Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2020 par lequel le Garde des sceaux, ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2100407 du 1er février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 27 février 2023 et le 22 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Noël, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2020 par lequel le Garde des sceaux, ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le signataire de l'arrêté du 1er décembre 2020 est incompétent ;
- les premiers juges ont méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attache aux faits constatés par le juge pénal ; la plainte dont il a fait l'objet a été classée ; en revanche, le détenu a été condamné à une peine d'emprisonnement pour des faits de violence à son égard ;
- les faits retenus à son encontre ne sont pas établis et ne pouvaient fonder une mesure de suspension conservatoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2024, le Garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1984 ;
- le décret n°2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut ;
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- et les observations de Me Noël, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., surveillant pénitentiaire depuis le 15 juin 2016, exerce ses fonctions au centre pénitentiaire de Gradignan depuis avril 2020. A la suite d'un incident avec un détenu survenu le 23 novembre 2020 vers dix-huit heures lors d'un retour de promenade, le Garde des sceaux, ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois par un arrêté du 1er décembre 2020. Il relève appel du jugement du 1er février 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, M. B... reprend, sans critique utile du jugement, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige, auquel les premiers juges ont pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Bordeaux.
3. En second lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires (...). ". La mesure provisoire de suspension prévue par ces dispositions ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire. Elle est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Elle peut être légalement prise dès lors que l'administration retient à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave.
4. L'article 12 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, applicable à la date de la décision attaquée dispose que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut faire un usage de la force que dans les conditions et limites posées par les lois et règlements ". L'article 15 de ce même décret dispose que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire a le respect absolu des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire et de leurs droits. Il s'interdit à leur égard toute forme de violence ou d'intimidation. Il ne manifeste aucune discrimination. (...) ".
5. D'une part, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des décisions de classement sans suite prises par le ministère public. M. B... ne peut dès lors utilement se prévaloir de la décision du 30 mars 2021 par laquelle le procureur de la République a classé sans suite l'action publique engagée à son encontre, relative aux faits de violence commis sur un détenu, pour soutenir qu'en refusant d'annuler la mesure de suspension les premiers juges auraient méconnu l'autorité de chose jugée par le juge pénal.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le 23 novembre 2020 vers 18h00, au retour de la promenade, un détenu du centre pénitentiaire de Gradignan qui devait regagner sa cellule au premier étage du bâtiment, a poursuivi la montée des escaliers pour accéder au deuxième étage. L'action de M. B... en vue de convaincre ce détenu de redescendre a donné lieu, en quelques minutes, à des échanges de gestes. Il résulte du compte-rendu de la bande d'enregistrement de vidéosurveillance que si le détenu a manifestement résisté aux consignes du surveillant et l'a empoigné plusieurs fois par ces vêtements, M. B... a riposté en portant une gifle de la main gauche sans qu'il soit certain qu'elle ait atteint le visage du détenu et un coup en direction de l'épaule de celui-ci. Ces gestes rendaient suffisamment vraisemblable un usage inapproprié de la violence par le surveillant à l'égard du détenu à la date de la décision en litige et ils revêtaient, à raison de la méconnaissance des règles déontologiques énoncées au point 4, une gravité suffisante pour justifier la mesure conservatoire prise à son encontre. Il s'ensuit que le Garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er décembre 2020 par lequel le Garde des sceaux, ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés pour l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au Garde des sceaux, ministre de la justice
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2024.
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent PougetLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au Garde des sceaux ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23BX00553 2