Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I... de los Angeles Y... AC..., Mme H... O... Y... et
Mme E... O... Y..., agissant en leur noms propres et en leurs qualités d'ayants droits de M. S... O... Z..., ainsi que M. D... Q... V..., les enfants mineurs, J... Q... O..., C... Q... V..., B... de AB... O... et K... de AB... O... représentés par leurs parents, l'organisme de sécurité sociale basque Osakidetza et la compagnie d'assurances Mapfre España ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser des indemnités d'un montant total de 2 929 561,56 euros en réparation des préjudices directement subis par M. S... O... Z... à l'occasion de sa prise en charge du 22 mai 2013.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 172 647 euros au titre des frais et débours exposés pour le compte de son assuré et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 2000343, 2000604 du 4 janvier 2022, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à verser :
* à Mmes I... de los Angeles Y... AC..., H... O... Y... et E... O... Y..., en leur qualité d'ayants droit de M. O... Z..., une indemnité de 523 150,54 euros portant intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019 ;
* en réparation de leurs préjudices propres, la somme de 22 424,62 euros à Mme I... de los Angeles Y... AC..., la somme de 5 250 euros à Mme H... O... Y..., la somme de 5 250 euros à Mme E... O... Y..., la somme de 2 250 euros au représentant légal de J... Q... O..., la somme de 2 250 euros au représentant légal de C... Q... V..., la somme de 2 250 euros au représentant légal de B... de AB... O..., la somme de 2 250 euros au représentant légal de K... de AB... O... et la somme de 750 euros à M. D... Q... V..., sommes portant intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019 ;
* à la caisse primaire d'assurance maladie la Gironde la somme de 76 465 euros au titre de ses débours et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mars 2022 et des mémoires enregistrés le 23 mai 2023 et le 3 novembre 2023, Mme I... de los Angeles Y... AC..., Mme H... O... Y... et Mme E... O... Y..., agissant en leur noms propres et en leurs qualités d'ayants droits de M. S... O... Z..., ainsi que M. D... Q... V..., les enfants mineurs, J... Q... O..., C... Q... V..., B... de AB... O... et K... de AB... O... représentés par leurs parents, l'organisme de sécurité sociale basque Osakidetza, représentés par Me T..., demandent à la cour :
1°) à titre principal, de réformer le jugement du 4 janvier 2022 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a retenu un taux de perte de chance de 75 % et qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs demandes indemnitaires ;
2°) de condamner le CHU de Bordeaux à verser la somme de 2 164 007,25 euros à
Mmes I... de los Angeles Y... AC..., H... O... Y... et E... O... Y..., en leur qualité d'ayants droit de M. O... Z..., assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de condamner le CHU de Bordeaux à verser à Mme I... de los Angeles Y... AC..., Mme H... O... Y..., Mme E... O... Y..., M. D... Q... V..., les enfants mineurs, J... Q... O..., C... Q... V..., B... de AB... O... et K... de AB... O... représentés par leurs parents, les sommes respectives
de 259 263,09 euros, 110 000 euros, 110 608,10 euros, 55 000 euros, 55 000 euros, 55 000 euros, 55 000 euros et 55 000 euros, en réparation de leurs préjudices propres, assortie des intérêts au taux légal ;
4°) à titre subsidiaire, d'évaluer le taux de perte de chance de M. O... Z... à 95% et de condamner le CHU de Bordeaux à verser à Mmes I... de los Angeles Y... AC..., H... O... Y... et E... O... Y..., en leur qualité d'ayants droit de M. O... Z..., 95 % des sommes demandées dans le cadre de l'action successorale, assorties des intérêts au taux légal ;
5°) de condamner le CHU de Bordeaux à verser à l'organisme de sécurité sociale basque Osakidetza la somme de 110 251,21 euros au titre des débours versés pour le compte de son
assuré ;
6°) de rejeter les conclusions incidentes du CHU de Bordeaux ;
7°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux les entiers dépens, dont les frais d'expertise qui s'élèvent à 9 200 euros, et le paiement de la somme de 10 000 euros aux consorts Y... AC..., et la somme de 2 500 euros à l'organisme Osakidetza, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a omis de statuer sur les frais d'expertise ;
- l'appel incident présenté par le CHU de Bordeaux, qui tend à contester le principe même de sa responsabilité est irrecevable en tant qu'il soulève un litige distinct de l'appel principal, qui ne porte que sur l'évaluation des indemnisations, non sur la responsabilité ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité du CHU de Bordeaux est établie ; dans la nuit
du 22 au 23 mai 2013, M. O... Z... a subi un arrêt cardiaque causé par l'obstruction de sa sonde d'intubation, avec un " no flow " de 5 minutes, documenté par la feuille d'évènement ; l'expert a conclu à une prise en charge non diligente ;
- lorsqu'il a quitté la clinique Saint Augustin, M. O... Z... n'était plus atteint du cancer et ne présentait alors aucun signe d'un état neurologique sévère, lequel découle exclusivement de l'obstruction de sa sonde d'intubation dans la nuit du 22 au 23 mai 2013, au cours de sa prise en charge au CHU de Bordeaux ; le préjudice indemnisable n'est dès lors pas une perte de chance, ainsi que l'a considéré à tort le tribunal, mais l'entier dommage corporel subi par M. O... Z... ; le tribunal a d'ailleurs jugé que la faute commise par le CHU portait en elle l'intégralité du dommage mais n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en réduisant le préjudice indemnisable à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue d'éviter qu'il advienne ;
- si la cour devait considérer que le préjudice indemnisable relève de la perte de chance d'éviter le dommage corporel, elle fixera ce taux à 95 % au minimum ; la faute des anesthésistes retenue par l'expert consiste dans le défaut de prise en charge adapté du choc septique qui a contribué, dans une moindre mesure, au dommage corporel subi ; le tribunal judiciaire de Bordeaux, par un jugement du 19 octobre 2023, a d'ailleurs exclu toute faute des anesthésistes Rapaport et Deroudhile, et bien qu'une faute ait été retenue à l'encontre du docteur U..., le tribunal a écarté tout lien direct entre celle-ci et les préjudices subis par M. O... Z... ;
En ce qui concerne les préjudices de la victime directe :
- les dépenses liées à l'hospitalisation au CHU de Bordeaux entre le 18 mai et
le 18 juillet 2013, restant à la charge de M. O... Z..., se sont élevées à 1 134,00 euros ; les frais engagés à Saint-Sébastien ont été couverts par Osakidetza et Mapfre ; les honoraires ORL du docteur G... T... pour les séances de "logofonatria" se sont élevés à 10 536,50 euros, dont 9 246,50 euros sont demeurés à la charge de la victime, les consultations d'orthophonie " logopedia " à 9 030,00 euros, dont 8 850,00 euros non remboursés, les soins prodigués à l'hôpital Aita Menni à 48 657,50 euros, dont 48 057,50 euros non couverts, les visites neurologiques
à 2 270,00 euros, avec un reste à charge de 1 772,00 euros ; 100 euros ont été personnellement exposés pour une consultation urologique ; le coût du transfert en ambulance de Bordeaux à Saint-Sébastien s'élève à 1 360,00 euros, celui des déplacements en taxi pour les consultations à 4 723,30 euros, et ceux des trajets en bus pour se rendre à l'hôpital s'élèvent à 1 225,85 euros ;
- le sapiteur a estimé que M. O... Z... était, avant son décès, en situation de dépendance totale, nécessitant une assistance continue de 20 heures par jour par une tierce personne ; la jurisprudence prévoit un tarif moyen de 19 euros de l'heure pour ce type d'assistance ; afin d'assurer une présence continue de 20 heures par jour, il est nécessaire de compter
environ 1 021 jours de travail répartis sur trois personnes à plein temps, y compris les remplacements pour les week-ends, jours fériés et congés, ce qui représente un coût total
de 388 120,55 euros pour la période avant consolidation, le système social espagnol n'offrant par ailleurs aucune aide pour cette prestation ;
- l'expert a fixé le déficit fonctionnel permanent à 75 % pour la période du 16 mai 2013 au 4 décembre 2015, soit 932 jours ; le montant de l'indemnité doit être calculé sur la base, pour une incapacité temporaire totale, d'un demi SMIC journalier, lequel s'élève à 46 euros ; c'est donc à tort que le tribunal a fondé son calcul sur une indemnité journalière de 21 euros ; la cour allouera une somme de 16 077 euros ;
- l'expert a évalué les souffrances endurées à 5 sur une échelle de 7 ; la cour allouera une somme de 55 000 euros, qu'il n'y a pas lieu de proratiser comme le suggère le CHU ;
- l'expert a évalué le préjudice esthétique temporaire à 4 sur une échelle de 7 ; il découle de l'utilisation d'une chaise roulante et d'une salivation excessive avant une injection de toxine botulique en mars 2014 ; il pourra être évalué à la somme de 50 000 euros ;
- le sapiteur a indiqué qu'il serait nécessaire de renouveler le fauteuil roulant tous
les 4 ans, le siège de douche chaque année, et d'acheter un lit médicalisé et un lève-malade ; les frais estimés pour ces équipements, sur une période de plus de 5 ans après la consolidation, s'élèvent à 9 813,79 euros, sans aucune prise en charge par les organismes sociaux ;
- en raison de l'utilisation permanente d'une chaise roulante, l'appartement de M. O... Z... a dû être adapté, ce qui a notamment impliqué des travaux de rénovation du sol, des portes, et des balcons ; le coût total de ces aménagements, incluant des travaux dans la copropriété, s'élève à 129 498,02 euros ;
- afin de permettre à M. O... Z... de se déplacer, il était nécessaire d'acquérir un nouveau véhicule pouvant être aménagé, pour un coût total de 41 617,46 euros ;
- sur les mêmes bases de liquidation que celles retenues pour l'assistance temporaire par une tierce personne, une telle assistance, pour la période postérieure à la consolidation, pourra être indemnisée à hauteur de 795 397,26 euros ;
- les frais de santé futurs comprennent des séances d'orthophonie et de kinésithérapie, cinq fois par semaine, non prises en charge par les organismes sociaux ; le coût total estimé pour ces soins sur une période de 5 ans s'élève à 126 750,00 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent a été évalué à 90 % par l'expert ; le décès de la victime après la consolidation n'a donc aucune incidence sur l'évaluation du déficit fonctionnel permanent contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ; ce préjudice pourra être réparé à hauteur
de 270 000 euros, en tenant compte d'une valeur du point fixée à 3 000 euros ;
- M. O... Z..., autrefois actif dans de nombreuses activités de loisirs et de sport, a subi une perte totale de sa vie sociale ; ce préjudice pourra être évalué à 100 000 euros ;
- le préjudice esthétique permanent, lié à la circonstance que la victime était contrainte de se déplacer en fauteuil roulant pour le reste de sa vie, pourra être évalué à 50 000 euros ;
- le préjudice sexuel, qualifié de majeur par l'expert, pourra être évalué à la somme
de 50 000 euros ;
En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :
- avant l'accident, Mme Y... AC... s'occupait de sa mère pour une rémunération de 500 euros par mois ; elle a été contrainte de cesser cette activité pour s'occuper de son époux ; la perte de revenus sur 67 mois jusqu'au décès de sa mère le 13 décembre 2018 peut être évaluée à 33 500 euros ;
- Mme O... Y... a pris un congé sans solde au moment de l'accident, entraînant une perte de salaire de 608,10 euros ;
- les frais engagés par la famille lors des séjours à Bordeaux pour être auprès
de M. O... Z... s'élèvent à un total de 6 229,39 euros ;
- Mme Y... AC... a dû subir une opération en 2016 pour des problèmes d'audition, aggravés par la communication avec son époux ; le coût de l'implant auditif est de 9 533,70 euros ;
- la vie de la famille a été bouleversée par l'état de dépendance totale de M. O... Z..., autrefois dynamique et pilier de sa famille ; le préjudice d'affection en découlant pourra être évalué à 100 000 euros pour son épouse, 50 000 euros pour chacune de ses filles, 25 000 euros pour son gendre, et 25 000 euros pour chacun de ses petits-enfants ;
- le décès de M. O... Z..., survenu le 27 février 2021 après une fausse route, doit être regardé comme imputable aux séquelles de l'accident de soins, il a exacerbé la souffrance déjà intense de ses proches ; c'est à tort que le tribunal n'a pas indemnisé le préjudice extrapatrimonial permanent en résultant, qui peut être évalué à 110 000 euros pour son épouse,
60 000 euros pour chacune de ses filles, 30 000 euros pour son gendre, et 30 000 euros pour chacun de ses petits-enfants ;
En ce qui concerne les débours exposés par Osakidetza :
- les débours présentés par l'organisme basque de santé Osakidetza détaillent les nombreuses prestations de soins dispensés à domicile, inévitablement causées par l'état de santé de M. O... Z..., directement lié aux fautes du CHU de Bordeaux ; la cour allouera à cet organisme la somme de 110 251, 21 euros, arrêtée au 6 janvier 2020.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 avril 2023, 8 juin 2023, 2 novembre 2023 et 23 novembre 2023, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par la SEARL Le Prado-Gilbert, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à titre principal à l'annulation du jugement du tribunal et, à titre subsidiaire, à sa réformation ;
3°) par la voie de l'appel provoqué, à ce que les conclusions de première instance de la CPAM de la Gironde soient rejetées.
Il soutient que :
- son appel incident ne porte pas sur un litige distinct, il est recevable ;
- aucune faute n'est établie ; la surveillance de M. O... Z... a été adéquate, comme le démontre la feuille de surveillance du docteur R... ; les paramètres étaient bien surveillés, les alarmes correctement réglées et activées, et une gazométrie a été réalisée à 4h22, indiquant une réanimation efficace ; le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 19 octobre 2023 n'est revêtu d'aucune autorité à l'égard du juge administratif et ne se prononce pas, en tout état de cause, sur la faute du CHU ;
- la durée du " no flow ", que les experts estiment de 4 ou 5 minutes, a été contestée, notamment par le rapport critique du docteur F... qu'il produit, lequel relève qu'une telle durée est peu plausible dans le contexte d'une surveillance continue dans une unité de réanimation ;
- la survenue de l'arrêt cardio-respiratoire relève d'un aléa thérapeutique, dès lors qu'il avait été procédé à l'aspiration des sécrétions ; les séquelles présentées par M. O... Z... sont exclusivement en lien avec cet accident médical non fautif ;
- le taux de perte de chance de 75 % retenu par le tribunal est excessif ; il existe un délai incompressible de 2 à 3 minutes pour mettre en place des mesures de réanimation après le déclenchement d'une alarme suite à un arrêt cardiaque, au cours duquel des lésions neurologiques irréversibles peuvent se constituer ; le cerveau du patient par ailleurs avait déjà souffert de l'état de choc septique avec hypotension survenu au cours de la prise en charge au sein de la clinique Saint-Augustin ; aucune perte de chance ne peut être retenue, et à tout le moins elle serait minime ;
- seuls les frais de santé temporaires exposés à compter du 23 mai 2013, comme l'a indiqué le tribunal, pourront être mis à la charge du centre hospitalier, à hauteur du taux de perte de chance retenu ;
- les frais divers ne pourront être indemnisés qu'à hauteur du taux de perte de chance retenu ;
- les frais d'assistance à tierce personne antérieurs à la consolidation ne pourront être pris en charge qu'à compter du retour à domicile de M. O... Z... jusqu'à la date de consolidation, soit 795 jours ; ils auront pour base le salaire minimum interprofessionnel de croissance espagnol, incluant les charges applicables dans ce pays, une année de 400 jours et un taux horaire de 6,03 euros ; les prestations destinées compenser cette aide seront déduites ;
- les dépenses de santé futures ne sont pas établies ; en outre, les frais d'achat d'un fauteuil électrique, d'un siège de douche et d'un fauteuil roulant manuel sont pris en charge au titre des dépenses de santé actuelles ;
- s'agissant des frais de logement adapté, il convient de distinguer entre les travaux nécessaires en raison du handicap et ceux liés à la rénovation, et les travaux dans le logement de la fille aînée et dans la copropriété ne peuvent être retenus ;
- l'acquisition d'un véhicule aménagé par M. O... Z... n'est pas établie ;
- les frais d'assistance à tierce personne postérieurs à la consolidation jusqu'au décès de la victime auront pour base le salaire minimum interprofessionnel de croissance espagnol, incluant les charges applicables dans ce pays, une année de 400 jours et un taux horaire de 7,39 euros ; les prestations destinées à compenser cette aide seront déduites ;
- s'agissant des dépenses de santé futures de kinésithérapie et d'orthophonie, seuls les frais réellement engagés pourront être mis à la charge du CHU, à hauteur du taux de perte de chance retenu ;
- le déficit fonctionnel temporaire ne peut être indemnisé qu'à compter du 23 mai 2013 ; en se fondant sur le référentiel de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), qui prévoit une indemnisation journalière moyenne de 13 euros pour une incapacité totale, ce poste de préjudice pourra être ramené à la somme de 8 426,60 euros avant application du taux de perte de chance ;
- sur la base du référentiel de l'ONIAM, les souffrances endurées pourront être estimées à 15 000 euros avant application du taux de perte de chance ;
- le préjudice esthétique pourra être évalué à 7 000 euros avant application du taux de perte de chance, et en tenant compte du décès de M. O... Z... cinq ans après la consolidation ; le jugement sera réformé sur ce point ;
- en tenant compte du tableau INSEE sur l'espérance de vie (coefficient de 22,1 pour un homme de 66 ans), le déficit fonctionnel permanent pourra être ramené à la somme à 45 761 euros après application d'un prorata temporis en raison du décès de M. O... Z... à 71 ans, et avant application du taux de perte de chance ;
- le préjudice d'agrément pourra être évalué à 2 000 euros et le préjudice sexuel à 4 000 euros, en raison de l'âge de M. O... Z... à la consolidation et de son décès cinq ans après ;
- les pertes de revenus que Mme Y... AC... soutient avoir subies ne sont pas établies, et une indemnisation ferait double emploi avec les sommes allouées au titre de l'aide par tierce personne ;
- les frais de séjour à Bordeaux et de repas ne sauraient être pris en charge, compte tenu de l'état antérieur de M. O... Z... qui aurait imposé une hospitalisation prolongée, et seuls ceux liés aux manquements pourraient être indemnisée, à l'exclusion des frais de vêtements ;
- le lien entre l'implant auditif de Mme Y... AC... et les manquements du CHU n'est pas établi ;
- le préjudice d'affection pourra être évalué à 20 000 euros pour l'épouse de la victime,
5 000 euros à chacune de ses filles, 1 000 euros pour son gendre, et 3 000 euros pour chaque petit-enfant, et indemnisé à hauteur du taux de perte de chance ;
- les consorts Y... AC... n'établissent pas l'existence d'un préjudice extrapatrimonial exceptionnel distinct de leur préjudice d'affection ;
-il convient de déduire la provision de 50 000 euros versée en application de l'ordonnance du juge judiciaire du 7 mars 2016 ;
- l'organisme Osakidetza n'établit pas avoir pris en charge des frais en lien avec le manquement imputable au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, en se bornant à produire à nouveau en appel des factures proforma adressées à M. O... Z... ;
- à défaut de justifier du lien entre des frais d'hospitalisation et le manquement du CHU, c'est à tort que le tribunal l'a condamné à verser à la CPAM de la Gironde une somme
de 76 465 euros.
Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Birot, demande à la cour de rejeter toute demande de condamnation qui pourrait être présentée à son encontre.
Il fait valoir que :
- les fautes commises par le CHU de Bordeaux sont caractérisées d'une part par l'absence de réaction du personnel médical consécutive à la chute de saturation et de pression artérielle notée à 4h00 du matin et, d'autre part, par la durée excessive du " no flow " à la suite de l'arrêt cardiorespiratoire ; les séquelles neurologiques sont exclusivement en lien avec ces fautes ;
- il n'y a pas lieu d'engager la solidarité nationale au titre de l'accident médical non fautif tenant à la perforation du grêle et au choc septique qui s'en est suivi, dès lors que le critère de l'anormalité du dommage n'est pas rempli ; en l'absence d'assistance respiratoire, l'état du patient aurait continué à se dégrader, conduisant inéluctablement vers son décès ; le docteur X... a par ailleurs indiqué qu'un bouchonnage d'une sonde d'intubation à l'origine d'une hypoxie et d'un arrêt cardiaque est une complication relativement fréquente chez un malade intubé en cours de sevrage.
Par ordonnance du 8 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 décembre 2023.
Par un courrier du 1er octobre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par le CHU de Bordeaux le 17 avril 2023, à l'encontre de la CPAM de la Gironde, contestant l'imputabilité des frais d'hospitalisation, dès lors que de telles conclusions ont présentés au-delà du délai d'appel.
Une réponse au moyen d'ordre public, présentée pour le CHU de Bordeaux, a été enregistrée le 3 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chasseriaud, représentant les consorts Y... AC... et Osakidetza.
Considérant ce qui suit :
1. Le 15 mai 2013, M. S... O... Z..., ressortissant espagnol né
le 23 octobre 1949, a subi une ablation totale de la prostate par cœliochirurgie robot-assistée effectuée par le docteur N..., urologue, à la clinique privée Saint-Augustin à Bordeaux, pour le traitement d'un cancer de la prostate. Dans les suites immédiates de l'opération, M. O... Z... a présenté un syndrome infectieux péritonéal, avec ballonnement et douleurs abdominales. Il a été transféré en unité de surveillance continue et a subi une intervention chirurgicale le 16 mai 2013, révélant une perforation de l'anse grêle, qui a été refermée. Malgré ces soins, M. O... Z... a développé un état de choc septique, entraînant une défaillance polyviscérale, incluant un bas débit cérébral, des défaillances respiratoires et une insuffisance rénale. Le 18 mai 2013, il a été transféré à l'unité de réanimation polyvalente de l'hôpital Haut-Lévêque, relevant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, aux fins de pratiquer une épuration extra-rénale pour laquelle la clinique ne disposait pas du matériel requis. Une amélioration de l'état hémodynamique a été constatée grâce à une hémodialyse et un remplissage vasculaire. Toutefois, dans la nuit du 22 au 23 mai 2013, M. O... Z... a subi un arrêt cardiaque hypoxique causé par un bouchon muqueux obstruant la sonde d'intubation. Il a été réanimé grâce à un massage cardiaque externe et l'administration de 3 milligrammes d'adrénaline. Le 24 mai 2013, il a subi une nouvelle intervention chirurgicale avec cholécystectomie et lavage péritonéal pour nécrose vésiculaire et péritonite généralisée. Son réveil a été lent et pathologique, et un électro-encéphalogramme réalisé le 11 juin 2013 a révélé une " souffrance cérébrale modérée sans activité paroxystique ". M. O... Z... a conservé de son encéphalopathie post-anoxique des séquelles neurologiques importantes et un état tétraparésique majeur.
2. M. O... Z... a entendu engager la responsabilité du docteur N... et du CHU de Bordeaux. Le 14 novembre 2013, il a assigné le docteur N... et l'établissement hospitalier en référé devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, en vue d'obtenir une expertise médicale. Par une ordonnance du 17 février 2014, le docteur M... a été désigné comme expert, puis remplacé par le docteur X..., qui s'est adjoint un sapiteur neurologue,
le Dr W.... Par ordonnance du 4 août 2014, l'expertise a été rendue commune et opposable à la clinique Saint-Augustin et à l'ONIAM. Le 18 mai 2015, l'expertise a été étendue aux anesthésistes, les docteurs Deroudilhe, U... et Rapaport. Le rapport d'expertise a été déposé le 20 mai 2016. Parallèlement, M. O... Z... a obtenu une indemnité provisionnelle de 200 000 euros le 7 mars 2016, à charge solidaire des trois anesthésistes et du CHU de Bordeaux, lequel a versé 50 000 euros. Il a ultérieurement assigné les anesthésistes et le CHU au fond devant le tribunal de grande instance de Bordeaux. Le 2 mai 2017, le juge de la mise en état du tribunal s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes dirigées contre le CHU. Le 23 janvier 2018, les anesthésistes ont été condamnés à verser 50 000 euros supplémentaires à M. O... Z.... Ils ont demandé une nouvelle expertise judiciaire aux fins de déterminer le lien de causalité entre leurs actes et l'encéphalopathie post-anoxique présentée par M. O... Z....
Le 11 septembre 2019, une nouvelle expertise a été confiée aux docteurs Davody et Gauzit, laquelle a été déposée le 9 novembre 2020. Le 23 janvier 2020, M. O... Z... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux une provision de 800 000 euros, et le 6 février 2020, une indemnité de 3 917 482,36 euros pour ses préjudices, ainsi que diverses indemnités pour ses ayants droit. A la suite du décès le 27 février 2021 de M. O... Z..., ses ayants-droit ont repris l'instance. Le 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le CHU de Bordeaux à verser diverses indemnités d'un montant total de 523 150,54 euros aux ayants droit de M. O... Z..., et 76 465 euros à la CPAM de la Gironde. Les consorts Y... AC... et l'organisme de sécurité sociale basque Osakidetza relèvent appel de ce jugement, tandis que le CHU de Bordeaux forme d'une part un appel incident tendant à ce que sa responsabilité soit écartée ou, subsidiairement, à ce que les indemnités mises à sa charge soient réduites à de plus justes proportions et demande, d'autre part, la réformation du jugement du 4 janvier 2022 en ce que le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à indemniser la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde des débours exposés pour la prise en charge de M. O... Z....
Sur la régularité du jugement :
3. Dans leur mémoire présenté le 28 septembre 2021, les consorts Y... AC... avaient demandé au tribunal que soient mis à la charge du CHU de Bordeaux " les dépens de la présente instance y compris les frais d'expertise (9 200 euros) ". Alors même que les frais d'une expertise ordonnée par une juridiction judiciaire ne constituent pas des dépens d'une instance administrative, les premiers juges ont omis de se prononcer sur ces conclusions, comme le soulignent les requérants. Il y a lieu par suite d'annuler le jugement dans cette mesure, et de statuer par voie d'évocation sur ces conclusions et par la voie de l'effet dévolutif sur le surplus.
Sur la recevabilité des conclusions du centre hospitalier universitaire de Bordeaux :
4. L'appel principal formé par les consorts Y... AC... porte sur le taux de perte de chance de la victime de se soustraire aux séquelles neurologiques qu'il présentait, en lien avec les manquements fautifs retenus par le tribunal administratif à l'encontre du CHU de Bordeaux, et tend par ailleurs à la majoration des indemnités mises à la charge de cet établissement public de santé. L'appel incident, par lequel le CHU de Bordeaux demande à être déchargé de la condamnation prononcée contre lui au profit des consorts Y... AC..., ne soulève pas un litige différent de celui qui fait l'objet de la requête principale. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les conclusions incidentes du CHU de Bordeaux seraient irrecevables.
5. Les conclusions du CHU de Bordeaux tendant à la décharge de la somme
de 76 465 euros mise à sa charge par le jugement attaqué au bénéfice de la CPAM de la Gironde ne sont pas dirigées contre les appelants principaux. Elles ont le caractère de conclusions principales, lesquelles ont été présentées au-delà du délai d'appel, et doivent par suite être rejetées comme irrecevables.
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux :
En ce qui concerne la faute :
6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "
7. A compter de son admission en service de réanimation, M. O... Z... a été placé sous ventilation artificielle, au moyen d'une sonde orotrachéale. Le 22 mai 2013, à 16h00, le personnel médical a relevé la présence de sécrétions " épaisses, collantes ", indiquant une aggravation par rapport aux sécrétions fluides observées auparavant. À 4h00 du matin, alors qu'une désaturation à 80 % et une chute de la pression artérielle à 60 mm A... ont déclenché le signal d'alarme, le rapport d'expertise du 20 mai 2016 relève l'absence, au dossier médical, de documentation d'une réaction de l'équipe soignante, notamment aucun appel à un médecin ni mise en place d'une intervention spécifique, telle qu'une aspiration bronchique pour dégager les voies respiratoires. Les suites de cette détérioration des signes vitaux ont consisté en un arrêt cardiorespiratoire, déclenché par une obstruction de la sonde d'intubation due à la formation d'un bouchon muqueux. Si, ainsi que le fait valoir le CHU de Bordeaux, la survenue de cet évènement est nécessairement antérieure à 4h22, dès lors qu'il ressort de la feuille de surveillance qu'à cette heure, la victime avait retrouvé, grâce à une réanimation efficace, une hémodynamique et un pouls suffisant permettant la réalisation d'une gazométrie, cette circonstance ne permet toutefois pas d'infirmer les mentions portées sur la feuille d'évènement selon lesquelles l'arrêt cardiorespiratoire s'est immédiatement accompagné d'un " no-flow " d'une durée de cinq minutes, cette notion correspondant au délai entre l'arrêt cardiaque et le début des manœuvres de réanimation. Or, selon les conclusions du Dr P..., sapiteur, un tel délai est anormalement long pour un patient sous surveillance continue, avec des alarmes actives et du personnel formé à réagir en moins de trois minutes à ce type d'urgence, ce médecin ayant par ailleurs précisé qu'une durée de " no flow " supérieure à deux ou trois minutes s'avère extrêmement préjudiciable pour les cellules cérébrales qui cessent d'être oxygénées. Dans ces conditions, alors d'une part qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'une intervention immédiate aurait été entreprise dès la constatation de la chute de saturation et de la pression artérielle, environ une demi-heure avant l'arrêt cardiaque et, d'autre part, que la durée de cinq minutes du " no-flow " consécutif à l'accident cardio-respiratoire doit être regardée comme établie, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un manque de diligence et de réactivité imputable au CHU de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de la faute.
8. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le CHU de Bordeaux, l'arrêt cardio-respiratoire résulte entièrement des manquements fautifs exposés ci-dessus et les préjudices en résultant ne sauraient relever d'une indemnisation par la solidarité nationale.
En ce qui concerne la perte de chance :
9. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
10. Le dommage corporel constaté a consisté en une encéphalopathie post-anoxique avec atteintes diffuses, des myoclonies, ainsi qu'en un syndrome cérébelleux, avec trouble de la statique et de la déglutition. L'imagerie cérébrale n'a pas permis de déterminer le moment précis à compter duquel ces lésions se sont constituées. Il résulte de l'instruction que M. O... Z... a subi un état d'hypotension prolongée, avec défaillance multiviscérale associée à un bas débit, dû à un choc septique survenu le 16 mai 2013 au décours de la première intervention chirurgicale à la clinique Saint Augustin. Il résulte également des éléments de littérature médicale sur lesquels s'est appuyé la docteure W..., sapiteure neurologue, qu'une telle condition, en ce qu'elle diminue l'apport d'oxygène au cerveau, est une des causes les plus fréquentes de l'encéphalopathie hypoxique ischémique dont les conséquences peuvent notamment comprendre un syndrome cérébelleux et des myoclonies. Elle a néanmoins ajouté, au regard de la physiopathologie de l'encéphalopathie post-anoxique, que le bas débit, à lui seul, n'aurait probablement pas entraîné un tableau clinique aussi marqué que celui présenté par M. O... Z... et que " c'est surtout l'arrêt circulatoire avec un " no flow " de cinq minutes qui a généré les lésions irréversibles ". Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un taux de perte de chance de 75 %.
Sur les préjudices :
11. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire
du 20 mai 2016, que la date de consolidation de santé de M. O... Z... peut être fixée au 4 décembre 2015.
En ce qui concerne les préjudices temporaires de la victime directe :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant aux dépenses de santé actuelles :
12. D'une part, M. O... Z... a subi le 24 mai 2013 un lavage péritonéal pour le traitement d'une péritonite généralisée, en lien avec la perforation de l'anse grêle survenue au décours de de sa prise en charge initiale à la clinique Saint-Augustin. Alors qu'indépendamment même des manquements fautifs relevés à l'encontre du CHU de Bordeaux, la réalisation de cet acte de soins se serait avérée nécessaire, et que cet acte aurait par ailleurs imposé un maintien en hospitalisation au moins jusqu'au 26 mai 2013, seule les frais afférents à la période d'hospitalisation courant du 27 mai au 18 juillet 2013, d'un montant de 985,28 euros, doivent être mis à la charge du CHU de Bordeaux.
13. D'autre part, il résulte également des justificatifs produits que M. O... Z... a dû exposer la somme de 8 806,50 euros pour des consultations chez un oto-rhino-laryngologiste spécialisé en logopédie, la somme de 1 800 euros pour des séances d'orthophonie, la somme de 45 705 euros pour des consultations à l'unité des dommages cérébraux de l'hôpital Aita Menni et la somme de 1 772 euros pour des consultations neurologiques. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les frais de consultation urologique dont il est demandé réparation seraient en lien direct avec les conséquences de l'accident médical fautif résultant de sa prise en charge au CHU de Bordeaux.
14. Enfin, les requérants justifient de la réalité des frais d'équipement médical exposés par la victime, incluant un fauteuil électrique avec accessoires pour 4 275,99 euros, un coussin pour 85 euros, un pied de sommier pour 79 euros, une ceinture abdominale pour 24,53 euros, un fauteuil roulant pour 420 euros, et un fauteuil de douche et WC pour 306,81 euros, soit un total de 5 191,33 euros.
15. Il résulte de ce qui précède que M. O... Z... a personnellement exposé la somme de 64 260,11 euros au titre des dépenses de santé antérieures à la consolidation. Après application du taux de perte de chance, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 48 195, 01 euros à verser à la succession de M. O... Z... au titre des dépenses de santé actuelles.
Quant aux frais divers :
16. A l'issue de son hospitalisation au sein du CHU de Bordeaux le 18 juillet 2013,
M. O... Z... a été rapatrié en ambulance vers l'hôpital de Saint Sébastien en Espagne puis, dépourvu de véhicule adapté à son état de santé, a dû recourir aux services de taxis ou aux transports au commun pour se rendre aux consultations médicales requises pour le traitement de sa pathologie. Les requérants produisent les factures relatives à l'ensemble de ces frais de déplacement pour un montant total de 7 743,67 euros. Après application du taux de perte de chance, il y a lieu de condamner le CHU de Bordeaux à verser à la succession de M. O... Z... une somme de 5 807,75 euros à ce titre.
Quant à l'assistance par une tierce personne :
17. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
18. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 20 mai 2016 que l'état de santé de M. O... Z... en lien avec les manquements fautifs du CHU de Bordeaux a nécessité du 28 septembre 2013, date de son retour à domicile, jusqu'au 4 décembre 2015, date de la consolidation, l'assistance non spécialisée d'une tierce personne pour les actes de la vie courante à raison de vingt heures par jour. En retenant les bases de liquidation sur lesquelles se sont fondés les premiers juges, qui ne sont pas contestées en appel, c'est-à-dire une année
de 400 jours pour tenir compte des droits à congés en Espagne, et un taux horaire de 6,03 euros correspondant, pour la période considérée, au coût horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance espagnol, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, après application du taux de perte de chance, en allouant une indemnité de 78 962,85 euros.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
19. Alors qu'il résulte de l'instruction que M. O... Z... a subi un déficit fonctionnel temporaire de classe IV, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 10 938,37 euros, compte tenu du taux de perte de chance fixé à 75 %.
Quant aux souffrances endurées :
20. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise du 20 mai 2016, que M. O... Z..., qui a été alimenté par gastrostomie à compter de son retour en Espagne, a dû subir une longue rééducation pour arriver à reprendre partiellement une alimentation orale et parvenir à s'exprimer, avec néanmoins beaucoup de difficultés. Il n'a jamais pu reprendre la marche ni saisir des objets et a dû être assisté pour les actes de la vie quotidienne. A cet égard, il a enduré des souffrances tant psychiques que physiques avant la consolidation de son état de santé, que l'expert a évaluées à 5 sur une échelle de 7. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 11 250 euros, compte tenu du taux de perte de chance fixé à 75 %.
Quant au préjudice esthétique :
21. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 20 mai 2016, qu'antérieurement à la réalisation d'une injection de toxine botulique au cours du mois de mars 2014, M. O... Z... était atteint d'une salivation permanente en lien avec ses séquelles neurologiques, dont a résulté une altération majeure de son apparence physique. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient insuffisamment évalué le préjudice esthétique temporaire, également caractérisé par l'utilisation d'un fauteuil roulant, en accordant à ses ayant droits la somme de 3 750 euros après application du taux de perte de chance.
En ce qui concerne les préjudices permanents de la victime directe :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant aux dépenses de santé :
22. En premier lieu, les requérants sollicitent le versement de la somme de 9 813,79 euros au titre des dépenses futures, incluant l'achat d'un fauteuil électrique et d'un siège de douche, dont le sapiteur a recommandé le renouvellement, respectivement, tous les quatre ans et tous les ans, ainsi que d'un fauteuil roulant manuel, d'un lit médicalisé et d'un lève-malade. Toutefois, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les frais d'achat d'un fauteuil électrique, d'un fauteuil roulant manuel et d'un siège de douche ont déjà été inclus dans l'indemnisation des dépenses de santé actuelles et les requérants ne justifient pas qu'il aurait été procédé à leur renouvellement avant le décès de M. O... Z..., survenu le 27 février 2021, ni davantage par la production d'un simple devis que celui-ci aurait fait l'acquisition d'un lit médicalisé et d'un lève-malade. Par suite, aucune indemnisation ne saurait être allouée aux ayants droits de la victime à ce titre.
23. En second lieu, comme en première instance, la somme de 74 750 euros demandée pour les soins de kinésithérapie et d'orthophonie postérieurs à la consolidation du 4 décembre 2015 n'est justifiée qu'à hauteur de 7 230 euros. C'est ainsi à bon droit qu'après application du taux de perte de chance, le tribunal a mis à la charge du CHU de Bordeaux une somme
de 5 422,50 euros.
Quant aux frais liés au handicap :
24. En premier lieu, les requérants sollicitent la somme de 129 124,16 euros au titre de frais d'adaptation du logement. Toutefois, pour justifier de la réalité de tels frais, ils se bornent à produire une série de devis et factures rédigées en espagnol, dont beaucoup ne sont pas accompagnées d'une traduction. D'une part, hormis la somme de 373,86 euros exposée pour des travaux de suppression des marches de l'entrée de son immeuble, ces pièces ne mettent pas le juge d'appel en mesure d'apprécier si les dépenses auxquelles elles se rapportent seraient imputables aux manquements commis par le CHU de Bordeaux. D'autre part, la somme de 21 399,65 euros retenue par les premiers juges, correspondant aux travaux effectivement réalisés pour la suppression des rebords d'accès à l'extérieur du logement de la victime, pour la démolition des cloisons entre le couloir et la chambre et pour la modification des sols afin de permettre le passage du fauteuil roulant, n'est pas contestée par l'intimé. Dans ces conditions, il y lieu de retenir une somme de 21 773,51 euros pour les frais d'adaptation du logement et de porter de 16 049,73 euros à 16 330,13 euros la somme allouée à la succession de M. O... Z... à ce titre.
25. En second lieu, il n'est pas justifié que M. O... Z..., qui a bénéficié par ailleurs de l'indemnisation de ses frais de transport en taxi ou autobus, aurait acquis un véhicule adapté à sa pathologie antérieurement à son décès. Par suite, la demande d'indemnisation présentée au titre de ce chef de préjudice doit être rejetée.
Quant à l'assistance par une tierce personne :
26. Ainsi qu'il a été précédemment exposé, le sapiteur a évalué les besoins d'assistance en aide humaine à une durée de vingt heures par jour, évaluation qu'il y a lieu de retenir. Sur la base d'une année de 400 jours pour tenir compte des droits à congés en Espagne, et d'un taux horaire de 7,39 euros correspondant, pour la période considérée, au coût horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance espagnol, incluant les charges applicables dans ce pays, les frais d'assistance par une tierce personne non spécialisée peuvent être évalués, pour la période du 4 décembre 2015 au 27 février 2021, à un montant de 251 859,60 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que la victime aurait reçu des prestations destinées à compenser son handicap. Il y a lieu, dès lors, de mettre à la charge du CHU de Bordeaux la somme de 188 894,07 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
27. En premier lieu, le déficit fonctionnel permanent a été fixé à 90 % par le tribunal, et ce taux n'est pas contesté en appel. Contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, il convient d'évaluer ce préjudice en tenant compte du temps écoulé entre la date de consolidation et celle du décès de la victime, survenu le 27 février 2021. Ainsi, compte tenu, d'une part, de l'âge
de M. O... Z... au jour de la consolidation, d'autre part, de son taux d'incapacité fonctionnelle permanent et, enfin, de la date de son décès, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance, à une somme
de 55 000 euros.
28. En deuxième lieu, si les requérants se prévalent de ce que, avant à son accident,
M. O... Z... était adhérent du " Club Deportivo Ategorrieta ", la seule attestation de son président ne permet pas, dans les termes dans lesquels elle est rédigée, de conclure qu'il pratiquait dans ce cadre une activité sportive régulière. Par suite, le CHU est fondé à soutenir qu'aucune indemnisation à ce titre ne pouvait lui être allouée par le tribunal.
29. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de l'examen clinique réalisé par l'expert le 21 mai 2014 au domicile de la victime, que sa pathologie a définitivement fait obstacle à toute relation sexuelle. Compte tenu de son décès survenu cinq ans après la date de consolidation de son état de santé, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en allouant, eu égard au taux de perte de chance retenu, une somme de 3 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
30. En premier lieu, Mme Y... AC..., épouse de M. O... Z..., se prévaut de pertes de revenus. Elle fait valoir qu'en raison de l'accident de son époux, elle a été contrainte de cesser de s'occuper quotidiennement de sa mère, décédée le 13 décembre 2018, mission pour laquelle elle percevait une rémunération mensuelle de 500 euros qui lui était versée par son frère et sa sœur. Toutefois, elle n'établit pas la réalité de cette perte de revenus en se bornant à produire une attestation rédigée par sa fratrie.
31. En deuxième lieu, ni le congé sans solde de Mme E... O... Y..., fille de la victime, ni les frais de séjour à Bordeaux des membres de sa famille, ni davantage les frais engagés par Mme Y... AC... à raison de sa prise en charge hospitalière pour des problèmes auditifs ne sont en lien avec les manquements fautifs retenus à l'encontre du CHU de Bordeaux. Par suite, ils ne pouvaient faire l'objet d'une indemnisation.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
32. En premier lieu, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation du préjudice moral subi par la famille de M. O... Z... au regard de son état avant le décès, en mettant à la charge du CHU de Bordeaux au titre de ce chef de préjudice, la somme de 18 750 euros à verser à Mme Y... AC..., épouse de la victime, celles de 5 250 euros à verser à Mme H... O... Y... et à Mme E... O... Y..., ses filles, celles de 2 250 euros à verser respectivement à J... Q... O..., C... Q... V..., B... de AB... O... et K... de AB... O..., ses petits-enfants, et celle de 750 euros à verser à M. D... Q... V..., son gendre. Par ailleurs, il n'est pas établi que le décès de M. O... Z..., dû à une " fausse route ", serait en lien avec la faute commise par le CHU du fait que son état de santé fragilisé n'aurait pu permettre une prise en charge efficace.
33. En second lieu, par les éléments dont ils font état, les requérants ne justifient pas d'un préjudice extrapatrimonial exceptionnel, distinct du préjudice moral qui a déjà été réparé au point précédent.
En ce qui concerne les droits d'Osakidetza :
34. Osakidetza, en se bornant à produire des factures proforma rédigées en espagnol, qui ne sont accompagnées d'aucun document récapitulant l'ensemble des prestations qu'elle aurait servies à son assuré, ni même d'une attestation médicale imputant ces prestations aux manquements fautifs retenus contre le CHU de Bordeaux, n'établit pas dans quelle mesure les débours exposés pour le compte de M. O... Z... seraient en lien avec les fautes en litige.
35. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à 427 551,31 euros le montant de l'indemnité totale due par le CHU de Bordeaux à Mmes I... de los Angeles Y... AC..., H... O... Y... et E... O... Y..., en leur qualité d'ayants droit de M. O... Z..., et de ramener à 39 000 euros le montant de l'indemnité due par cet établissement public de santé à Mme Y... AC..., Mme H... O... Y..., Mme E... O... Y..., M. J... Q... O..., Mme C... Q... V..., M. B... de AB... O..., Mme K... de AB... O... et M. D... Q... V..., sous déduction de la provision de 50 000 euros versée par le CHU de Bordeaux, et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les frais d'expertise judiciaire :
36. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
37. Les frais exposés pour la réalisation de l'expertise ordonnée par la juridiction judiciaire ne relèvent pas des dépens sur lesquels il appartient à la cour de statuer en application de ces dispositions. Ils ont au demeurant été pris en compte dans le cadre de l'instance au fond engagée devant la juridiction judiciaire contre les médecins de la clinique Saint Augustin et l'ONIAM, et mis à la charge des requérants.
Sur les frais liés au litige :
38. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
39. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés dans le cadre de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement est annulé en tant qu'il a omis de se prononcer sur les conclusions relatives aux frais d'expertise.
Article 2 : L'indemnité de 523 150,54 euros, qui a été mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux au profit des ayants droits de M. O... Z... par le jugement
n° 2000343, 2000604 du 4 janvier 2022 du tribunal administratif de Bordeaux, est ramenée à 427 551.31 euros, dont sera déduite la provision de 50 000 euros déjà versée par le CHU de Bordeaux. L'indemnité de 41 674,62 euros qui a été mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux au profit de Mme Y... AC..., Mme H... O... Y...,
Mme E... O... Y..., M. J... Q... O..., Mme C... Q... V..., M. B... de AB... O..., Mme K... de AB... O... et M. D... Q... V... est ramenée à 39 000 euros.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2000343, 2000604
du 4 janvier 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... de los Angeles Y... AC..., représentante unique de l'ensemble des requérants, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
Le rapporteur,
Antoine L...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22BX00754