Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la décision du 12 mai 2021 par laquelle la directrice du centre hospitalier Louis-Constant Fleming l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire à compter du 23 avril 2021.
Par un jugement n° 2100107 du 6 juillet 2022, le tribunal a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 6 septembre 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 6 octobre 2022, le centre hospitalier Louis-Constant Fleming, représenté par Me Khatri, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 4 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a pas été régulièrement averti de l'existence de la requête, du dépôt des mémoires, des mesures d'instructions et du jour de l'audience ; il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour répondre au mémoire qui lui a été communiqué le 25 mai 2022, veille de la clôture de l'instruction, dans lequel M. B... a invoqué le moyen sur lequel le tribunal s'est fondé pour annuler la décision de suspension, tiré de ce que cette décision avait été transmise tardivement au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) ;
- le jugement, qui ne met pas le juge d'appel en mesure d'exercer son contrôle, est entaché de " défaut de base légale " ; il est en outre entaché de " dénaturation des pièces du dossier et des faits de l'espèce " ;
- dès lors que la décision du 23 novembre 2020 qui avait suspendu M. B... de ses fonctions à compter du 25 novembre 2020 jusqu'à la décision de l'autorité de nomination avait été annulée par le jugement du tribunal administratif du 23 avril 2021, M. B... ne se trouvait pas dans une situation régulière, ce qui permettait à l'administration de prendre une décision avec effet à compter du 23 avril 2021 ; cette rétroactivité n'était pas contraire au jugement
du 23 avril 2021 ; au demeurant, la rétroactivité ne pourrait entraîner qu'une annulation partielle ;
- si le Conseil d'Etat a jugé que le directeur d'un centre hospitalier pouvait, dans des circonstances exceptionnelles, décider de suspendre les activités d'un praticien hospitalier " à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ", il n'a pas déterminé dans quel délai la transmission au CNG devait avoir lieu; en l'espèce, la transmission n'était pas tardive, alors que le CNG, qui avait connaissance des précédentes décisions de suspension et était à l'initiative de la saisine du comité médical afin de s'assurer de l'aptitude de l'intéressé à l'exercice de ses fonctions, était informé de la situation, de sorte qu'un délai de transmission trop important n'aurait pas privé l'intéressé d'une garantie ;
- les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal ne sont pas fondés dès lors que :
* la directrice du centre hospitalier était nommée à la date de la décision de suspension ;
* le rapport de l'agence régionale de santé (ARS) du 23 septembre 2020 met en évidence des faits graves imputables à M. B..., de nature à altérer la continuité du service et mettre en danger la sécurité des patients ;
* le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, M. B..., représenté par le cabinet BJMR Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier Louis-Constant Fleming une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de l'absence de saisine immédiate du CNG figurait dans la requête enregistrée au greffe du tribunal le 6 juillet 2021 ;
- en l'absence de production par le centre hospitalier du procès-verbal d'installation de sa directrice, la décision du 12 mai 2021 doit être regardée comme entachée d'incompétence ;
- l'information immédiate du CNG surune mesure de suspension prise à l'encontre d'un praticien hospitalier est une obligation ;
- le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 23 avril 2021 avait annulé la précédente suspension en faisant droit au moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits ; ainsi, la suspension ne pouvait pas être régularisée par un acte rétroactif, et il devait être réintégré dans ses fonctions ;
- alors qu'il n'exerçait plus au centre hospitalier depuis le 25 novembre 2019, la directrice ne pouvait prendre une nouvelle décision de suspension en lui imputant " la persistance d'un contexte particulièrement délétère qui s'est renforcé " et une participation à " l'instauration d'une ambiance délétère " ; ces motifs ont d'ailleurs été censurés par la cour qui a confirmé, par un arrêt du 23 mars 2023, l'annulation des précédentes suspensions par le jugement du 23 avril 2021 ;
- la décision du 12 mai 2021, qui avait pour objet de faire obstacle à sa réintégration en exécution du jugement du 23 avril 2021, est entachée de détournement de pouvoir.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Joliff, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., médecin anesthésiste et praticien hospitalier au centre hospitalier Louis-Constant Fleming depuis 2003, a repris ses fonctions dans cet établissement en juillet 2019, après sept ans de congé de maladie et un stage de remise à niveau de six mois en métropole.
Les administrateurs provisoires de l'établissement l'ont suspendu de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois à compter du 25 novembre 2019, par une décision du même jour. La directrice du centre hospitalier nommée en janvier 2020 a prolongé cette suspension par trois nouvelles décisions des 12 mars, 2 juillet et 23 novembre 2020, les deux premières pour une période de quatre mois, et la troisième jusqu'à la décision de l'autorité de nomination. M. B... a contesté ces quatre décisions devant le tribunal administratif de Saint-Martin, lequel les a annulées par un jugement nos 2000007, 2000035, 2000080, 2100002
du 23 avril 2021, et l'appel du centre hospitalier Louis-Constant Fleming a été rejeté par un arrêt de la cour administrative de Bordeaux n° 21BX02695 du 2 mars 2023. Après l'annulation prononcée par le tribunal, la directrice du centre hospitalier a pris le 12 mai 2021 une nouvelle décision de suspension à titre provisoire de M. B..., avec effet à compter du 23 avril 2021. Par un jugement du 6 juillet 2022 dont le centre hospitalier Louis-Constant Fleming relève appel, le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé cette décision aux motifs, d'une part, qu'elle était entachée d'une rétroactivité illégale, et d'autre part, qu'elle avait été transmise au directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) quatorze jours après son édiction, alors qu'elle aurait dû l'être immédiatement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, contrairement à ce qu'il affirme dans sa requête sommaire, le centre hospitalier Louis-Constant Fleming a bien été averti de l'existence de la requête, du dépôt des mémoires, des mesures d'instruction et du jour de l'audience, à laquelle il était d'ailleurs représenté. S'il fait valoir dans son mémoire complémentaire qu'il n'aurait pas disposé d'un délai suffisant pour répondre au moyen tiré de la tardiveté de la transmission au CNG de la décision du 12 mai 2021, invoqué dans le mémoire en réplique de M. B... qui lui a été communiqué la veille de la clôture de l'instruction, ce moyen était soulevé dans la requête introductive d'instance. Le centre hospitalier n'est donc pas fondé à invoquer une méconnaissance du principe du contradictoire.
3. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le jugement ne mettrait pas le juge d'appel en mesure d'exercer son contrôle, invoqué dans la requête sommaire et non explicité ultérieurement, n'est pas assorti des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.
4. En troisième lieu, le " défaut de base légale " et la " dénaturation des pièces du dossier et des faits de l'espèce " reprochés par le centre hospitalier relèvent du bien-fondé, et non de la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. En cas d'urgence, le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de
l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.
6. La décision initiale de suspension de fonctions de M. B... du 25 novembre 2019 et ses prolongations successives, la dernière à durée indéterminée jusqu'à une décision de l'autorité de nomination qui n'a pas été prise, ont été annulées par le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 23 avril 2021 au motif que la poursuite de l'activité hospitalière de l'intéressé n'était pas de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril de manière imminente la continuité du service d'anesthésie où il exerçait, ou la sécurité des patients. Alors que M. B... n'avait pas repris son service depuis le 25 novembre 2019 et ne pouvait donc être à l'origine d'aucune situation exceptionnelle permettant de suspendre une nouvelle fois ses activités, l'exécution de ce jugement impliquait nécessairement la réintégration de l'intéressé. Ainsi, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, l'effet rétroactif de la décision de suspension du 12 mai 2021 à la date du 23 avril 2021 n'avait pas pour objet de placer M. B... dans une situation régulière, mais au contraire de soustraire l'administration à son obligation d'exécution du jugement. Ce détournement de pouvoir entache la décision d'illégalité dans son ensemble, et non en tant seulement qu'elle présentait un caractère rétroactif.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le second motif d'annulation retenu par les premiers juges, que le centre hospitalier Louis-Constant Fleming n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision du 12 mai 2021.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
8. Le centre hospitalier Louis-Constant Fleming, qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 1 500 au titre des frais exposés par M. B... à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier Louis-Constant Fleming est rejetée.
Article 2 : Le centre hospitalier Louis-Constant Fleming versera à M. B... une somme
de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Louis-Constant Fleming, à la ministre de la santé et de l'accès aux soins et à M. C... B.... Une copie en sera adressée pour information à l'agence régionale de santé Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02415