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06/11/2024 | FRANCE | N°24BX01354

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 06 novembre 2024, 24BX01354


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a déféré au tribunal administratif de la Guadeloupe M. G... I..., en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) Carrosserie JRC, comme prévenu d'une contravention de grande voirie pour occuper sans droit ni titre une partie de la parcelle cadastrée section BY n° 195 située sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau.





Par un jugement n°

2100254 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné M. I..., en sa qualité de gér...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a déféré au tribunal administratif de la Guadeloupe M. G... I..., en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) Carrosserie JRC, comme prévenu d'une contravention de grande voirie pour occuper sans droit ni titre une partie de la parcelle cadastrée section BY n° 195 située sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau.

Par un jugement n° 2100254 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné M. I..., en sa qualité de gérant de la SARL Carrosserie JRC, à payer une amende d'un montant de 1 500 euros, a ordonné à M. I... et à tous occupants de son chef de procéder à la démolition de l'intégralité des constructions et clôtures édifiées sur la dépendance du domaine public maritime située sur la parcelle cadastrée section BY n° 195 et de rétablir les lieux dans leur état initial, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et a autorisé le Conservatoire de l'espace littoral à procéder d'office à ces opérations aux frais, risques et périls du contrevenant, en cas d'inexécution.

Procédures devant la cour administrative d'appel :

I - Par une requête sommaire enregistrée le 8 décembre 2023 sous le n° 23BX03034 et des mémoires complémentaires enregistrés les 16 janvier et 3 juin 2024, la société Carrosserie JRC et M. I..., agissant en sa qualité de gérant de ladite société, représentés par la SCP d'avocats Bauer-Violas Feschotte-Desbois Sebagh, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 juin 2023 ;

2°) de les relaxer des poursuites engagées à leur encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la juridiction judiciaire compétente de la question de la propriété du terrain visé par la procédure de contravention de grande voirie, et de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à cette question préjudicielle ;

4°) de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier en l'absence de justification de ce que la formation de jugement présente à l'audience est la même que celle qui a délibéré ;

- la directrice du Conservatoire de l'espace du littoral et des rivages lacustres n'était pas compétente pour saisir le tribunal ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les documents produits en première instance, à savoir notamment l'acte d'adjudication du 9 novembre 2022, un relevé généalogique, divers actes civils, un relevé cadastral et un rapport d'expertise, démontrent que M. I... dispose d'un droit de propriété sur la parcelle visée par la procédure de contravention de grande voirie pour laquelle il est par ailleurs soumis à la taxe foncière ;

- si la question de la propriété dudit terrain soulève une difficulté sérieuse, elle doit être transmise au juge judiciaire par voie de question préjudicielle.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2024, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Stahl, conclut :

1°) à la réformation du jugement attaqué en tant que le tribunal a limité le montant de l'astreinte à 150 euros par jour de retard qu'il est demandé de porter à 300 euros par jour ;

2°) au rejet du surplus des conclusions de la requête d'appel ;

3°) à titre subsidiaire, au sursis à statuer dans l'attente de la réponse du juge judiciaire à une question préjudicielle portant sur la propriété de la parcelle à raison de l'occupation de laquelle la contravention de grande voirie a été infligée au contrevenant ;

4°) à la mise à la charge de la société Carrosserie JRC d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de première instance était recevable dès lors que la directrice du Conservatoire de l'espace du littoral et des rivages lacustres était compétente pour saisir le tribunal ;

- la parcelle cadastrée section BY n° 195 d'une superficie d'un peu plus de 585 hectares, occupée en partie par la Carrosserie JRC, fait partie du domaine public maritime et est affectée à la conservation du littoral par une convention de mise à disposition ; les documents fournis par M. I... ne lui permettent pas de revendiquer un quelconque droit de propriété ;

- en cas de difficulté sérieuse, une question préjudicielle portant sur la propriété de la parcelle en cause pourrait être posée au juge judiciaire ;

- sur l'action publique, les faits étant constitutifs d'une contravention de grande voirie, la condamnation au versement d'une amende d'un montant de 1 500 euros est justifiée ;

- sur l'action domaniale, les démolitions ordonnées sont justifiées, de même que le nettoyage et la remise en état des lieux ;

- le montant de l'astreinte limité à 150 euros par jour de retard par les premiers juges doit être porté à 300 euros.

Par une ordonnance du 6 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 juin 2024 à 12 heures.

Par un courrier en date du 10 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé :

- sur un premier moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce qu'il n'a pas constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la condamnation au paiement d'une amende en raison de la prescription de l'action publique dès lors qu'aucun acte d'instruction n'est intervenu en première instance pendant plus d'une année entre la communication d'un mémoire en défense le 29 novembre 2021 et l'envoi de l'avis d'audience le 19 avril 2023 ;

- sur un second moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il fixe le montant de l'astreinte à 150 euros par jour.

Vu les autres pièces du dossier.

II - Par une requête enregistrée le 3 juin 2024 sous le n° 24BX01354, la société Carrosserie JRC et son gérant M. I..., représentés par la SCP d'avocats Bauer-Violas Feschotte-Desbois Sebagh, demandent à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 juin 2023 et de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace naturel et des rivages lacustres la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables sur l'activité de l'entreprise qui serait contrainte à la fermeture alors qu'elle emploie 24 salariés et que sa situation financière est très préoccupante, et que les moyens présentés dans la requête au fond sont sérieux.

Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2024, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Stahl, conclut au rejet de la demande et à la mise à la charge de la société Carrosserie JRC d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucune des conditions pour obtenir le sursis à exécution n'est remplie.

Par une ordonnance du 2 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Butéri ;

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Leconte se substituant à Me Stahl, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Considérant ce qui suit :

1. Un procès-verbal de contravention de grande voirie, notifié le 2 juillet 2020 par voie d'huissier, a été dressé le 29 juin 2020 à l'encontre de M. G... I..., en sa qualité de gérant de la SARL Carrosserie JRC, pour occupation sans titre du domaine public maritime et atteinte à l'intégrité de ce domaine. A la suite de ce procès-verbal ayant constaté que, sur la parcelle concernée, cadastrée section BY n° 195 située sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau (Guadeloupe), l'occupation du domaine public maritime s'étendait approximativement sur 10 340 m2 à usage d'une carrosserie composée de plusieurs bâtiments et de zones de stockage de véhicules, la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a déféré, le 18 mars 2021, M. G... I..., en sa qualité de gérant de la SARL Carrosserie JRC, comme prévenu d'une contravention de grande voirie. Par un jugement du 29 juin 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné M. I..., en sa qualité de gérant de la SARL Carrosserie JRC, à payer une amende d'un montant de 1 500 euros, a ordonné à M. I... et à tous occupants de son chef de procéder à la démolition de l'intégralité des constructions et clôtures édifiées sur la dépendance du domaine public maritime située sur la parcelle cadastrée section BY n° 195 et de rétablir les lieux dans leur état initial, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et a autorisé le Conservatoire de l'espace littoral à procéder d'office à ces opérations aux frais, risques et périls du contrevenant, en cas d'inexécution.

2. Par la requête n° 23BX03034, la SARL Carrosserie JRC et son gérant, M. I..., relèvent appel de ce jugement dont ils demandent par ailleurs à la cour de prononcer le sursis à exécution par la requête n° 24BX01354.

Sur la jonction :

3. Les requêtes enregistrées sous les nos 23BX03034 et 24BX01354 concernent le même jugement et présentent à juger de questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul et même arrêt.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

4. Les conclusions incidentes ne sont pas recevables dans une instance ayant pour objet la répression d'une contravention de grande voirie. Les conclusions présentées en appel par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il fixe le montant de l'astreinte à 150 euros par jour, sont donc irrecevables et doivent être rejetées comme telles.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. En premier lieu, les appelants soutiennent dans leur requête sommaire que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas de mention permettant de vérifier que la formation de jugement était la même lors de la tenue de l'audience publique et du délibéré. Toutefois, la minute de ce jugement, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, mentionne les noms des magistrats composant la formation de jugement, à savoir ceux du président qui a rapporté l'affaire à l'audience et de deux conseillères assesseures, ainsi que celui de la rapporteure publique qui a prononcé ses conclusions à l'audience. Cette minute a été signée, conformément aux dispositions de l'article R.741-8 du code de justice administrative, par le président-rapporteur et par l'assesseure la plus ancienne. Les appelants n'apportant aucun élément permettant de considérer qu'il y aurait une différence entre la composition de la formation de jugement qui a siégé à l'audience et celle qui a délibéré, leur moyen, au demeurant non repris dans les mémoires complémentaires, ne peut qu'être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article 9 du code de procédure pénale : " L'action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. ". Aux termes de l'article 9-2 de ce code : " Le délai de prescription de l'action publique est interrompu par : 1° Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique, prévu aux articles 80,82,87,88,388,531 et 532 du présent code et à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; 2° Tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ; 3° Tout acte d'instruction prévu aux articles 79 à 230 du présent code, accompli par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ; 4° Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s'il n'est pas entaché de nullité. Tout acte, jugement ou arrêt mentionné aux 1° à 4° fait courir un délai de prescription d'une durée égale au délai initial. Le présent article est applicable aux infractions connexes ainsi qu'aux auteurs ou complices non visés par l'un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt (...) ". Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 2132-27 du code général de la propriété des personnes publiques, qui permettent de prononcer une peine d'amende pour chaque jour où l'infraction est constatée, font obstacle, antérieurement à la saisine du juge, et tant que se poursuit l'occupation sans titre de la dépendance du domaine public, à la prescription de l'action publique prévue par les dispositions précitées du code de procédure pénale. Il résulte de ces dispositions que seules peuvent être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite, en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel.

7. Il résulte de l'instruction qu'aucun acte d'instruction ou de poursuite n'est intervenu en première instance pendant plus d'une année, soit entre le 29 novembre 2021, date de communication du mémoire du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres aux défendeurs et le 19 avril 2023, date de l'envoi de l'avis d'audience. Dans ces conditions, la prescription de l'action publique était acquise à la date du jugement du tribunal, la demande du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres étant devenue sans objet. Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 juin 2023, qui a statué sur cette demande, doit, dès lors, être annulé. Il y a lieu d'évoquer dans cette mesure et de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant à la condamnation de M. I..., en sa qualité de gérant de la SARL Carosserie JRC, au paiement d'une amende, non plus que sur les conclusions de première instance et d'appel de la société Carrosserie JRC et de M. I... tendant à leur relaxe aux fins de poursuites. L'effet extinctif de la prescription de l'action publique a pour conséquence la restitution à l'intéressé des sommes qu'il aurait, le cas échéant, payées en exécution du jugement précité.

Sur l'action domaniale :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

8. Ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, l'article L.322-10-4 du code de l'environnement donne compétence à la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et, sur délégation, aux délégués des rivages du conservatoire, pour saisir le tribunal administratif, dans les conditions et suivant les procédures prévues par le code de justice administrative, pour faire constater la contravention de grande voirie résultant de l'atteinte à l'intégrité et à la conservation du domaine public relevant du conservatoire. En vertu des dispositions de l'article R.322-37 du même code, le directeur du conservatoire représente l'établissement en justice et engage toute action en justice. Dans ces conditions, à supposer qu'il n'ait pas été abandonné, le moyen tiré de ce que la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres n'aurait pas été compétente pour saisir le tribunal administratif doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'action domaniale :

9. Aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de l'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (...) 4° La zone bordant le littoral définie à l'article L. 5111-1 dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion (...) ". Aux termes de l'article L. 5111-1 du même code : " La zone comprise entre la limite du rivage de la mer et la limite supérieure de la zone dite des cinquante pas géométriques définie à l'article L. 5111-2 fait partie du domaine public maritime de l'Etat ". Aux termes de l'article L. 5111-4 de ce code : " Les dispositions de l'article L. 5111-1 ne s'appliquent pas : / 1° Aux parcelles appartenant en propriété à des personnes publiques ou privées qui peuvent justifier de leur droit (...) ".

10. Aux termes de l'article L. 322-6 du code de l'environnement : " Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres peut être affectataire, à titre gratuit, d'immeubles dépendant du domaine public ou privé de l'Etat. Toutefois, lorsque le service précédemment affectataire est doté de l'autonomie financière, l'immeuble est affecté à titre onéreux à l'établissement public ou lui est cédé dans les formes du droit commun. / Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est substitué à l'Etat dans la gestion des immeubles qui lui sont affectés : il passe toutes conventions les concernant, notamment celles visées à l'article L. 322-9, perçoit à son profit tous leurs produits et supporte les charges y afférentes, de quelque nature qu'elles soient. Ces dispositions sont applicables aux immeubles domaniaux remis à l'établissement à titre de dotation. (...) ". Aux termes de l'article L. 322-9 du même code : " Le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat. Le domaine propre du conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission définie à l'article L. 322-1. Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre. (...) / Les immeubles du domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres peuvent être gérés par les collectivités locales ou leurs groupements, ou les établissements publics ou les fondations et associations spécialisées agréées qui en assurent les charges et perçoivent les produits correspondants. Priorité est donnée, si elles le demandent, aux collectivités locales sur le territoire desquelles les immeubles sont situés. Les conventions signées à ce titre entre le conservatoire et les gestionnaires prévoient expressément l'usage à donner aux terrains, cet usage devant obligatoirement contribuer à la réalisation des objectifs définis à l'article L. 322-1, ainsi que le reversement périodique au conservatoire du surplus des produits qui n'ont pas été affectés à la gestion du bien (...) ". L'article L. 322-10-4 de ce code dispose : " Sans préjudice des sanctions pénales encourues, toute atteinte à l'intégrité et à la conservation du domaine public relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, ou de nature à compromettre son usage, constitue une contravention de grande voirie constatée, réprimée et poursuivie par voie administrative. / Elle est constatée par les agents visés à l'article L. 322-10-1, sans préjudice des compétences des officiers et agents de police judiciaire et des autres agents spécialement habilités. / Les personnes condamnées sont tenues de réparer ces atteintes et encourent les amendes prévues pour les contraventions de cinquième classe et les cas de récidive. Elles supportent les frais des mesures provisoires et urgentes que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a pu être amené à prendre pour faire cesser le trouble apporté au domaine public par les infractions constatées. / Le directeur du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et, sur délégation, les délégués des rivages du conservatoire, ont compétence pour saisir le tribunal administratif, dans les conditions et suivant les procédures prévues par le code de justice administrative ".

11. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous (...) ". Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende. / Nul ne peut en outre, sur ce domaine, procéder à des dépôts ou à des extractions, ni se livrer à des dégradations ".

12. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 29 juin 2020, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, que la parcelle cadastrée section BY n° 195 située à Morne-à-l'Eau est occupée depuis 1985 par la Carrosserie JRC dont M. I... est le gérant. Par une convention de mise à disposition du 24 février 2010 valant affectation au sens de l'article L.322-6 du code de l'environnement, le site de la Mangrove de Vieux Bourg à Petit Canal comprenant notamment la parcelle section BY n° 195 appartenant au domaine public maritime a été confié au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. En 2015, cet établissement public ayant été informé par des agents du parc national de la Guadeloupe de l'extension de l'activité de carrosserie de M. I... par le comblement non autorisé de la zone humide, l'imperméabilisation des sols au nord des bâtiments et le stockage important de véhicules en épave, l'intéressé a été mis en demeure, par courrier du 25 août 2016, de procéder à la suppression immédiate des zones de stockage et à la remise en état des lieux dans leur état initial avant le 31 octobre 2016. Alors qu'à la suite de plusieurs échanges entre M. I... et le Conservatoire de l'espace littoral, il avait été convenu d'une libération des lieux et d'une relocalisation de l'activité de l'entreprise, l'intéressé a refusé de signer un protocole d'accord en ce sens et a poursuivi son activité. Lors d'une visite de contrôle du 26 mai 2020, l'agent ministériel missionné a constaté que M. I... occupait toujours la parcelle cadastrée section BY n° 195 et que l'occupation du domaine public maritime s'étendait approximativement sur une superficie de 10 340 m2. Le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 29 juin 2020 à la suite de cette visite relève que la parcelle totalement close est occupée, d'une part, par plusieurs bâtiments et zones de stockage de véhicules comportant un bâti servant de local administratif et abritant des cabines de peinture de 178 m², un bâti servant pour la préparation des pièces de carrosserie de 96 m², un bâti d'habitation principale à l'usage de M. I... de 156 m², deux bâtis pour la préparation des véhicules de respectivement 390 m² et de 110 m², un bâti pour les cabines de peinture construit après 2014 de 251 m², un bâti de carrosserie de 357 m² et un parking pour les employés et les clients de 940 m². Il est, d'autre part, relevé par ce procès-verbal que le reste de l'occupation est une zone de stockage de véhicules (240 à 250 véhicules), et accueille trois bennes pour ferraille, deux containers et une fosse septique, une fosse de 40 mètres de long qui s'étend de la forêt marécageuse jusqu'au bassin situé sur la partie est de la zone occupée, des matériaux (parpaings, sable) et une dalle de béton ainsi qu'une une clôture récente sur remblai installée sur la partie nord-est.

13. Pour contester le caractère irrégulier de cette occupation, M. I... persiste à invoquer sa qualité de propriétaire du bien.

14. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, sauf à renvoyer à l'autorité judiciaire une question préjudicielle en cas de contestation sur la propriété du bien litigieux dont l'examen soulève une difficulté sérieuse. Le caractère sérieux de la contestation s'apprécie au regard des prétentions contraires des parties et au vu de l'ensemble des pièces du dossier. Le juge doit prendre en compte tant les éléments de fait que les titres privés invoqués par les parties.

15. Pour établir les droits de propriété qu'il prétend détenir sur la parcelle cadastrée section BY n° 195, M. I... a notamment produit devant le tribunal un acte de vente du 16 octobre 1851 établi par Me Jean Thionville , notaire à Pointe-à-Pitre, un enregistrement de cet acte à la Conservation des Hypothèques le 20 octobre 1851 sous le volume 121 n°47, un acte d'adjudication du 9 novembre 1922 publié à la Conservation des hypothèques le 6 décembre 1922 constatant la vente par les consorts C... à M. D... A..., arrière grand-père de l'intéressé, et à M. J..., d'une habitation située en la commune de Morne-à-l'Eau d'une contenance de 94 ha 96 a 86 ca consistant en palétuviers noyés et en un ou deux monticules de terre franche enclavés dans les palétuviers, le tout borné au nord par la mer, au sud par les terres de M. E... B... ou ayants droit, à l'est par les terres de M. H... ou ayants droit, à l'ouest par les terres de M. F... ou ayants droit, et un relevé cadastral mentionnant les parcelles cadastrées section BR n°2,3,37,38, et section BY n° 2, 95, 96 et 97 pour une contenance cadastrale totale de 19 ha 90 a 40 ca, au nom de MM. Nanette et A.... Il a également produit un relevé généalogique, divers actes d'état civil justifiant selon lui de sa qualité d'ayant droit de M. D... A... et des avis de taxe foncière.

16. Ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, alors que ni le relevé généalogique ni les actes civils produits ne sont probants, il résulte de l'instruction qu'un géomètre expert mandaté par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a établi dans un rapport du 14 septembre 2017, relativement à la parcelle en cause, un certificat de concordance dont il ressort que " ce bien est composé d'une partie de mangrove, zone située dans la continuité de la mer et classée dans le domaine public maritime, inaliénable et imprescriptible. (...) Il n'apparait à aucun moment dans les origines de propriétés (..) qu'une partie de ce bien a été cédé par l'Etat. (...) Il apparait légitime de se poser la question de l'opposabilité de ce titre envers l'Etat ". Il indique en outre que " La concordance entre le document n°1 et les parcelles BR n°2,3,37,38 et BY n°2,95,96 ,97 et une partie de la parcelle section BY 195 ne signifie en aucun cas que les ayants droit Nanette et A... sont toujours propriétaires de ces parcelles (...) " et que " du fait de l'ancienneté de ce document, il n'est pas exclu que certaines parcelles aient été vendues ou bien revendiquées par un tiers au titre de la prescription trentenaire ".

17. Si M. I... persiste quant à lui à se prévaloir d'un certificat de concordance établi, à sa demande, le 30 janvier 2018, par un géomètre-expert qui a fait une projection de la contenance du bien et qui conclut qu' " à ce stade nous pouvons proposer la correspondance entre le bien décrit dans l'acte d'adjudication avec la zone géographique définie en rouge (...) que cette description est cohérente avec la description du bien défini dans le titre de propriété de 1922 et avec les occupations constatées sur site par M. G... I... notamment la construction à usage d'habitation sur la parcelle BY 195 et le garage Carrosserie JRC sur les parcelles BR 37 et BR 38 (..) ", ce document ne se prononce pas sur le droit de propriété de M. I... et indique d'ailleurs que l'intéressé n'a pas présenté d'acte de notoriété après le décès de MM. A... et Nanette de telle sorte qu'il n'établit pas être un ayant droit de M. D... A.... Si, à cette fin, M. I... produit nouvellement en appel trois actes de notoriété dressés le 27 mars 2024 par Me Buffon, notaire à Pointe-à-Pitre, dont il ressort qu'au nombre des ayants droit à la succession de M. D... A... figure sa grand-mère puis son père, dont il a pour sa part hérité une partie des biens et droits immobiliers dépendant de la succession, il ne ressort pas de ces documents que M. I... serait propriétaire de la parcelle cadastrée section BY n° 195. Ils ne sont donc pas davantage que ceux déjà produits en première instance de nature à établir les droits de propriété que M. I... prétend détenir sur la parcelle cadastrée section BY n° 195 dont il a par ailleurs été attesté par le directeur régional des finances publiques, le 18 mars 2021, qu'en l'absence de titre de propriété ayant fait l'objet d'une validation par la commission de vérification des titres ou ayant été délivré par l'Etat, elle relevait du domaine public maritime. La circonstance qu'il ait été assujetti à la taxe foncière est sans incidence sur l'appartenance des parcelles au domaine public.

18. Dans ces conditions, la question de la propriété ne pouvant être regardée comme soulevant une difficulté sérieuse justifiant la transmission d'une question préjudicielle à la juridiction judiciaire compétente, l'empiètement des installations de la Carrosserie JRC, dont le gérant est M. I..., sur le domaine public maritime de l'Etat, est constitutif d'une contravention de grande voirie.

19. Il résulte des dispositions citées au point 10 que, dans le cadre de la procédure de contravention de grande voirie, le contrevenant peut être condamné par le juge, au titre de l'action domaniale, et à la demande de l'administration, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l'enlèvement des installations afin que le domaine public maritime naturel retrouve un état conforme à son affectation publique. Lorsque le juge administratif est saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie, il ne peut légalement décharger le contrevenant de l'obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu'au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure.

20. La société Carrosserie JRC ne s'est prévalue ni en première instance ni en appel d'un cas de force majeure ou d'un fait de l'administration assimilable à un tel cas. Dès lors que l'infraction est constituée et se poursuit jusqu'à ce jour, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné M. I..., en sa qualité de gérant, et tous occupants de son chef de procéder à la démolition de l'intégralité des constructions et clôtures présentes édifiées sur la dépendance du domaine public maritime située sur la parcelle section BY n° 195 sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau et de rétablir les lieux dans leur état initial, dans un délai de trois mois, à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et a autorisé le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à procéder d'office à la réalisation des travaux aux frais, risques et périls du contrevenant, en cas d'inexécution passé le délai de trois mois.

Sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué :

21. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 23BX03034, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 24BX01354.

Sur les frais d'instance :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Carrosserie JRC et M. I... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas davantage lieu de faire droit à celles présentées au même titre par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2100254 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 juin 2023 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'action publique, non plus que sur les conclusions présentées devant le tribunal et devant la cour par la société Carrosserie JRC et son gérant M. I... tendant à leur relaxe des fins de poursuite, non plus que sur leurs conclusions tendant à ce que la cour prononce le sursis à exécution du jugement cité à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Carrosserie JRC, à son gérant M. G... I..., au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 novembre 2024.

Le président-assesseur,

Stéphane Gueguein

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

23BX03034, 24BX01354


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01354
Date de la décision : 06/11/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : STAHL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-06;24bx01354 ?
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