Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 28 août 2020 modifiant son affectation, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux, et la décision implicite de rejet de sa demande du 3 septembre 2020 d'octroi de la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2100129 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 septembre 2022, 9 octobre 2023 et 10 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Gomez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 13 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 28 août 2020 modifiant son affectation, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux, et la décision implicite de rejet de sa demande du 3 septembre 2020 d'octroi de la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre au directeur départemental de la sécurité publique de l'affecter conformément à ses vœux et de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête d'appel comporte une critique du bien-fondé des motifs du jugement attaqué ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la décision de changement d'affectation, prise sans qu'il ait été mis à même de consulter son dossier, est entachée d'un vice de procédure ;
- la décision de changement d'affectation, prise en considération de sa personne, ne pouvait être édictée sans qu'il ait été préalablement mis à même de consulter son dossier ;
- cette décision n'a pas été prise dans l'intérêt du service ; elle ne répond pas à son vœu, formulé pour la cinquième fois en juin 2020, d'être affecté au service départemental de renseignement territorial de la Vienne (SDRT 86) ; elle est en contradiction avec ses états de service ;
- cette décision s'apparente à une sanction de mutation d'office, prise en lien avec sa manière de servir ; la circonstance qu'il ait émis le vœu d'être affecté au SDRT 86 ne révèle pas son souhait de quitter son service d'affectation ;
- cette décision modifie ses responsabilités et porte atteinte aux prérogatives qu'il tient de statut ; en méconnaissance des dispositions de l'article 21-1 du code de procédure pénale, il se trouve placé sous les ordres d'un agent de police judiciaire alors qu'il est officier de police judiciaire ;
- il a subi un harcèlement moral à raison duquel la protection fonctionnelle aurait dû lui être accordée ; il a fait l'objet d'un changement d'affectation qui doit s'analyser comme une sanction disciplinaire déguisée ; ce changement d'affectation a entrainé une dégradation de ses missions, les dossiers traités étant d'une technicité moindre, et a impacté son niveau de responsabilité puisqu'il intervient désormais au sein, non plus d'un commissariat, mais d'un bureau de police ; le 18 juin 2020, le chef de groupe a affiché sur la porte de son bureau une affiche aux termes blessants, mettant en cause son professionnalisme ; il a été confronté à des obstacles dans le déroulement de sa carrière, et en particulier au refus persistant de sa hiérarchie de le nommer au SDRT 86.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024.
Un mémoire a été présenté pour M. B... le 19 juillet 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Une note en délibéré a été présentée pour M. B... le 1er octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- et les observations de Me Gomez, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., brigadier-chef de police en poste à la direction départementale de la sécurité publique de la Vienne, a été affecté à compter du 1er février 2017 dans les services de la sûreté départementale, au sein de l'unité d'investigations judiciaires et d'enquêtes administratives (UIJEA). Une note de service du chef de la sûreté départementale de la Vienne du 8 juin 2020 a informé les agents qu'une réorganisation des services aurait lieu en septembre 2020, leur a adressé l'organigramme issu de cette réorganisation et les a invités à indiquer leurs souhaits d'affectation avant le 19 juin suivant. M. B... a, par décision du 28 août 2020, été affecté à compter du 14 septembre suivant au groupe d'appui judiciaire du commissariat de secteur ouest (GAJ CSO) à Poitiers. Par un courrier du 3 septembre 2020, M. B... a, par le truchement de son avocat, formé auprès du directeur départemental de la sécurité publique de la Vienne un recours gracieux contre cette décision de changement d'affectation et sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison du harcèlement moral dont il estimait être victime. L'administration n'ayant pas répondu à ce courrier, il a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 28 août 2020 l'affectant au GAJ CSO, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux, d'autre part de la décision implicite lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle. Il relève appel du jugement du 13 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal ayant rejeté comme irrecevables les conclusions de M. B... dirigées contre la décision du 28 août 2020 l'affectant au GAJ CSO, il n'était pas tenu de répondre aux moyens invoqués à l'appui de la contestation de cette décision. Par suite, la circonstance que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que M. B... n'avait pas été mis à même de consulter son dossier préalablement à l'édiction de cette décision n'affecte pas la régularité du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de changement d'affectation :
3. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le changement d'affectation de M. B... est intervenu dans le cadre d'une réorganisation générale des services de la sûreté départementale et alors que l'intéressé, qui s'était borné à réitérer le 16 juin 2020 son vœu d'être affecté au service départemental de renseignement territorial de la Vienne (SDRT 86), n'avait en revanche émis aucun vœu d'affection sur les postes figurant au projet d'organigramme issu de la réorganisation des services de la sûreté départementale. Le requérant, en se bornant à faire valoir que le rapport établi le 23 septembre 2020 par M. A..., qui était son chef de groupe au sein de l'UIJEA, comporte des réserves sur sa manière de servir, en particulier sur son manque de discrétion professionnelle, n'apporte aucun élément de nature à démontrer que la mesure d'affectation litigieuse procéderait en réalité d'une intention de le sanctionner. Il n'établit ainsi pas que cette décision d'affectation présenterait le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée, et il n'est ni démontré ni même soutenu que cette mesure traduirait une discrimination.
5. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que ce changement d'affectation n'a entraîné pour M. B... aucune perte de rémunération. Si le requérant persiste à soutenir que les dossiers qui lui seront confiés dans le cadre de cette nouvelle affectation sont d'une technicité moindre, il n'assortit cette affirmation d'aucune précision ni d'aucun élément probant, et n'établit ainsi pas la perte de responsabilité alléguée. La circonstance que cette affectation le conduira à exercer ses fonctions au sein, non plus du commissariat de Poitiers, mais d'un bureau de police, ne caractérise pas davantage une diminution de ses responsabilités. Par ailleurs, à la supposer établie, la circonstance que le requérant, appartenant au corps d'encadrement et d'application de la police et ayant obtenu la qualité d'officier de police judiciaire, se trouverait placé sous l'autorité hiérarchique d'un agent du même corps ayant la qualité d'agent de police judiciaire, ne suffit pas à considérer que la décision d'affectation en litige porterait atteinte à ses droits statutaires. Enfin, le requérant, qui se borne à faire valoir que son affectation au GAJ CSO ne répond pas à son vœu d'affectation, n'apporte pas d'élément susceptible de faire présumer que cette affectation serait intervenue dans un contexte de harcèlement moral à son encontre. Il n'est ainsi pas démontré que la décision en litige porterait atteinte au droit de M. B... de ne pas être soumis à un harcèlement moral.
6. Il résulte de ce qui précède que la décision du 28 août 2020 portant changement d'affectation de M. B... présente le caractère d'une mesure d'ordre intérieur, qui ne fait pas grief et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre cette décision et contre le rejet implicite de son recours gracieux formé le 3 septembre 2020.
En ce qui concerne la décision de refus d'octroi de la protection fonctionnelle :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ". Le IV du l'article 11 de cette loi précise que : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre (...) les agissements constitutifs de harcèlement (...) dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels agissements répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
8. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
9. En premier lieu, M. B... fait valoir que malgré ses évaluations favorables, sa demande, renouvelée à plusieurs reprises, d'affectation au SDRT 86 a toujours été refusée. Il n'apporte toutefois aucun élément susceptible de faire présumer que ce refus serait fondé sur des considérations étrangères à l'intérêt du service.
10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 18 juin 2020, M. A..., chef de groupe de M. B..., a apposé sur la porte du bureau du requérant une affiche dont les termes, quoiqu'humoristiques, suggéraient que l'intéressé s'octroyait des pauses excessivement longues. Cet incident a toutefois revêtu un caractère isolé, aucune pièce produite n'établissant qu'il s'inscrirait dans une série d'agissements comparables.
11. En dernier lieu, et ainsi qu'il a été dit, la décision du 28 août 2020 de changement d'affectation de M. B... s'inscrivait dans le cadre d'une réorganisation générale des services et ne peut être regardée comme révélant un harcèlement moral à son égard.
12. Dans ces conditions, le requérant n'apporte aucun élément susceptible de faire présumer des agissements de harcèlement moral à son encontre. Il s'ensuit que c'est par une exacte application des dispositions précitées que le directeur départemental de la sécurité publique de la Vienne a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison du harcèlement moral dont l'intéressé estimait être la victime.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2024.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 22BX02471