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12/12/2024 | FRANCE | N°23BX01661

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 12 décembre 2024, 23BX01661


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... épouse G..., M. C... G... son époux, ainsi que Mme H... E... et Mme F... G..., ses filles, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à verser des indemnités d'un montant total de 4 286 563,14 euros à Mme B... épouse G..., de 90 000 euros à M. G... et de 20 000 euro

s chacune à Mme E... et Mme F... G..., et de condamner le CHU de Bordeaux à verser u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... épouse G..., M. C... G... son époux, ainsi que Mme H... E... et Mme F... G..., ses filles, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à verser des indemnités d'un montant total de 4 286 563,14 euros à Mme B... épouse G..., de 90 000 euros à M. G... et de 20 000 euros chacune à Mme E... et Mme F... G..., et de condamner le CHU de Bordeaux à verser une indemnité de 100 000 euros à Mme B... épouse G... au titre de son préjudice moral d'impréparation.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM)

de Pau-Pyrénées, agissant pour le compte de la CPAM de Bayonne, a demandé au tribunal de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 139 999,84 euros au titre de ses débours échus et à rembourser ses frais futurs sur présentation de justificatifs.

Par un jugement n° 2200186 du 25 avril 2023, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à verser à Mme B... épouse G... une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2023 et un mémoire enregistré le 24 octobre 2023, Mme A... B... épouse G..., M. C... G..., Mme H... E... et Mme F... G..., représentés par l'AARPI ACLH Avocats, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM, le CHU de Bordeaux et son assureur, à verser

des indemnités de 4 286 563,14 euros à Mme B... épouse G..., 90 000 euros à M. G... et 20 000 euros chacune à Mme E... et Mme F... G... ;

3°) de condamner CHU de Bordeaux et son assureur à verser une indemnité

de 100 000 euros à Mme B... épouse G... au titre de son préjudice d'impréparation ;

4°) de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM, du CHU de Bordeaux et de son assureur, et d'ordonner si nécessaire un complément d'expertise ;

5°) de mettre à la charge de l'ONIAM, du CHU de Bordeaux et de son assureur une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne le droit à une indemnisation par le CHU de Bordeaux :

- le 16 juin 2017, l'état de santé I... G... s'était amélioré, et il n'y avait pas d'urgence à procéder à une embolisation de l'artère cérébelleuse ; selon les experts, les alternatives à l'embolisation de l'anévrisme par une colle acrylique étaient une abstention thérapeutique, un traitement médical avec un suivi rapproché, ou une occlusion par d'autres types de colles ou du matériel métallique ; ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le traitement réalisé au CHU de Bordeaux n'était pas le seul possible ; si Mme G... avait été informée du risque d'aggravation neurologique et de la possibilité d'abstention chirurgicale avec un suivi médical, elle aurait opté pour l'abstention ;

- le CHU n'a pas soutenu lors de l'expertise, comme il l'affirme désormais, que la technique d'embolisation retenue aurait été la seule possible ; Mme G... n'a été informée ni du risque encouru en l'absence d'intervention, ni de l'intervention qui allait être réalisée, ni des risques d'une embolisation par une colle acrylique, mais seulement, par le CHU de Bayonne, de ce qu'il avait été décidé de la transférer au CHU de Bordeaux, dont le service de neurologie était plus performant et plus spécialisé ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le défaut d'information sur les risques de l'intervention est à l'origine d'une perte de chance d'échapper au dommage, qu'il y a lieu d'évaluer à 50 %, ou à défaut à 25 % ;

En ce qui concerne le droit à une indemnisation par l'ONIAM :

- les experts se sont contredits en indiquant, d'une part, qu'une abstention thérapeutique était possible, et d'autre part, qu'il y avait un risque important de rupture de l'anévrisme en l'absence d'intervention ; c'est ainsi à tort que le tribunal a jugé que les conséquences de l'acte médical devaient être regardées comme moins graves que celles auxquelles la patiente était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ;

- en réponse à la question complémentaire de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), les experts ont indiqué que le risque de complication au sens d'une aggravation significative de l'état neurologique I... G... en relation avec l'acte pouvait être estimé entre 2 et 5 %, de sorte que le tribunal a retenu à tort un risque de 8 % ne pouvant être regardé comme une probabilité faible ; l'ONIAM ne saurait solliciter une expertise complémentaire au seul motif que celle ordonnée par la CCI n'a pas été réalisée à son contradictoire ;

En ce qui concerne les préjudices I... G... :

- l'aide à domicile avant consolidation fixée à 10 h 30 par semaine par les experts doit être évaluée, sur la base de 22,30 euros par heure, à 6 087,90 euros du 1er octobre 2017

au 14 avril 2018 ; du 14 avril 2018 au 17 juin 2020, elle a été compensée par l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) qui a mis en place un service de 52 heures par mois mais a généré un reste à charge de 760,94 euros ; il convient d'y ajouter l'assistance assurée par la famille à hauteur de 21 heures par jour, au taux horaire de 22,50 euros, soit 463 617 euros pour la période du 1er octobre 2017 au 17 juin 2020 ;

- les périodes de déficit fonctionnel temporaire du 18 juin 2017 au 17 juin 2020 peuvent être évaluées à un total de 19 383,25 euros sur la base de 23 euros par jour de déficit total,

les souffrances endurées de 5 sur 7 à 40 000 euros, et le préjudice esthétique temporaire

de 4 sur 7 à 25 000 euros ;

- Mme G... étant âgée de 61 ans à la date de consolidation de son état de santé,

le déficit fonctionnel permanent de 75 % imputable à l'accident médical peut être évalué

à 217 500 euros ;

- le reste à charge de l'assistance pour les repas couverte par l'APA peut être évalué

à 25 euros par mois, soit 300 euros par an, et l'assistance évaluée à 147 heures par semaine représente un coût annuel de 170 461,20 euros sur la base de 22,30 euros par heure ; le préjudice s'élève à 3 297 911,05 euros par application d'un coefficient de capitalisation de 19,313 ;

- les travaux d'aménagement des pourtours de la maison pour permettre à Mme G... de sortir de son domicile en fauteuil roulant sont évalués à 24 708 euros, et l'installation d'un ascenseur à l'étage à 17 605 euros, soit 42 313 euros de frais d'aménagement du logement ;

- Mme G... ne peut se déplacer qu'en ambulance pour se rendre au cabinet du médecin ou du kinésithérapeute ; il est demandé 38 990 euros pour l'acquisition d'un véhicule neuf adapté à ses déplacements privés ;

- le préjudice esthétique permanent de 4 sur 7 peut être évalué à 25 000 euros, le préjudice d'agrément à 70 000 euros en l'absence de possibilité de pratiquer des activités sportives ou de loisirs, et le préjudice sexuel à 40 000 euros ;

- la somme de 5 000 euros allouée par le tribunal au titre du préjudice moral d'impréparation imputable au défaut d'information par le CHU de Bordeaux est insuffisante et doit être portée à 100 000 euros ;

- M. G... a abandonné son activité de cordonnier pour un emploi dans une société de piscines afin d'être plus disponible auprès de son épouse, dont le handicap lui cause un important préjudice moral ; son mode de vie s'est trouvé bouleversé compte tenu de l'assistance qu'il apporte au quotidien à son épouse ; l'ensemble de ces préjudices peut être évalué à 50 000 euros, et son préjudice sexuel à 40 000 euros ;

- les deux filles majeures I... Mme G..., qui résident au domicile familial, ont subi un préjudice moral et ont dû adapter leur vie pour aider leur mère ; leur préjudice peut être évalué à 20 000 euros chacune.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 septembre, 25 octobre et

15 novembre 2023, le CHU de Bordeaux, représenté par l'AARPI ACLH Avocats, conclut au rejet de la requête et de la demande de la CPAM Pau-Pyrénées, et demande à la cour de mettre à la charge I... G... et autres une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les experts ont indiqué qu'il n'existait ni recommandation internationale, ni consensus concernant le traitement d'un anévrisme disséquant sur une branche cérébelleuse, mais seulement de courtes séries de quelques cas, et qu'il était rationnel de proposer à Mme G... un traitement endovasculaire de son anévrisme à l'aspect morphologique très inquiétant ; l'indication d'embolisation dans un centre expert a été prise en accord avec les équipes du centre hospitalier de Bayonne ; la seule circonstance qu'il existait des techniques alternatives à l'embolisation par colle acrylique ne peut faire regarder le choix de cette dernière comme discutable, ni l'intervention comme non urgente ; au regard de la localisation de l'anévrisme, l'utilisation d'un cathéter souple, et donc de colle acrylique, était la seule technique envisageable ; c'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont retenu un accident médical non fautif ;

- les experts ont admis qu'en cas d'abstention thérapeutique, Mme G... aurait été exposée à des risques d'ischémie et d'hémorragie pouvant conduire à son décès à court terme, et que l'aspect morphologique de l'anévrisme était très important vis-à-vis du risque hémorragique, de sorte que la nécessité d'une prise en charge rapide était indiscutable ; Mme G..., qui a été informée de son transfert au CHU de Bordeaux pour éviter un décès à court terme ou une aggravation neurologique bien plus grave que celle présentée actuellement, n'a manifesté aucun refus d'être opérée ; en l'absence d'alternative thérapeutique, elle n'aurait pas renoncé au traitement endovasculaire si elle avait été informée des risques inhérents à cette intervention ;

- dès lors que Mme G... a été informée du risque de complication lié à la nécessité d'être opérée, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a limité l'indemnisation du préjudice d'impréparation à 5 000 euros ;

A titre subsidiaire, en ce qui concerne les demandes indemnitaires :

- le besoin d'assistance par une tierce personne peut être évalué à 232 432,20 euros du 1er octobre 2017 au 17 juin 2020, sur la base d'un taux horaire de 11,80 euros correspondant au SMIC augmenté de 10 % pour tenir compte des congés payés, et la somme de 760,94 euros non prise en charge par l'APA peut être admise ;

- le déficit fonctionnel temporaire peut être évalué à 16 745 euros sur la base

de 20 euros par jour de déficit total, les souffrances endurées de 5 sur 7 à 12 000 euros,

le préjudice esthétique temporaire de 4 sur 7 à 5 000 euros, le déficit fonctionnel permanent

de 75 % à 190 400 euros, l'assistance par une tierce personne après consolidation à

1 710 408,26 euros, le préjudice esthétique permanent à 7 000 euros et le préjudice sexuel

à 10 000 euros ; la demande relative aux frais de logement adapté n'appelle pas d'observation ;

- si la nécessité de l'acquisition d'un véhicule adapté au handicap n'est pas contestée, il convient de déduire le prix de revente du véhicule actuel, dont il conviendra de justifier ;

- en l'absence de justification de la pratique d'activités de sport ou de loisirs auxquelles Mme G... aurait dû renoncer, la demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément doit être rejetée ;

- les préjudices des victimes indirectes peuvent être évalués à 10 000 euros pour l'époux I... G... et 5 000 euros pour chacune de ses filles ;

- l'attestation d'imputabilité produite par la CPAM de Pau-Pyrénées ne permet pas de justifier de manière objective l'imputabilité des dépenses qu'elle affirme avoir exposées ; l'imputabilité des frais d'hospitalisation à compter du 18 juin 2017 est peu probable compte tenu des suites normales d'une embolisation ; celle des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport pour un montant global de 75 918,23 euros n'est pas vérifiable, et la nécessité de 12 consultations par an d'un médecin généraliste n'est pas établie.

Par des mémoires enregistrés les 19 octobre et 23 novembre 2023, la CPAM de Pau-Pyrénées, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 139 999,84 euros au titre de ses débours échus

et à rembourser ses frais futurs sur présentation de justificatifs, ou s'il préfère en lui versant

un capital de 487 330,46 euros, et de mettre à la charge de cet établissement les sommes

de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle agit pour le compte de la CPAM de Bayonne, à laquelle Mme G... est affiliée, en vertu d'une convention de mutualisation qu'elle produit ;

- il résulte de l'expertise qu'aucune information sur les risques et alternatives thérapeutiques n'a été délivrée à Mme G... ; ce défaut d'information est à l'origine d'une perte de chance, évaluée par les experts à 50 % et par la CCI à 25 % ; la responsabilité du CHU de Bordeaux est ainsi engagée ; elle s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne le taux à retenir et sollicite le remboursement de l'intégralité de sa créance ;

- les débours échus s'élèvent à 139 999,84 euros, et les dépenses de santé futures

à 487 330,46 euros ; eu égard au secret médical, elle n'a pas à fournir le détail sollicité par le CHU de Bordeaux ; les hospitalisations mentionnées dans le relevé des débours sont celles

du 18 au 19 juin 2017 au CHU de Bordeaux, du 19 au 26 juin 2017 au centre hospitalier de la Côte Basque, et du 26 juin au 29 septembre 2017 au centre de rééducation fonctionnelle Les Embruns ; les frais futurs mentionnés par le médecin conseil correspondent aux soins infirmiers, de kinésithérapie, d'orthoptie et d'orthophoniste retenus dans l'avis de la CCI ; dès lors que les professionnels en cause n'interviennent que sur prescription médicale, le médecin conseil a estimé nécessaire d'ajouter une consultation par mois d'un médecin généraliste.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 octobre 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à titre principal à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les conclusions dirigées à son encontre, et à titre subsidiaire à l'organisation d'une expertise afin de rechercher si les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sont réunies et d'évaluer les préjudices I... G....

Il fait valoir que :

- les experts ont indiqué dans leur rapport que l'anévrisme exposait Mme G... à un risque d'aggravation à court terme, soit par une récidive par extension du caillot dans l'anévrisme disséquant, soit par rupture de l'anévrisme exposant à une hémorragie pouvant être fatale ; ainsi, l'intervention réalisée le 17 juin 2017 n'a pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée de façon suffisamment probable en l'absence de traitement ;

- il résulte de l'expertise, qui a validé l'indication de prise en charge, que l'abstention thérapeutique aurait exposé Mme G... à un risque élevé d'aggravation de son état de santé ; l'amélioration de l'état clinique I... G... avant l'intervention est sans incidence sur la précarité de son état de santé, avec un anévrisme disséquant qui pouvait se rompre à tout moment ; le risque d'aggravation significative en lien avec l'acte de 2 à 5 % retenu par les experts est en contradiction avec les données de la littérature, lesquelles rapportent un taux de complication de 8,2 % en cas d'utilisation de colle, et un taux de morbi-mortalité de 8 % dans le cas du traitement des anévrismes sur l'artère cérébelleuse supérieure ; ainsi, le risque n'était pas faible, comme l'a jugé à bon droit le tribunal ;

- à titre subsidiaire, si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée, il conviendrait d'organiser une nouvelle expertise à son contradictoire, laquelle devra porter non seulement sur le taux de survenue de la complication, mais aussi sur la perte de chance en lien avec le défaut d'information imputable au CHU de Bordeaux, et enfin sur les préjudices I... G....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport I... D...,

- les conclusions I... Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dana, représentant Mme B... épouse G..., M. C... G..., Mme H... E... et Mme F... G..., celles de Me Barbereau représentant le CHU de Bordeaux et la société Amtrust Assurance, et de Me Ravaut, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 juin 2017, Mme B... épouse G..., alors âgée de 60 ans, a présenté au réveil des difficultés d'équilibre à la station debout et des troubles de la coordination du membre supérieur gauche. Sur les conseils de son ostéopathe, elle est allée consulter à la polyclinique de la Côte Basque, où les examens réalisés ont fait suspecter une lésion ischémique cérébelleuse supérieure gauche, et la patiente a été transférée le même jour à 16 h 45 dans l'unité neurovasculaire du centre hospitalier de la Côte Basque. Un diagnostic d'AVC ischémique avec un aspect d'anévrisme disséquant de l'artère cérébelleuse supérieure gauche a été posé dans ce dernier établissement, et il a été décidé le 16 juin 2017 de transférer la patiente au CHU de Bordeaux pour une exclusion de la lésion anévrismale. L'intervention, réalisée le 17 juin, a consisté en une occlusion de l'anévrisme par injection de colle acrylique. Au réveil, Mme G... a présenté une hémiparésie droite, une ataxie controlatérale, une déviation des yeux vers la droite, ainsi qu'une importante dysarthrie en rapport avec une hypoesthésie de l'hémiface droite. Elle a quitté le CHU de Bordeaux pour un séjour en centre de rééducation du 29 juin au 30 septembre 2017, et a regagné son domicile le 1er octobre. Elle a conservé une importante perte d'autonomie nécessitant l'aide d'une tierce personne dans la majeure partie des gestes du quotidien, ainsi que des douleurs neuropathiques dont le traitement est à l'origine de troubles de l'attention et de la concentration.

2. Mme G..., son époux et ses deux filles ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), laquelle a organisé une expertise confiée à un neuropsychiatre et un neurologue vasculaire. Les experts ont expliqué qu'une diffusion de la colle acrylique utilisée pour l'embolisation de l'anévrisme avait occlus de manière complète et définitive l'ensemble de l'artère cérébelleuse supérieure jusqu'à son pied au niveau du tronc basilaire, ce qu'ils ont qualifié d'aléa thérapeutique non fautif. Ils ont conclu que le dommage était imputable à 50 % à cet accident, et à 50 % à un manquement fautif du CHU de Bordeaux à son obligation d'information. En réponse à une question complémentaire de la CCI, ils ont évalué à 2 à 5 % le risque de survenue d'une complication de l'intervention ayant pour effet d'aggraver significativement l'état neurologique I... G.... Par un avis du 17 juin 2021, la CCI a estimé que la réparation des préjudices I... G... incombait à l'ONIAM à hauteur de 75 %, et au CHU de Bordeaux à hauteur de 25 % au titre de la perte de chance d'échapper au dommage en lien avec un défaut d'information. En l'absence de proposition d'indemnisation et après avoir présenté des réclamations préalables, Mme G... et sa famille ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'ONIAM et le CHU de Bordeaux à verser des indemnités d'un montant total de 4 286 563,14 euros à Mme G..., de 90 000 euros à son époux et de 20 000 euros à chacune de ses filles, et de condamner le CHU de Bordeaux à verser une indemnité de 100 000 euros à Mme G... au titre de son préjudice moral d'impréparation. Ils relèvent appel du jugement du 25 avril 2023 par lequel le tribunal, qui a seulement condamné le CHU de Bordeaux à verser une indemnité de 5 000 euros à Mme G... au titre de son préjudice d'impréparation, a rejeté le surplus de leurs demandes.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

4. Lors de l'expertise, le médecin qui a réalisé l'intervention du 17 juin 2017 a précisé qu'il n'y avait pas eu d'information préalable car il s'agissait d'une urgence, et le CHU de Bordeaux ne peut utilement se prévaloir de l'information délivrée par le centre hospitalier de la Côte Basque, laquelle ne portait pas sur la nature de la prise en charge ultérieure par un autre établissement. Les experts ont relevé que la patiente avait été admise au CHU la veille de l'intervention, qu'il existait des alternatives à l'acte d'embolisation, dont l'abstention thérapeutique, et qu'alors que Mme G... avait presque complètement récupéré de l'AVC initial, elle était en état de recevoir l'information et de faire un choix. Dans ces circonstances, le fait de n'avoir pas recueilli le consentement éclairé de la patiente est constitutif d'une faute. Toutefois, l'expertise, qui présente une certaine ambigüité sur le caractère indispensable d'une intervention, ne précise pas les risques des autres techniques d'embolisation, dont la faisabilité est contestée par le CHU de Bordeaux, ce qui ne permet pas à la cour de se prononcer sur l'existence d'une perte de chance pour Mme G... d'échapper aux graves complications de l'intervention du 17 juin 2017.

5. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux

termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / (...). " Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui est inférieure ou égale à 5 % présente le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.

6. Les experts ont expliqué que l'anévrisme disséquant présenté par Mme G..., une " déchirure " de la paroi artérielle, expose les patients à un important risque d'aggravation à court terme, soit par extension du caillot dans l'anévrisme (récidive ischémique), soit par rupture de l'anévrisme entraînant une hémorragie cérébro-méningée possiblement très grave, voire fatale. Dans ces circonstances, l'intervention du 17 juin 2017, qui a eu pour conséquence un déficit fonctionnel permanent de 75 %, ne peut être regardée comme ayant entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme G... était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

7. Après le dépôt du rapport d'expertise, la CCI a demandé aux experts d'indiquer le taux de survenance de la complication en lien avec l'acte de soins, en tenant compte de l'état de santé spécifique de la patiente. En l'absence d'études spécifiques concernant les anévrismes disséquants sur une branche cérébelleuse, qui sont très rares, ils ont présenté des références relatives aux anévrismes sacciformes non rompus, pour lesquels les complications du traitement, intervenant dans 8 à 10 % des cas, se résolvent le plus souvent favorablement, le risque de complication permanente étant de 3,7 %. Ils ont cité une étude relative à la technique du traitement par produit liquide du type de celui utilisé dans le cas I... G... sur des anévrismes rompus et non rompus, avec un taux de complications de 8,2 % et de mortalité de 2 %. Enfin, ils ont précisé qu'il n'existe pas de donnée fiable dans la littérature sur le traitement des anévrismes situés sur l'artère cérébelleuse supérieure, et qu'un taux de morbi-mortalité de 8 % avait été rapporté dans une série rétrospective de 33 cas d'anévrismes rompus ou non rompus. En tenant compte de ce que Mme G... présentait un anévrisme non rompu, les experts ont évalué le risque d'aggravation significative de son état neurologique en relation avec l'intervention du 17 juin 2017 entre 2 et 5 %. Cette conclusion contestée par l'ONIAM n'est pas explicitée, de même que la gravité des complications de 3,7 %, 8,2 % et 8 %, de sorte que la cour n'est pas en mesure de se prononcer sur l'existence d'un droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale.

8. Il résulte de ce qui précède que l'état du dossier ne permet pas à la cour de se prononcer sur le droit à indemnisation I... G.... Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions prévues par le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Avant de statuer sur la demande indemnitaire I... G..., il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un neurochirurgien, en présence I... G..., du CHU de Bordeaux, de la société Amtrust Assurance, de l'ONIAM et de la CPAM de Pau-Pyrénées.

Article 2 : L'expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical I... G... et de l'expertise

du 15 février 2021 réalisée à la demande de la CCI, et d'examiner Mme G... ;

2°) de décrire l'anévrisme disséquant de l'artère cérébelleuse présenté par Mme G..., et de présenter l'état des connaissances sur ce type de pathologie ; de donner son avis, compte tenu de la localisation de l'anévrisme, sur la faisabilité de techniques d'embolisation autres que celle qui a été retenue, en donnant pour chacune une évaluation chiffrée du risque de complications d'une gravité comparable ou supérieure au dommage subi par Mme G... ;

3°) de donner son avis sur la possibilité d'une abstention thérapeutique avec une surveillance rapprochée, que les premiers experts évoquent tout en précisant qu'ils ne l'auraient pas recommandée, alors qu'ils qualifient l'intervention d'indispensable en raison des risques évolutifs connus et prévisibles de l'anévrisme; de préciser le degré d'urgence d'une embolisation et le " court terme " du risque d'aggravation importante de l'état I... G... en l'absence d'intervention ;

4°) dans le cas où une abstention aurait été possible, de chiffrer la perte de chance d'échapper à des séquelles au moins aussi graves que celles dont Mme G... reste atteinte, et d'indiquer la nature et la gravité des séquelles que Mme G... aurait, le cas échéant, conservées de l'AVC initial ;

5°) en s'appuyant sur la littérature dont les références seront précisées, et en explicitant le raisonnement tenu en l'absence de données correspondant au cas particulier des anévrismes disséquants de l'artère cérébelleuse, d'évaluer la probabilité de complications de l'intervention du 17 juin 2017 avec des conséquences au moins aussi graves que le dommage subi par

Mme G... ;

6°) de donner son avis sur l'existence d'une évolution de l'état de santé I... G... depuis l'expertise réalisée le 11 décembre 2020 à la demande de la CCI, et le cas échéant, de fixer une nouvelle date de consolidation ;

7°) En cas d'évolution de l'état de santé I... G... depuis le 11 décembre 2020 :

- de fixer les périodes de déficit fonctionnel temporaire depuis le 17 juin 2020, date de consolidation fixée par les premiers experts, et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

- de fixer le taux du déficit fonctionnel permanent en lien avec l'intervention du 17 juin 2017, à l'exclusion des séquelles qu'aurait laissées l'AVC initial, en explicitant la nature des atteintes

à l'intégrité physique, cognitive ou psychique ;

- de procéder, s'il y a lieu, à une nouvelle évaluation des besoins en lien avec le handicap ;

- de procéder, s'il y a lieu, à une nouvelle évaluation des préjudices personnels en lien avec les séquelles (souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel) ;

8°) dans tous les cas :

- d'évaluer les besoins d'assistance par une tierce personne en lien avec les conséquences de l'intervention du 17 juin 2017, à l'exclusion des séquelles qu'aurait laissées l'AVC initial, au regard du handicap ;

- d'apporter tous autres éléments estimés utiles à l'évaluation des préjudices I... G....

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. S'il lui apparaît nécessaire de faire appel au concours d'un sapiteur, il sollicitera l'autorisation du président de la cour, comme le prévoit l'article R. 621-2 du code de justice administrative.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code

de justice administrative, l'expert déposera son rapport sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué

par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse G..., représentante unique pour l'ensemble des requérants, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société Amtrust Assurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.

La rapporteure,

Anne D...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01661


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01661
Date de la décision : 12/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-12;23bx01661 ?
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