Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. Bénard a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 12 février 2021 par lequel le président du conseil départemental de La Réunion a retiré l'arrêté du 20 octobre 2020 reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident survenu le 27 août 2020 et le plaçant en congé pour invalidité temporaire imputable au service.
Par un jugement n°2100445 du 23 novembre 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 12 février 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023, le département de La Réunion, représenté par Me De Faÿ, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2100445 du tribunal administratif de La Réunion du 23 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande d'annulation de l'arrêté du 12 février 2021 ;
3°) de mettre à la charge de M. Bénard une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de qualification juridique des faits ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, aucun élément du dossier ne permet de retenir l'existence d'un choc psychologique subi par M. Bénard ;
- à supposer même que M. Bénard ait subi un tel choc, aucun accident de travail ne saurait être qualifié dès lors que les propos tenus étaient légitimes, dans le cadre de l'exercice normal des fonctions d'un élu, et non menaçants ;
Sur les autres moyens de la demande :
- l'arrêté contesté est suffisamment motivé ;
- l'arrêté contesté n'est pas entaché de détournement de pouvoir ;
- dès lors qu'il n'y a pas eu d'accident, la présomption d'imputabilité au service n'a pas vocation à s'appliquer ;
- contrairement à ce que soutient M. Bénard, l'arrêté contesté pouvait légalement retirer l'arrêté du 20 octobre 2020 qui était illégal car fondé sur des faits non établis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, M. Bénard, représenté par Me Molière, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du département de La Réunion une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation ;
- l'enquête administrative diligentée le 7 décembre 2020, soit postérieurement à l'arrêté du 20 octobre 2020 reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident, est irrégulière, ce qui entache d'illégalité l'arrêté de retrait contesté ;
- l'arrêté contesté est entaché de détournement de pouvoir dès lors que l'enquête administrative diligentée le 7 décembre 2020 a eu pour seul objet de faire obstacle aux droits et garanties qui lui avaient été reconnus suite à la reconnaissance d'imputabilité de son accident au service et de protéger l'élue incriminée ;
- l'arrêté du 20 octobre 2020 ne pouvait être retiré dès lors qu'il n'était pas illégal ; le conseil départemental n'a apporté aucun élément de nature à renverser la présomption d'imputabilité au service de l'accident survenu le 27 août 2020.
Par ordonnance du 6 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,
- les observations de Me Belal-Cordebar, représentant le département de La Réunion.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... Bénard, agent technique du département de La Réunion, responsable du site " l'espace Reydellet " situé à Saint-Denis, a reçu le 27 août 2020 la visite, sur son lieu de travail, de Mme Dindar, conseillère départementale, qui l'aurait, lors de ce déplacement, dénigré et menacé dans ses fonctions et devant son personnel. Le 8 septembre 2020, il a fait une déclaration d'accident de service survenu sur son lieu de travail pour cet événement. Par arrêté du 20 octobre 2020, le président du conseil départemental de La Réunion a reconnu l'imputabilité au service de cet accident, et a placé M. Bénard en congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) pour les périodes du 28 août 2020 au 4 septembre 2020 et du 26 septembre 2020 au 11 octobre 2020. Par arrêté du 12 février 2021 cette même autorité a retiré l'arrêté du 20 octobre 2020 aux motifs qu'après recueil d'éléments et témoignages, la matérialité des faits rapportés par M. Bénard n'était pas établie. Par le jugement attaqué du 23 novembre 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé cet arrêté. Par la présente requête, le département de La Réunion demande l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de M. Bénard tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 février 2021.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...) / Aux termes de II de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 : " I.-Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...). Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ".
4. Constitue un accident de service, pour l'application de ces dispositions, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
5. Il ressort des pièces du dossier que pour justifier de sa décision de retrait de l'arrêté du 20 octobre 2020 de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident survenu le 27 août 2020 à M. Bénard, le président du conseil départemental a considéré qu'après enquête administrative interne, les faits dénoncés par ce dernier de menaces et propos dégradants tenus à son encontre par Mme Dindar lors de sa visite sur site n'étaient pas matériellement établis. Il fait ainsi notamment valoir, qu'avant même de se déterminer sur son imputabilité au service, l'évènement ne pouvait tout simplement pas être qualifié d'accident.
6. Il ressort des pièces du dossier que le 27 août 2020, Mme Dindar, conseillère départementale du département de La Réunion et sénatrice de La Réunion à l'époque des faits litigieux, présidente du conseil départemental de la Réunion de 2004 à 2017, s'est rendue, accompagnée de deux de ses collaborateurs, à l'espace Reydellet, site dépendant du département et hébergeant diverses associations, afin de présenter une association d'insertion au nouveau directeur de cabinet de la collectivité, à qui elle avait donné rendez-vous à 15 heures sur place. M. Bénard, responsable du site, a été informé de cette visite le jour même, en fin de matinée, par M. A..., directeur des bâtiments et du patrimoine. Il ressort des témoignages concordants recueillis que peu après son arrivée, et alors que le directeur de cabinet n'était pas encore présent, Mme Dindar s'est rendue, après avoir salué les deux agents présents sur site, M. C... animateur et Mme B... agent d'accueil, et leur avoir demandé " pourquoi il ne se passait plus rien sur le site ", dans le bureau de M. Bénard, que des échanges " houleux " ont eu lieu, au cours desquels cette dernière a reproché à M. Bénard son incompétence, et qu'elle est ressortie de la pièce en proférant distinctement des propos en langage créole " si ou lé gonflé, ma dégonf a ou ", dégradants et humiliants qui pourraient se traduire par " vous êtes gonflés mais pour moi vous devez vous dégonfler ". Suite à cet incident, la visite des locaux et la présentation de l'association s'est déroulée sans accroc majeur. M. Bénard est resté dans son bureau et y a été rejoint par M. A..., arrivé peu après sur les lieux. Suite à cet évènement, M. Bénard a déclaré à son employeur dès le lendemain un accident de travail, en transmettant à l'appui de sa demande, un certificat médical, décrivant un " choc psychologique ", et des arrêts de travail lui ont été délivrés pour la période du 28 août au 4 septembre 2020, puis pour celle du 26 septembre au 11 octobre 2020. Contrairement à ce que soutient le département, et quand bien même l'avis du chef de service ayant rédigé le rapport hiérarchique, qui n'était pas présent le jour des faits, ne fait que reprendre les déclarations concordantes de M. Bénard et de M. A..., il résulte de ce qui précède que les faits dénoncés sont matériellement établis, notamment s'agissant des propos proférés, qui ont été tenus devant des tiers lors d'une visite de Mme Dindar sur site pour laquelle M. Bénard n'avait été prévenu que tardivement, et non lors d'un entretien professionnel dans le cadre de l'exercice normal de son autorité hiérarchique. Il ressort ainsi des pièces du dossier que M. Bénard a bien subi un choc psychologique consécutif à cet évènement soudain et violent, quand bien même il aurait poursuivi sa journée de travail après l'altercation et que le médecin qu'il a consulté ne lui aurait prescrit ni traitement médicamenteux ni suivi psychologique. Dans ces conditions, cet évènement doit être qualifié d'accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par M. Bénard de ses fonctions. Par ailleurs, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'aucune faute personnelle de M. Bénard ni aucune autre circonstance particulière détachant l'accident du service n'était de nature à renverser la présomption d'imputabilité prévue par les dispositions précitées du II de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, quand bien même il n'a pas suivi la délégation lors de la visite. Par suite, le président du conseil départemental a, en retirant l'arrêté du 20 octobre 2020 qui n'était pas, contrairement à ce qu'il soutient, illégal, méconnu les dispositions précitées de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Il résulte de ce qui précède que le département de La Réunion n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 12 février 2021.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de La Réunion une somme de 1 500 euros à verser à M. Bénard au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du département de La Réunion est rejetée.
Article 2 : Le département de La Réunion versera à M. Bénard une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à sera notifiée à M. D... F... Bénard et au département de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La rapporteure,
Héloïse E...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00201