Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 12 octobre 2020 par laquelle le ministre de la justice a refusé sa nomination dans un office notarial à créer et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2021.
Par un jugement n° 2005846, 2106100 du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 janvier 2023, M. C..., représenté par Me Casanova, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler la décision du 12 octobre 2020 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2021 ;
4°) d'enjoindre au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la nomination dans un office notarial créé, conformément au procès-verbal des opérations de tirage au sort du 17 juillet 2017, dès la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a indiqué que les faits retenus par le ministre pour rejeter sa demande étaient récents et de nature à caractériser des " manquements graves à la probité et à l'honorabilité de la profession de notaire " ; pour parvenir à cette conclusion, le tribunal a pris en considération des faits qui n'avaient pas même été relevés par le garde des sceaux ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation au regard du 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ; par un jugement définitif du 29 juillet 2015 revêtu de l'autorité de la chose jugée, le tribunal de grande instance (TGI) de Saint-Etienne, statuant en matière disciplinaire, n'a prononcé qu'une simple sanction de rappel à l'ordre et n'a reconnu aucun manquement grave à la probité et l'honorabilité de la fonction de notaire ; les faits qui lui sont reprochés ne sont ni graves, ni récents ; il a toujours respecté les exigences déontologiques et juridiques qui s'attachent à la rédaction d'un acte authentique, aucun de ses actes n'ayant d'ailleurs jamais été critiqué par un de ses clients à l'occasion d'une action en responsabilité ;
- en ce qui concerne les poursuites en matière pénale, la chambre de l'instruction près la cour d'appel de Lyon a prononcé une décision de non-lieu à poursuivre du chef de faux en écriture publique ou authentique, et le pourvoi exercé par le parquet général a été rejeté sans examen par la cour de cassation ;
- si, à la date de la décision contestée, l'ordonnance du tribunal judiciaire de Saint-Etienne du 28 mai 2020 avait ordonné sa mise en accusation devant la cour d'assises, d'autres décisions définitives avaient déjà été rendues, notamment un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon levant la totalité de son contrôle judiciaire et qui rejetait le chef d'accusation de faux ainsi que le jugement du TGI de Saint-Etienne statuant en matière disciplinaire ; à cette date, le procureur de la République de Saint-Etienne, par un réquisitoire définitif du 7 novembre 2019, avait requis un non-lieu en l'absence de charges suffisantes ;
- le 3° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ne s'applique pas à sa situation, dès lors que les agissements qui lui sont reprochés n'ont pas donné lieu à sa mise à la retraite d'office, à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation ;
- en refusant de le nommer dans un office notarial à créer par deux décisions du
25 octobre 2017 et du 12 octobre 2020 entachées d'illégalité, l'administration a commis une faute engageant sa responsabilité ; aucune falsification n'a été commise dans le traitement des documents d'une succession, ainsi qu'il ressort de la décision de non-lieu du 28 mai 2021, dont les constatations de fait s'imposent au juge administratif en vertu de l'autorité de la chose jugée par le juge pénal ; le manquement tiré de la perception d'honoraires injustifiés pour des actes non réalisés n'est pas établi, le jugement du TGI de Saint-Etienne faisant seulement état d'honoraires libres en sus d'émoluments ;
- il a subi un préjudice lié à la perte de valeur de l'office notarial, qui correspond à la somme qu'il aurait pu retirer de la vente de l'office à créer s'il avait été nommé ; ce préjudice peut être évalué à la somme de 450 000 euros, selon une attestation de la société Fiducial Expertise ;
- il a subi une perte de revenus professionnels entre les années 2018 et 2022 qui peut être évaluée à la somme de 415 000 euros sur la base d'un revenu annuel moyen de
83 079,75 euros entre 2012 et 2015 ;
- son préjudice moral doit être évalué à la somme de 135 000 euros ;
- l'illégalité des décisions du 12 octobre 2020 et du 25 octobre 2017 est en lien direct et certain avec les préjudices dont il demande réparation, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal s'agissant de la décision du 25 octobre 2017.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour de rejeter la requête de M. C....
Il soutient que :
- le procureur général de la cour d'appel de Bordeaux a émis un avis très défavorable à la nomination de M. C..., au motif qu'il avait commis des faits contraires à l'honneur et à la probité ;
- M. C... a perçu des honoraires non justifiés sur le fond ou en contravention avec la règle du non cumul des émoluments et des honoraires, ou encore pris pour des actes non réalisés, faits qui ont donné lieu au prononcé de la sanction disciplinaire de rappel à l'ordre par un jugement du TGI de Saint-Etienne du 29 juillet 2015 ;
- à la date de la décision contestée, il se trouvait mis en accusation devant la cour d'assises pour avoir falsifié les documents d'une succession en faisant mention d'une clause inexacte ; la circonstance qu'un non-lieu à poursuivre ait été rendu, postérieurement à la décision contestée, par la cour d'appel de Lyon est sans incidence sur la légalité de sa décision, et les constatations de fait de l'arrêt de non-lieu ne s'imposent pas au juge administratif ;
- les faits pris en compte, eu égard à leur gravité, leur caractère récent et répété, sont contraires à l'honneur et à la probité au sens du 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ; en tout état de cause, les seuls faits résultant du jugement du TGI de Saint-Etienne du
29 juillet 2015 suffisaient à justifier légalement sa décision ;
- le comportement postérieur de M. C... ne peut être pris en compte pour l'examen du moyen tiré de l'erreur d'appréciation dès lors que l'intéressé n'exerce plus la profession de notaire depuis le 24 mai 2016 ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre l'insuffisance de motivation de la décision du 25 octobre 2017 et les préjudices dont M. C... se prévaut ; la décision du 12 octobre 2020 n'étant entachée d'aucune illégalité, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire.
Par une ordonnance du 28 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 28 mai 2024 à 12 h 00.
Un mémoire présenté pour M. C... a été enregistré le 28 mai 2024 à 12H15.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;
- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 novembre 2016, M. B... C..., notaire, a déposé auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, une demande tendant à être nommé dans un office notarial à créer à la résidence de Bordeaux (zone 7204 - Bordeaux), sur le fondement du II de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et de l'article 50 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973. Par une décision du 25 octobre 2017, le garde des sceaux a rejeté sa demande, après avoir recueilli l'avis défavorable du procureur général près la cour d'appel de Lyon. Par un jugement n° 1801149 du
9 janvier 2020, cette décision a été annulée par le tribunal administratif de Bordeaux, qui a enjoint au garde des sceaux de réexaminer la demande de M. C.... Après avoir procédé à ce réexamen, cette autorité a de nouveau refusé de faire droit à la demande de M. C.... Celui-ci relève appel du jugement n° 2005846, 2106100 du 3 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2021, en réparation des préjudices qu'il estime résulter de l'illégalité des décisions du 25 octobre 2017 et du 12 octobre 2020.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 12 octobre 2020 :
2. Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : / (...) 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ; / 3° N'avoir pas été l'auteur d'agissements de même nature ayant donné lieu à mise à la retraite d'office ou à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées de l'article 3 de ce décret que nul ne peut être notaire s'il ne remplit pas, notamment, la condition de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité. Lorsqu'il vérifie le respect de cette condition, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination. Ces dispositions s'appliquent à toute demande de nomination dans un office, qu'elle émane d'un candidat sollicitant pour la première fois sa nomination en tant que notaire, ou d'une personne possédant cette qualité. De plus les faits contraires à l'honneur et à la probité ne se limitent pas à ceux ayant donné lieu à sanctions disciplinaires ou pénales, et le principe de présomption d'innocence n'interdit pas à l'autorité administrative de se fonder sur des éléments issus d'une procédure pénale en cours, pourvu que la matérialité des faits soit suffisamment établie.
4. Pour rejeter la candidature de M. C... à sa nomination en qualité de notaire dans un office à créer à la résidence de Bordeaux (zone 7204 - Bordeaux), le ministre de la justice a relevé d'une part que M. C... avait perçu des honoraires non justifiés en sus d'émoluments, en méconnaissance de l'article 9.1 du règlement national des notaires, faits à raison desquels le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a prononcé la sanction disciplinaire de rappel à l'ordre et, d'autre part, qu'il avait falsifié les documents d'une succession en faisant mention d'une clause inexacte, faits ayant donné lieu à sa mise en accusation le 28 mai 2020 devant la cour d'assises de Lyon du chef de faux en écriture publique ou authentique. Le ministre de la justice a considéré que ces faits étaient contraires à l'honneur et à la probité.
5. Il ressort des pièces du dossier que les 6 janvier et 25 février 2015, des inspections ordinales menées au sein de l'étude notariale de M. C... ont mis en évidence, s'agissant de plusieurs dossiers, la perception d'honoraires libres en plus des émoluments réglementés, perçus ou à percevoir, pour un montant s'élevant à la somme de 61 392 euros. Au cours de l'action disciplinaire exercée par le procureur de la République à raison de ces faits devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, M. C... n'a pas été en mesure de justifier, en dépit de ses allégations, que l'ensemble de ces honoraires entraient dans le champ de l'exception au non-cumul des honoraires et des émoluments prévue par l'article 9.1 du règlement national des notaires en ce qu'ils se seraient rapportés à des prestations détachables, rémunérées selon les termes de lettres de mission et de conventions d'honoraires préalables approuvées par les clients. Par ailleurs, il ressort des motifs de l'ordonnance de non-lieu partiel et de mise en accusation devant la cour d'assises de Lyon du 28 mai 2020 que l'intéressé a admis avoir apposé sa signature sur des actes de notoriété et de succession établis à l'étude de Saint-Bonnet le Château et datés du 29 août 2014, comportant une clause indiquant " lecture faite, les parties ont certifié exactes les déclarations les concernant, puis le notaire soussigné a recueilli leur signature et a lui-même signé ", alors que les parties n'étaient pas présentes mais représentées, et que lui-même, se trouvant hors de son étude, en Corse, ne les a signés que le lendemain. S'il se prévaut de ce que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon a prononcé le 28 mai 2021 un non-lieu à poursuivre en ce qui concerne le chef de faux en écriture publique ou authentique par dépositaire de l'autorité publique, au motif que les actes litigieux n'étaient entachés que d'une simple inexactitude matérielle qui n'affectait pas la véracité des informations qui y étaient contenues, cette décision juridictionnelle est postérieure à la décision contestée, et l'ordonnance de mise en accusation sur laquelle s'est fondé le ministre retenait à cette date l'existence de charges suffisantes au titre de ce chef d'accusation. En tout état de cause, alors que les faits contraires à l'honneur et à la probité ne se limitent pas à ceux ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou pénale, la circonstance qu'il ait, en connaissance de cause, signé et authentifié des actes comportant une mention erronée, était suffisante pour caractériser à elle seule, un manquement à la probité. Dans ces circonstances, eu égard à la gravité et au caractère récent des faits retenus par le garde des sceaux, et alors que celui-ci ne pouvait porter aucune appréciation sur le comportement postérieur de M. C... dès lors que celui-ci n'exerçait plus les fonctions de notaire depuis son retrait de son office notarial le 24 mai 2016, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la décision contestée n'était pas entachée d'erreur d'appréciation au regard du 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. D'une part, il résulte de ce qui précède que le ministre de la justice n'a pas entaché d'illégalité sa décision du 12 octobre 2020 en rejetant la demande de nomination de M. C... dans un office à créer.
7. D'autre part, si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de la personne publique, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une décision entachée d'un vice de forme ou de procédure, la même décision aurait pu légalement être prise, ou si l'illégalité externe sanctionnée ne présente pas un lien direct de causalité avec l'un au moins des préjudices allégués.
8. Par un jugement du 9 janvier 2020 n° 1801149, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 25 octobre 2017 rejetant la demande de nomination de M. C... dans un office notarial à créer à Bordeaux au motif que, ne comportant aucune indication sur la nature des faits contraires à l'honneur et à la probité dont l'intéressé aurait été l'auteur, elle était insuffisamment motivée. Il résulte toutefois de l'instruction que, quand bien même la décision du 25 octobre 2017 aurait été davantage motivée, le ministre de la justice aurait pris une décision de refus identique. Dans ces conditions, l'illégalité fautive commise par le garde des sceaux, ministre de la justice, ne présente aucun lien direct avec les préjudices dont M. C... demande réparation.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024
Le rapporteur,
B... A...
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX00003