembre 2022, la durée de trois ans de l'interdiction de retour ne peut être regardée comme entachée d'erreur d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions à fin d'annulation des décisions du 23 décembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour pour une durée de trois ans. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... C... et au ministre de l'intérieur
et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX02045