Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... et A... B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 mars 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à leur demande de regroupement familial présentée au bénéfice de l'enfant D....
Par un jugement n° 2305021 du 16 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 avril 2024, M. et Mme C... et A... B..., représentés par Me Cesso, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2024 ;
2°) d'annuler la décision du préfet de la Gironde du 24 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de leur délivrer l'autorisation de regroupement familial, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de leur demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- le refus de regroupement familial est entaché d'une erreur de droit dès lors que ce régime n'est pas réservé à l'enfant ayant une filiation établie avec les demandeurs ;
- le préfet a méconnu l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'il n'a pas pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant ; outre les liens affectifs qu'ils ont entretenus avec l'enfant depuis qu'il a cinq ans, ils versent régulièrement de l'argent à ses parents, qui ne peuvent subvenir à ses besoins ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par une ordonnance du 9 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 20 novembre 2024.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Valérie Réaut.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants marocains respectivement entrés en France en septembre 1985 et en août 1999, sont titulaires de cartes de résident expirant le 3 novembre 2027 et le 23 septembre 2029. Par une demande du 23 août 2022, ils ont sollicité le regroupement familial au bénéfice du neveu de Mme B..., D..., né le 1er mai 2011, que le préfet de la Gironde a refusé par une décision du 24 mars 2023. Ils relèvent appel du jugement du 16 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, les époux B... reprennent, sans critique utile du jugement, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, auquel les premiers juges ont pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Bordeaux.
3. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 9 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. (...) ". Selon l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " Selon l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. " L'article L. 434-5 dudit code précise que : " L'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté, en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger. "
4. D'autre part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Enfin, selon les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. Si les dispositions énoncées au point 4 prévoient que l'enfant susceptible de bénéficier du regroupement familial est l'enfant légitime ou naturel ayant une filiation légalement établie ainsi que l'enfant adopté, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial demandé pour un enfant n'appartenant pas à l'une des catégories qui y ont droit ne porte pas une atteinte excessive aux droits des intéressés au respect de leur vie privée et familiale et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.
6. Pour refuser la demande de regroupement familial aux époux B... au profit de D..., neveu de Mme B..., le préfet de la Gironde a retenu que cet enfant, sans lien de filiation avec les demandeurs, d'une part ne relevait d'aucune des catégories de bénéficiaires de cette procédure visées à l'article L. 434-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et d'autre part a toujours vécu auprès de ses parents, qui ne l'ont pas abandonné.
7. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet a d'abord constaté l'absence de filiation légalement établie entre les époux B... et l'enfant, que ne peut compenser le jugement du tribunal de première instance de Berrechid du 20 septembre 2021 qui se borne à entériner l'acte de kafala du 8 octobre 2019. A la suite de ce constat, le préfet a pu, sans erreur de droit, écarter l'application de l'article L. 434-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et examiner la demande de regroupement familial au regard des seules stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En second lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que par acte de kafala adoulaire du 8 octobre 2019, homologué par le tribunal de première instance de Berrechid, les parents du jeune D..., vivant au Maroc, ont confié leur fils à sa tante et son mari, M. et Mme B..., vivant en France, qui ont accepté de l'accueillir en lui assurant un logement, des soins et une assistance financière et morale. Toutefois, ce jeune enfant, âgé de onze ans à la date de la décision contestée, conserve des liens affectifs avec ses parents et ses quatre frères et sœurs avec lesquels il vit au Maroc. Si M. et Mme B... participent financièrement à son éducation et à ses loisirs, ils n'établissent pas, en se prévalant de leur souhait de l'accueillir en France à raison de la précarité économique de la famille, qu'il serait de l'intérêt supérieur de l'enfant qu'il rompe ses liens avec sa fratrie et ses parents pour vivre chez sa tante et son oncle. Ainsi, en refusant d'accorder le regroupement familial, le préfet de la Gironde n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant et n'a pas méconnu les stipulations du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
9. D'autre part, alors même que les époux B... établissent rendre visite au jeune D... au Maroc et participer aux frais de scolarité de celui-ci, en refusant d'accorder le regroupement familial au bénéfice du jeune enfant, le préfet n'a pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Dès lors que le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les époux B..., les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais de l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instante, la somme que les époux B... demandent au titre des frais de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête des époux B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2024.
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent PougetLe greffier
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX00836 2