Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... veuve B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 14 avril 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour, ou subsidiairement de réexaminer sa situation.
A... un jugement n° 2301133 du 19 septembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
A... une requête enregistrée le 8 décembre 2023, Mme D..., représenté
par Me Roux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 14 avril 2023 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de vingt jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 794 euros au titre de la première instance et de la même somme au titre de l'appel sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative
et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- trois médecins qui exercent en Guinée attestent que le Lévothyrox(r) ne peut pas être trouvé dans ce pays, et cette indisponibilité est également attestée par la société Soguiphar, importatrice de produits pharmaceutiques ; elle apporte ainsi en appel la preuve de ce qu'elle ne pourrait avoir accès à son traitement en Guinée ;
- la préfète n'a pas saisi la commission du titre de séjour, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de
sa vie privée et familiale, en méconnaissance du préambule de la Constitution de 1946,
de l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966
et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car " tous ses enfants " résident régulièrement en France, où sont nés ses huit petits-enfants ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :
- elles sont illégales du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur " des enfants ".
A... un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2024, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- selon la liste nationale guinéenne des médicaments essentiels, le principe actif du médicament est disponible en Guinée ; en se bornant à produire l'attestation d'un importateur privé, Mme D... ne démontre pas qu'elle ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans ce pays ;
- Mme D..., hébergée par le centre communal d'action sociale de Limoges, n'établit pas l'intensité de ses liens avec ses enfants résidant en France, et l'un de ses fils pourrait se trouver au Congo ; ainsi, le refus de titre de séjour n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa vie privée et familiale ;
- dès lors que Mme D... ne peut prétendre de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour, il n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment le préambule du 27 octobre 1946 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., de nationalité guinéenne, est entrée en France le 22 janvier 2018
sous couvert d'un visa de court séjour. Le 14 janvier 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé, et par un arrêté du 17 juillet 2020, la préfète de
la Haute-Vienne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 4 octobre 2022, Mme D... a sollicité à nouveau un titre de séjour pour le même motif. A... un arrêté du 14 avril 2023, la préfète de la Haute-Vienne a rejeté cette seconde demande, a refusé de prendre une mesure de régularisation exceptionnelle, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme D... relève appel du jugement du 19 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...). "
3. Selon l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 21 novembre 2022, l'état de santé de Mme D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., qui a subi une thyroïdectomie le 9 avril 2018, doit suivre à vie un traitement à base de lévothyroxine, hormone thyroïdienne de synthèse, et que le Lévothyrox(r) lui est prescrit en France à cet effet. Si la requérante produit les attestations de trois médecins d'un centre médical de Conakry et d'un grossiste importateur de produits pharmaceutiques en Guinée indiquant respectivement que le Lévothyrox(r) " ne peut pas être trouvé en Guinée " et " n'existe pas sur le marché guinéen ", elle n'établit ni même n'allègue que ce médicament ne serait pas substituable, et il ressort de la liste nationale des médicaments essentiels de la République de Guinée produite par l'administration que la lévothyroxine est disponible dans ce pays. En se bornant à reprendre ses allégations selon lesquelles elle n'y aurait aucune ressource, tant humaine que financière, Mme D... ne remet pas sérieusement en cause l'appréciation portée par la préfète de la Haute-Vienne sur la disponibilité du traitement dans son pays d'origine. Dans ces circonstances, elle n'est pas fondée à se prévaloir d'un droit au séjour sur le fondement des dispositions précitées.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission
du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative :1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou
L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; (...)." Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'établit pas remplir effectivement les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces circonstances, la préfète de la Haute-Vienne n'était pas tenue de saisir préalablement pour avis la commission du titre de séjour.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
6. Mme D..., qui réside en France depuis cinq ans et demi à la date de la décision de refus de titre de séjour, se prévaut de la présence de trois de ses quatre enfants vivants et de huit petits-enfants qui seraient tous en situation régulière ou de nationalité française. Toutefois, les justificatifs partiels qu'elle produits présentent des incohérences au regard de la composition de la famille détaillée dans la demande de titre de séjour, et il n'est pas démontré que les enfants, dont deux résident en région parisienne et la troisième à Limoges, procureraient effectivement à leur mère l'aide et le soutien qu'ils allèguent, alors qu'il ressort des pièces du dossier que cette dernière est hébergée à Limoges dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale. Dans ces circonstances, le refus de titre de séjour ne peut être regardé comme portant au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées, ni aux principes de même nature énoncés par le préambule de la Constitution de 1946 et l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966.
Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays
de renvoi :
7. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
8. Pour les motifs exposés au point 6, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'intérêt supérieur " des enfants " n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. A... suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... veuve B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX03001