Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Pharmacie MSR Basse Gondeau, la SELAS MSR Terreville et la SELAS Errard MSR, désormais dénommée MSR du Stade, ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à verser des indemnités de 245 570,05 euros à la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, 149 976,53 euros à la SELAS MSR Terreville et 166 957,08 euros à la SELAS MSR du Stade, avec intérêts à compter du 16 novembre 2020 et capitalisation.
Par un jugement n° 2100031 du 12 mai 2022, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 août 2022, et un mémoire enregistré
le 29 novembre 2022, la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, la SELAS MSR Terreville et la SELAS MSR du Stade, représentées par Me Especel, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, ainsi que la décision implicite de rejet de leur réclamation préalable ;
2°) de condamner l'Etat à verser les sommes de 299 539,78 euros à
la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, 175 425,83 euros à la SELAS MSR Terreville
et 198 881,38 euros à la SELAS MSR du Stade, avec intérêts à compter du 16 novembre 2020 et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 4 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté comme inopérant le moyen tiré du déséquilibre de la répartition des officines de garde ;
- l'arrêté du 4 avril 2016, annulé par la cour, les a contraintes à cesser d'ouvrir le dimanche matin alors que leurs désaccords leur permettaient antérieurement de le faire ; l'arrêté a porté ainsi une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'origine d'un manque à gagner qui constitue un préjudice indemnisable ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté avait pu légalement instituer un secteur de garde délimité par l'aéroport du Lamentin dépourvu de population résidente, ce qui permet que l'officine de l'aéroport soit systématiquement de garde, au détriment de l'autre pharmacie de garde sur le secteur de la commune du Lamentin ;
- le pharmacien inspecteur a réalisé un unique contrôle et a conclu qu'elles auraient commis des faits d'une particulière gravité en ouvrant le dimanche matin après la publication de l'arrêté, sans les mettre en mesure de présenter des observations sur les éléments à charge retenus dans son rapport ; ce contrôle a abouti à des sanctions disciplinaires, alors que l'arrêté qui les a empêchées d'ouvrir le dimanche matin était illégal ;
- l'illégalité de l'arrêté qui les a contraintes à cesser d'ouvrir leurs officines le dimanche matin est à l'origine d'une perte de marge nette de 159 570,05 euros pour la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, 72 976,53 euros pour la SELAS MSR Terreville et 89 957,08 euros pour la SELAS MSR du Stade au 30 septembre 2020, qu'il convient d'actualiser en ajoutant les pertes supplémentaires respectives de 53 969,73 euros, 25 449,30 euros et 31 924,30 euros pour la période du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021 ;
- l'agence régionale de santé (ARS) leur a causé un préjudice d'image en les contraignant à cesser de desservir la population le dimanche matin sans disposer d'un fondement juridique régulier, en saisissant l'ordre des pharmaciens sur la base d'éléments infondés, par un courrier de menaces de mai 2016, par le refus d'exercer ses compétences et par une collusion avec le président de la délégation de l'ordre qui siégeait au conseil de discipline ; elle a ainsi organisé un dénigrement à leur encontre ; ces fautes leur ont causé un préjudice d'image, dont la réparation doit être évaluée à 50 000 euros pour chacune d'elles ;
- elles ont également subi un préjudice matériel de 15 000 euros chacune au titre des frais exposés pour la défense de leurs droits devant les juridictions administratives et ordinales et de 2 000 euros chacune pour l'élaboration de la réclamation préalable, et notamment l'intervention d'un expert-comptable ; le temps consacré à gérer les " tracas " causés par les fautes de l'ARS peut être évalué à une semaine par an et par officine depuis avril 2016, justifiant l'allocation de 10 000 euros pour chaque officine à la date de la réclamation préalable ;
- la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, dont l'officine est située au Lamentin, non loin de l'aéroport, a constaté que les sollicitations de ses clients durant les services de garde s'étaient taries ; l'instauration d'un secteur correspondant à l'aéroport est à l'origine d'un manque à gagner pour cette officine ; une indemnité de 2 000 euros par an est sollicitée à ce titre, soit 9 000 euros à la date de la réclamation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Especel, représentant la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau, la SELAS MSR Terreville et la SELAS MSR du Stade.
Une note en délibéré présentée pour la SELAS Pharmacie MSR Basse Gondeau,
la SELAS MSR Terreville et la SELAS MSR du Stade a été enregistrée le 11 décembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Lors de son assemblée générale extraordinaire du 28 septembre 2015, le syndicat des pharmaciens de la Martinique a approuvé cinq résolutions relatives à l'organisation de la permanence des soins à compter du 1er janvier 2016, portant respectivement sur la définition de cinq secteurs ou " zones de garde ", la définition des heures habituelles d'ouverture des pharmacies de 7 h à 20 h du lundi au samedi, la fixation à minuit (24 h) de la fin du service d'urgence en semaine, le principe de l'ouverture de la seule pharmacie de garde de 7 h à 24 h le dimanche et les jours fériés, et le principe de l'autorisation d'échange de gardes ou de services d'urgences seulement au sein d'un même secteur. Par lettres du 30 décembre 2015, les sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et Errard MSR devenue depuis MSR du Stade, qui exploitent des officines de pharmacie, ont notifié à l'agence régionale de santé (ARS) leur désaccord sur le tableau de garde officinale de l'année 2016 élaboré conformément
à ces résolutions, en contestant le découpage en secteurs qui avait été retenu. Par un arrêté
du 4 avril 2016, le directeur général de l'ARS a fixé le service de garde et d'urgence tel qu'il avait été défini par le syndicat des pharmaciens, au motif que nonobstant les désaccords, cette organisation satisfaisait aux intérêts de la santé publique. Cet arrêté a été annulé pour irrégularité de la procédure par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 17BX03925
du 3 décembre 2019. Après avoir présenté une réclamation préalable restée sans réponse, les sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et Errard MSR ont saisi le tribunal administratif de la Martinique d'une demande de condamnation de l'Etat à leur verser respectivement des indemnités de 245 570,05 euros, 149 976,53 euros et 166 957,08 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation des préjudices qu'elles prétendaient avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 4 avril 2016 et d'un comportement fautif de l'ARS à leur encontre. Elles relèvent appel du jugement du 12 mai 2022 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. La réclamation préalable présentée par les sociétés requérantes n'a eu pour effet que de lier le contentieux à l'égard de leurs demandes indemnitaires. La requête présentant le caractère d'un recours de plein contentieux, les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne l'illégalité de l'arrêté du 4 avril 2016 :
3. Dès lors que des illégalités sont fautives, elles sont, comme telles et quelle qu'en soit la nature, susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat dès lors qu'elles sont à l'origine des préjudices subis. Il appartient au juge, saisi de conclusions indemnitaires en ce sens, de vérifier l'existence et le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué.
4. Aux termes de l'article L. 5125-22 du code de la santé publique : " Un service de garde est organisé pour répondre aux besoins du public en dehors des jours d'ouverture généralement pratiqués par les officines dans une zone déterminée. Un service d'urgence est organisé pour répondre aux demandes urgentes en dehors des heures d'ouverture généralement pratiquées par ces officines. / Toutes les officines de la zone, à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 5125-19, sont tenues de participer à ces services, sauf décision contraire prise par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé après avis des organisations représentatives de la profession dans le département, en cas de circonstances ou de particularités locales rendant impraticable ou non nécessaire la participation de l'ensemble des officines. / L'organisation des services de garde et d'urgence est réglée par les organisations représentatives de la profession dans le département. A défaut d'accord entre elles, en cas de désaccord de l'un des pharmaciens titulaires d'une licence d'officine intéressés ou si l'organisation retenue ne permet pas de satisfaire les besoins de la santé publique, un arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé règle lesdits services après avis des organisations professionnelles précitées et du conseil régional de l'ordre des pharmaciens. (...). Un pharmacien qui ouvre son officine pendant un service de garde ou d'urgence, alors qu'il n'est pas lui-même de service, doit la tenir ouverte durant tout le service considéré. / (...)"
5. En vertu des dispositions des articles L. 4232-1 et L. 4232-16 du code de la santé publique, les attributions du conseil régional de l'ordre des pharmaciens relèvent en Martinique de la compétence du conseil central de la section E de l'ordre national des pharmaciens, représentant l'ensemble des pharmaciens exerçant dans les départements d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, et constitué, conformément aux dispositions de l'article L. 4232-14 du même code, de représentants élus des pharmaciens et d'un pharmacien inspecteur de santé publique. L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux
n° 17BX03925 du 3 décembre 2019 a annulé l'arrêté du directeur général de l'ARS
du 4 avril 2016 au motif que le conseil central de la section E de l'ordre national des pharmaciens n'avait pas été saisi, ce qui avait privé d'une garantie les pharmaciens en désaccord avec l'organisation des services de garde envisagée par la profession, alors que l'avis était en outre susceptible d'influer sur le sens de la décision prise par le directeur général de l'ARS.
6. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, le désaccord notifié à l'ARS par les sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et Errard MSR portait sur le découpage de la Martinique en secteurs pour l'organisation des services de garde et d'urgence. Le préjudice financier dont elles se prévalent à raison d'une impossibilité d'ouvrir leurs officines le dimanche matin se rapporte à l'application des dispositions de l'article L. 5125-22 du code de la santé publique selon lesquelles un pharmacien qui ouvre son officine pendant un service de garde ou d'urgence, alors qu'il n'est pas lui-même de service, doit la tenir ouverte durant tout le service considéré. Ce préjudice est sans lien avec l'absence de saisine du conseil central de la section E de l'ordre national des pharmaciens, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, leur désaccord ne leur conférait aucun droit à méconnaître les dispositions de l'article L. 5125-22 en ouvrant leurs officines durant la moitié du service de garde lorsqu'elles n'étaient pas de garde. La demande relative à des pertes de marge nette et aux frais exposés pour en faire déterminer le montant par un expert-comptable ne peut donc qu'être rejetée.
7. Seule la société Pharmacie MSR Basse Gondeau se prévaut d'un préjudice en lien avec le découpage des secteurs, en alléguant un manque à gagner durant ses services de garde du fait de l'instauration d'un secteur constitué par la seule pharmacie de l'aéroport. Toutefois, elle n'en démontre pas la réalité en se bornant à faire valoir, sans autre précision, que les sollicitations de sa clientèle se seraient " taries " durant ses gardes et en alléguant une perte forfaitaire de 2 000 euros par an.
En ce qui concerne le comportement reproché à l'ARS :
8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que par lettre du 8 juin 2016, le président de la délégation départementale de l'ordre des pharmaciens de la Martinique a demandé au directeur général de l'ARS de diligenter une inspection afin de contrôler le respect de l'arrêté du 4 avril 2016 par les pharmacies MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et Errard MSR, en précisant que les officines étaient ouvertes le dimanche matin et fermaient à midi, et que le conseil de l'ordre n'était pas parvenu à raisonner les pharmaciens, dont les pratiques purement commerciales et anti-confraternelles étaient de nature à entraîner une désorganisation des services de garde et d'urgence. Une enquête réalisée le dimanche 14 août 2016 par un pharmacien inspecteur de santé publique a permis d'établir que deux des officines étaient ouvertes le matin et fermées l'après-midi, la troisième étant " exceptionnellement fermée ce dimanche matin pour des raisons de panne informatique ". Ces faits ont donné lieu à des sanctions disciplinaires d'interdiction d'exercice prononcées le 20 novembre 2018 par la chambre de discipline du conseil central de la section E de l'ordre des pharmaciens en se fondant sur la méconnaissance des dispositions de l'article L. 5125-22 du code de la santé publique. Les requérantes, dont la pratique illégale et réitérée d'ouverture le dimanche matin est documentée par le dossier de première instance, ne sauraient donc reprocher à l'ARS de les avoir contraintes à y mettre fin sans disposer d'un fondement juridique régulier. Si le rapport du pharmacien inspecteur critiquait vivement leur comportement et était accompagné d'une pétition de 75 des 149 pharmaciens d'officine de la Martinique dénonçant " un manque de confraternité, une absence de déontologie et une éthique indigne de la profession ", cette seule circonstance n'est pas de nature à caractériser un manque d'impartialité, ni une faute dans la mission de contrôle de nature à engager la responsabilité de l'Etat, alors que l'instance disciplinaire a souverainement apprécié l'existence de manquements aux dispositions législatives de l'article L. 5125-22 sur la continuité du service. Enfin, les allégations des requérantes relatives à un courrier de menaces, un refus de l'ARS d'exercer ses compétences et une collusion avec le président de la délégation de l'ordre qui siégeait au conseil de discipline ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, l'existence d'un préjudice d'image en lien avec un comportement fautif de l'ARS n'est pas démontrée, et les demandes relatives au temps consacré à gérer les " tracas " imputés à l'ARS ainsi qu'aux frais exposés par les sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et MSR du Stade pour assurer leur défense devant la chambre de discipline ne peuvent qu'être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et MSR du Stade ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande. Leurs conclusions tendant à l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent donc qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des sociétés Pharmacie MSR Basse Gondeau, MSR Terreville et MSR du Stade est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral par actions simplifiée Pharmacie MSR Basse Gondeau, représentante unique pour l'ensemble des requérantes, et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins. Des copies en seront adressées pour information à la directrice générale de l'agence régionale de santé de Martinique et à la chambre de discipline du conseil central de la section E de l'ordre des pharmaciens.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22BX02192