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31/07/2024 | FRANCE | N°23BX02642

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 31 juillet 2024, 23BX02642


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Anamay Transports Manutention et Location a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane de condamner la communauté d'agglomération du Centre Littoral à lui verser une provision d'un montant de 433 521, 94 euros au titre de la prestation de transport réalisée, majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 1er juillet 2012.



Par une ordonnance n° 2201087 du 15 septembre 2023, le président du tribunal admin

istratif de la Guyane a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :



Par une requ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Anamay Transports Manutention et Location a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane de condamner la communauté d'agglomération du Centre Littoral à lui verser une provision d'un montant de 433 521, 94 euros au titre de la prestation de transport réalisée, majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 1er juillet 2012.

Par une ordonnance n° 2201087 du 15 septembre 2023, le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 octobre 2023 et 26 mars 2024, la société Anamay Transports Manutention et Location, représentée par Me Toumi, demande au juge d'appel des référés :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération du Centre Littoral à lui verser une provision de 433 521,94 euros au titre de la prestation de transports réalisée ;

3°) d'assortir cette somme des intérêts légaux à compter du 1er juillet 2012 ;

4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Centre Littoral une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge des référés du tribunal a dénaturé les pièces du dossier en estimant que la charge de l'indemnisation du préjudice financier qu'elle a subi des suites de l'exécution des délégations de service public en cause pour l'année 2010 n'incombait pas à la personne publique mais au prestataire, alors qu'il ressort des pièces du dossier que par une délibération en date du 17 juin 2011, le département de la Guyane avait décidé d'indemniser la société requérante pour sa perte subie en 2010 des suites de l'exécution des délégations de service public ;

- dès lors que le Conseil d'Etat a jugé que l'obligation de payer le prix de la prestation de transport qu'elle a effectuée incombait à la CACL, l'obligation n'est pas sérieusement contestable et, en dépit de ces éléments, le juge des référés a entaché sa décision d'erreur d'appréciation et d'erreur dans les motifs en estimant que la charge de l'indemnisation du préjudice lui incombait ;

- la CACL a ajouté 105 jours de fonctionnement et augmenté le kilométrage parcouru de 72 % et ces modifications sont substantielles et bouleversent l'économie des conventions contrairement à ce qu'a retenu le premier juge ;

- s'agissant du quantum du préjudice, l'autorité délégante aurait dû lui verser une compensation financière d'un montant de 189 544 euros au titre de l'année 2011 et de 125 611 euros au titre de l'année 2012 ainsi, qu'au titre de la perte de marge bénéficiaire, 34 371, 44 euros au titre de l'année 2010, 23 641,82 euros au titre de l'année 2011 et 20 950, 65 euros au titre du premier semestre de l'année 2012 ainsi que la somme de 39 403,33 euros au titre de la période du 13 mai 2011 au 31 décembre 2011

En réponse au mémoire en défense :

- sa requête de première instance était recevable dès lors qu'elle n'était pas tardive ;

- la créance n'était pas prescrite à la date d'introduction de sa requête de première instance dès lors que le délai de prescription a été interrompu en raison du fait que la société requérante a sollicité, dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif de la Guyane, la mise en cause de la communauté d'agglomération du Centre Littoral (CACL), qui a été attraite à la cause en qualité d'observateur ;

- l'imputabilité de la créance à la CACL est incontestable pour avoir été confirmée par la cour administrative d'appel de Bordeaux et le Conseil d'Etat ; la CACL a hérité de l'ensemble des droits et obligations du département de la Guyane concernant cette compétence, à compter du 1er juillet 2012.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 janvier 2024 et 17 juin 2024, la communauté d'agglomération du Centre Littoral (CACL), représentée par le cabinet Peyrical et Sabattier associés, agissant par Me Peyrical, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, à son rejet au fond, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Anamay Transports Manutention et Location sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle est tardive au regard de l'article R. 541-3 du code de justice administrative ;

- à titre subsidiaire : le juge des référés du tribunal n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que la charge de l'indemnisation du préjudice financier subi par la requérante des suites de l'exécution des délégations de service public en cause pour l'année 2010 n'incombait pas à la personne publique mais au prestataire,

- à titre infiniment subsidiaire : la requête de première instance était tardive en raison de l'existence de réclamations antérieures devenues définitives et non contestées dans les délais et la créance est prescrite.

Par une ordonnance du 30 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juin 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

2. Il résulte des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative précitées que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

3. Le 8 décembre 2009, le département de la Guyane a, par quatre délégations de service public, attribué à la société Anamay Transports Manutention et Location la gestion et l'exécution d'une partie du service public de transport interurbain de voyageurs sur le territoire de la collectivité, soit les lots n° s 1, 2 et 3 de la ligne de bus n° 12 Matoury-Mairie / Cayenne ainsi que le lot n° 2 de la ligne de bus n° 6 Macouria / Cayenne. Les conventions étaient conclues pour une durée de quatre ans à compter du 1er janvier 2010. Par quatre avenants en date du 21 août 2012, la Communauté d'agglomération du Centre Littoral (CACL) s'est substituée au département de la Guyane pour l'ensemble des droits et obligations de ces quatre délégations à compter du 1er juillet 2012. Par un courrier du 6 mars 2014, la société Anamay Transports Manutention et Location a demandé au département de la Guyane de lui verser la somme de 433 521,94 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'exécution des délégations de service public du 8 décembre 2009 précitées. En l'absence de réponse, elle a saisi, le 3 juillet 2016, le tribunal administratif de Guyane et demandé la condamnation de la collectivité territoriale de Guyane, résultant de la fusion à compter du 1er janvier 2016 entre le Département et la Région, à lui verser cette somme de 433 521,94 euros assortie des intérêts. Cette requête a été rejetée par un jugement du 14 mars 2019, confirmé par un arrêt de la Cour du 17 juin 2021 au motif que sa requête était mal dirigée, devenu définitif suite au rejet du pourvoi de la société Anamay. Par un courrier reçu le 25 août 2021, la requérante a réitéré sa réclamation auprès de la CACL, puis de nouveau par courrier du 26 mai 2022. En l'absence de réponse, la société Anamay Transports Manutention et Location a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane de condamner la CACL à lui verser, à titre de provision, la somme de 433 521,94 euros assortie des intérêts, correspondant d'une part aux compensations financières d'un montant de 189 544 euros et 125 611 euros auxquelles elle prétend respectivement pour les années 2011 et 2012, d'autre part, aux pertes de marge qu'elle estime à hauteur d'un montant total de 118 367,24 euros au titre des années 2010, 2011 et 2012. Elle relève appel de l'ordonnance n° 2201087 du 15 septembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

4. Aux termes de l'article 10.1 des conventions en litige : " Le délégataire exploite le service à ses risques et périls sur la base de la structure tarifaire et du compte prévisionnel d'exploitation prévu à l'annexe technique (...). ". Aux termes de l'article 10.2 des mêmes conventions : " Le délégataire gère le service à ses risques et périls. Il n'est donc pas prévu de contribution financière. / Toutefois, il peut bénéficier des aménagements prévus à l'article 6 de la présente. / Par ailleurs, et uniquement si après ces aménagements, le rapport comptable annuel s'avère déficitaire en raison de la consistance du service (rotation, itinéraire, horaire, tarif, demande des usagers), le délégataire pourra obtenir, après vérification du département (...), l'attribution d'une contribution visant à compenser les charges spécifiques de service public. Le montant de cette compensation financière est fixé pour l'année d'exploitation considéré. ". Aux termes de l'article 12 des dites conventions : " L'exploitant perçoit les recettes des titres de transport auprès des usagers. / L'autorité organisatrice remet à l'exploitant les billets nécessaires à l'exploitation (...) ".

5. En premier lieu, les conventions en litige sont des délégations de service public au sens de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à la date de passation des contrats, la société Anamay tirant sa rémunération de l'exploitation du service, sa rémunération comprenant, selon l'article 10 des conventions, les recettes commerciales, la valeur des titres remis par le Département et toutes autres recettes liées à l'exploitation de la ligne. La société Anamay, qui en est ainsi la délégataire, supporte en conséquence le risque financier de l'exploitation, ainsi que l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, sans commettre l'erreur de droit alléguée. Si l'article 10.2 des conventions en cause prévoyait une contribution financière exceptionnelle du délégant, celle-ci ne pouvait intervenir que si, après des aménagements des services effectués en application de l'article 6, le rapport comptable annuel s'avérait déficitaire en raison de la consistance du service.

6. D'une part, la société requérante ne peut sérieusement soutenir que l'obligation de lui accorder une provision résulterait de la décision du Conseil d'Etat, qui aurait désigné la CACL comme débitrice de sa créance, dès lors que, par sa décision du 7 avril 2022, le Conseil d'Etat n'a pas admis son pourvoi formé contre l'arrêt du 17 juin 2021, par lequel la Cour a jugé que ses conclusions relatives à d'éventuelles fautes commises dans l'exécution des contrats ne pouvaient être dirigées que contre la CACl, sans pour autant préjuger de l'issue d'une telle instance.

7. D'autre part, si la société requérante a produit en première instance diverses pièces, notamment des fiches d'incident ou des courriers adressés au département, ces pièces datent de 2010, année pour laquelle une compensation financière lui a été versée à hauteur de 175 793,16 euros, somme mandatée le 10 août 2011. A cet égard, si la société requérante soutient que l'attestation de paiement établie le 27 août 2011 n'a pas été suivie d'effet, elle n'apporte aucun élément complémentaire de nature à établir le montant de la compensation financière qui lui a été versé, alors qu'elle ne demande pas de surcroît de compensation au titre de l'année 2010. Pour les années suivantes, elle ne justifie pas avoir sollicité des aménagements du service, préalable exigé par l'article 6 des conventions avant l'attribution d'une contribution visant à compenser les charges spécifiques de service public. Par ailleurs, si elle produit, en appel, les rapports d'activité des années 2010, 2011 et 2012, le document produit pour l'année 2010 s'avère être le rapport d'activité du seul 1er semestre 2010, le document daté du 2 mai 2012 adressé au délégant ne comprend pas le bilan comptable qui y est visé et le document daté du 2 mai 2013 est relatif au bilan du 2ème semestre 2012 et ne comporte qu'une note de la société d'expertise comptable. Ainsi, au regard des pièces produites, les créances dont la société requérante se prévaut tendant à compenser son déficit d'exploitation à hauteur de 189 544 euros au titre de l'année 2011, et de 125 611 euros pour l'année 2012 ne présentent pas un caractère non sérieusement contestable, et " le rapport d'expertise privée " qu'elle produit, selon lequel la société se serait scrupuleusement acquittée de l'obligation de produire au 1er juin les comptes-rendus d'activité ne saurait l'établir.

8. La société Anamay ajoute que l'autorité délégante a apporté des modifications substantielles aux conventions en litige portant notamment sur l'ajout de nombreux arrêts et de 105 jours de fonctionnement, la modification de l'amplitude des horaires entraînant une augmentation du kilométrage parcouru de 72 % et le recrutement de nouveaux chauffeurs, qu'elle a dû faire face à des transporteurs concurrents sur les lignes dont elle était délégataire contre lesquels l'autorité délégante s'est abstenu de lutter et que le nombre de billets remis était insuffisant. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le tarif du billet ait été fixé à 1,80 euros postérieurement à la conclusion des conventions et, hormis quelques pièces produites pour l'année 2010 relatant les incidents notamment dans les premiers mois du commencement de l'exploitation, la société requérante n'apporte pas de précisions et d'éléments suffisamment probants de nature à établir les fautes alléguées, les relevés horaires des bus produits en appel ne comportant à cet égard pas de date. En outre, alors que la société requérante a bénéficié d'une contribution exceptionnelle pour l'année 2010 et d'une contribution partielle pour l'année 2011, les sommes réclamées au titre de la perte de marge correspondent à l'application d'un taux de 10 % sur le montant cumulé des recettes et des compensations attendues.

9. Il résulte de tout ce que précède, que l'obligation dont se prévaut la société Anamay Transports Manutention et Location envers la communauté d'agglomération du Centre Littoral envers ne présente pas, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non recevoir soulevée en défense et l'exception de prescription de la créance, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération du Centre Littoral, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Anamay Transports Manutention et Location demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Anamay Transports Manutention et Location une somme de 2 000 euros à verser à la communauté d'agglomération du Centre Littoral sur le fondement des mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Anamay Transports Manutention et Location est rejetée.

Article 2 : La société Anamay Transports Manutention et Location versera une somme de 2 000 euros à la communauté d'agglomération Centre Littoral sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Anamay Transports Manutention et Location et à la communauté d'agglomération du Centre Littoral.

Fait à Bordeaux, le 31 juillet 2024.

La présidente de la 6ème chambre,

Juge d'appel des référés,

Ghislaine Markarian

La République mande et ordonne au préfet de la Guyane, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

N° 23BX02642


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 23BX02642
Date de la décision : 31/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TAOUMI OLIVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-31;23bx02642 ?
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