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19/12/2024 | FRANCE | N°24BX01703

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 19 décembre 2024, 24BX01703


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du

21 février 2024 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2401742 du 28 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.


r> Procédure devant la cour administrative d'appel :



Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2024, M....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du

21 février 2024 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2401742 du 28 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Duten, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 mai 2024 ;

2°) à titre principal, de renvoyer à une formation collégiale du tribunal administratif de Bordeaux l'examen de sa requête de première instance et, à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 21 février 2024 et d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir, dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- dès que la magistrate désignée a substitué le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au 4° de cet article, sur lequel s'était fondé le préfet pour édicter l'obligation de quitter le territoire français, elle aurait dû renvoyer l'examen du recours à une formation collégiale du tribunal administratif de Bordeaux, conformément à la répartition des compétences au sein de la juridiction administrative, telle qu'elle a été rappelée par le Conseil d'Etat dans son avis n° 431585 du 6 novembre 2019 ;

- le tribunal administratif n'a pas suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant refus de séjour ;

En ce qui concerne le bien fondé du jugement attaqué :

- le refus de séjour a été pris par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé dès lors qu'il avait démontré auprès du préfet l'intensité et la stabilité de ses liens privés, familiaux et sociaux en France ;

- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ; c'est à tort que le tribunal a relevé qu'il n'avait présenté aucune demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 422-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il n'a jamais déclaré avoir bénéficié d'un titre de séjour " étudiant " ;

- l'arrêté préfectoral du même jour abroge la décision du 3 août 2023, laquelle ne lui avait jamais été notifiée et c'est à tort que le tribunal a considéré que l'existence de la décision du

3 août 2023 ne ressortait pas des pièces du dossier ;

- il méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; il vit en France depuis sept ans et n'a plus aucune attache en Russie ; il justifie de son intégration en France, où il a suivi avec assiduité une formation qui lui a permis d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle spécialité maintenance des véhicules option voitures particulières et un diplôme d'études en langue française, niveau B1 ; il bénéficie de promesses d'embauche dans le domaine de la viticulture et d'une promesse d'embauche actualisée datée de mars 2024 ; son père est gravement malade et sa présence à ses côtés est requise ;

- sa situation relève de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- son exécution sera impossible compte tenu de l'absence de vols à destination de la Russie ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français qui la fondent ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; c'est à tort que le tribunal a écarté ce moyen en relevant qu'il ne démontrait pas être effectivement soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre, condition qui ne relève d'aucun texte ; la Russie enrôle sans consentement ses ressortissants et envoie les jeunes en première ligne ; âgé de 23 ans, il serait nécessairement astreint à un service militaire obligatoire.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il se réfère à son mémoire en défense produit en première instance, qu'il joint.

Par une décision du 27 juin 2024, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me Lavallée, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant russe né le 6 juillet 2001, est entré en France le

20 juillet 2017 sous couvert d'un visa de court séjour d'une durée de validité de 90 jours.

Le 31 juillet 2019, il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée, en dernier lieu, par la Cour nationale du droit d'asile le 31 mars 2021. Le 12 juillet 2021, il a sollicité auprès du préfet de la Gironde la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 21 février 2024 le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Russie comme pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement n° 2401742 du 28 mai 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) ". Aux termes de l'article L. 614-5 du même code, applicable à la date de l'arrêté contesté : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. / (...) / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou parmi les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. / L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d'un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise. / L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office. Lorsque l'étranger conteste une décision portant obligation de quitter le territoire fondée sur le 4° de l'article L. 611-1 et une décision relative au séjour intervenue concomitamment, le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue par une seule décision sur les deux contestations ".

3. Les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne font pas obstacle, dans l'hypothèse où un étranger, à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire et qui a fait l'objet d'une ou, le cas échéant, de plusieurs obligations de quitter le territoire français fondées sur le 4° de cet article, a présenté une demande tendant à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, à ce que l'autorité administrative assortisse le refus qu'elle est susceptible d'opposer à cette demande d'une obligation de quitter le territoire français fondée sur le 4° de cet article.

4. Dans une telle hypothèse, la décision relative au séjour et l'obligation de quitter le territoire français dont elle est assortie doivent être regardées comme intervenues concomitamment au sens du dernier alinéa de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, la contestation de la décision relative au séjour à l'occasion d'un recours contre l'obligation de quitter le territoire français suit le régime contentieux applicable à l'obligation de quitter le territoire prévu par cet article, alors même que cette dernière a pu être prise également sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du même code.

5. L'arrêté contesté, qui vise les dispositions du 3° ainsi que celles du 4° de l'article

L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique que M. C... a sollicité le bénéfice de l'asile le 31 juillet 2019, que sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 novembre 2019 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 31 mars 2021, et qu'il ne peut dès lors se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des articles L. 429-9 et L. 424-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. C..., la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux était bien compétente, en application de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour se prononcer sur sa demande. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en raison de la nécessité de renvoyer à une formation collégiale ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... réside depuis le 20 juillet 2017 sur le territoire français, avec ses parents et son frère. Il y a entamé un cursus de CAP cuisinier à compter du début de l'année universitaire 2018/2019, avant de se réorienter et d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle " spécialité maintenance des véhicules option A- voitures particulières " à l'issue de deux années de formation. Parallèlement à son parcours universitaire, il s'est vu délivrer le 15 septembre 2022 un diplôme d'études en langue française de niveau B1. Les nombreuses attestations qu'il produit, si elles font pour la plupart état de ses qualités humaines, insistent également sur l'assistance qu'il apporte à son père, ressortissant russe, dans le cadre de son parcours de soins, celui-ci étant atteint du VIH et d'un cancer du poumon et bénéficiant d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Dans les circonstances particulières de l'espèce, et compte tenu de l'intégration de l'intéressé en France et de la durée de son séjour, M. C... est fondé à soutenir que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

8. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État

une somme de 1 200 euros à verser à Me Duten, conseil de M. C..., en application

des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2401742 du 28 mai 2024 et l'arrêté du 21 février 2024 du préfet de la Gironde sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Duten une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Axelle Duten. Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

Le rapporteur,

Antoine B...

La présidente,

Catherine Girault, La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX01703


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01703
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : DUTEN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;24bx01703 ?
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