Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté en date du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Arménie comme pays de renvoi.
Par un jugement n° 2304171 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Perrin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2304171 du tribunal administratif de Bordeaux du 23 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 26 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour à raison de sa vie privée et familiale, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros TTC en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'arrêté méconnait son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'il emporte sur sa situation concrète, dès lors que sa présence se justifie tant du fait de la situation médicale et d'invalidité de son époux que de sa situation personnelle ;
- les juges du fond ont commis une erreur de droit, en affirmant que dès lors qu'elle était mariée à un ressortissant étranger en situation régulière, et relevait, in abstracto, d'une des catégories ouvrant droit au regroupement familial, alors le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devait être écarté ; d'ailleurs, son époux ne pouvait solliciter le bénéfice du regroupement familial, puisqu'il ne remplissait pas la condition de ressources posée à l'article L. 434-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal a dénaturé les moyens soulevés en ce qu'elle n'a jamais présenté une demande de titre de séjour pour soins, et n'a jamais non plus soulevé un moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 425-9 ou de l'article L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa situation est constitutive de motifs exceptionnels.
Par ordonnance du 6 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2024 à 12 heures.
Un mémoire du préfet de la Gironde a été enregistré le 10 octobre 2024.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Nicolas Normand a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante arménienne, née en 1993, déclare être entrée régulièrement sur le territoire français le 7 juillet 2021 sous couvert d'un passeport et d'un visa D Schengen, délivré par les autorités polonaises, valable jusqu'au 26 décembre 2021. Elle a sollicité, le 4 janvier 2023, son admission au séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 mai 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. En application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment d'attestations de paiement de la caisse d'allocations familiales de la Gironde, qu'à la date de l'arrêté attaqué, Mme B... résidait en France depuis 2 ans environ. Elle n'a pas d'enfant, a vécu l'essentiel de son existence dans son pays d'origine où résident sa mère et une sœur et est démunie de ressources personnelles. Il ressort toutefois encore des pièces du dossier qu'elle a épousé, le 19 février 2021, M. C..., de même nationalité qu'elle, que celui-ci est présent en France depuis 10 ans et a bénéficié pendant 8 ans de titres de séjour mention " vie privée et familiale " régulièrement renouvelés en raison de son état de santé nécessitant des soins qui ne peuvent lui être dispensés en Arménie et est désormais titulaire depuis le 1er juin 2023 pour les mêmes motifs d'une carte de résident valable jusqu'au 31 mai 2033. Le conjoint de Mme B... a donc vocation à résider durablement en France. En outre, selon des certificats médicaux des 2 décembre 2022 et 23 juin 2023 d'un médecin généraliste, l'état de santé de M. C... justifie la présence de son épouse " pour une aide dans les actes de la voie courante " et sa " présence indispensable dans la gestion des soins ". Enfin, Madame B... souffre, selon des certificats médicaux produits en appel, d'une pathologie gynécologique rare pour laquelle elle est prise en charge en France par le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, fait valoir que son désir d'enfant ne pourra s'accomplir en s'éloignant de son conjoint, qu'elle est bénévole au sein de la Croix rouge française et qu'elle suit des cours de français depuis septembre 2021 avec une extrême régularité et assiduité, sans contestation sur ces points. Elle est ainsi fondée, dans les circonstances particulières de l'espèce, et dès lors notamment qu'à la date de l'arrêté contesté, elle était mariée depuis plus de deux ans à un étranger ayant vocation à demeurer durablement en France, à soutenir que la décision contestée a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme B... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer ce titre dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Perrin.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 novembre 2023 est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 26 mai 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Article 4 : L'Etat versera à Me Perrin la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01158