La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2025 | FRANCE | N°22BX02447

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 09 janvier 2025, 22BX02447


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2021, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les quatre titres exécutoires émis le 18 mai 2021 par la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, pour le recouvrement d'une somme d'un montant total de 5 620 euros correspondant à des aides perçues au titre du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financi

ères et sociales de l'épidémie de covid-19, et de la décharger de l'obligation de p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2021, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les quatre titres exécutoires émis le 18 mai 2021 par la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, pour le recouvrement d'une somme d'un montant total de 5 620 euros correspondant à des aides perçues au titre du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de l'épidémie de covid-19, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n° 2103434 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les quatre titres exécutoires émis le 18 mai 2021 par la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et a déchargé Mme A... de l'obligation de payer la somme de 5 620 euros pour le recouvrement de laquelle ils ont été émis.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregistrée le 8 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour d'annuler le jugement n° 2103434 du 8 juillet 2022 du tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :

- le moyen tiré de la méconnaissance du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 n'est pas fondé ; Mme A... n'ayant pas le statut de professionnelle, elle ne pouvait bénéficier des aides du fonds de solidarité ;

- le fonds de solidarité n'a vocation à bénéficier qu'aux activités exercées à titre professionnel et n'a pas pour vocation de compenser d'éventuelles pertes de revenus nées de la gestion d'un patrimoine personnel ; le refus du bénéfice du fonds de solidarité aux loueurs en meublé non professionnels ne méconnaît ni la loi n° 2020-290 du 24 mars 2020 ni l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ni le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;

- un loueur en meublé non professionnel n'est pas un exploitant individuel exerçant une activité économique susceptible de faire faillite ;

- à supposer que l'activité de loueur en meublé non professionnel soit regardée comme étant éligible au fonds de solidarité, Mme A... ne remplit pas les conditions posées par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 pour un autre motif tiré de ce qu'elle était titulaire d'une pension de vieillesse antérieurement au 1er mars 2020 ; à tout le moins, elle était tenue de mentionner la perception de cette pension dans ses demandes ; une substitution de motifs est sollicitée.

La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a été communiquée à Mme A... qui n'a pas produit d'observations en défense.

Par une ordonnance du 18 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du tourisme ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;

- le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Karine Butéri,

- les conclusions de Anthony Duplan, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., retraitée, exerce depuis le 24 août 2017 une activité de loueur en meublé de tourisme à Jonzac (Charente-Maritime). Elle a bénéficié, au titre des mois de mars à juin 2020, du premier volet de l'aide exceptionnelle prévue par le décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation correspondant à une aide d'un montant total de 5 620 euros. Par un courrier du 22 septembre 2020, l'administration l'a informée que son activité de loueur en meublé non professionnel n'était pas éligible à l'aide et que les aides obtenues au titre des mois de mars à juin 2020 devaient en conséquence donner lieu à récupération. En l'absence de reversement, la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes a émis, le 18 mai 2021, quatre titres exécutoires pour le recouvrement de cette somme. Après les avoir contestés en vain devant l'administration, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler ces quatre titres exécutoires et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 5 620 euros. Par un jugement du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à ses demandes. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement.

2. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance tout mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de cette épidémie et " notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : / a) D'aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d'un fonds (...) ". Sur le fondement de cette habilitation, l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a institué un fonds de solidarité à destination des " personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ". L'article 1er du décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité, pris en application de l'article 3 de cette ordonnance, définit le champ d'application du dispositif en disposant que : " Le fonds [de solidarité] bénéficie aux personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, ci-après désignées par le mot : entreprises (...) ". Le décret, modifié à de nombreuses reprises depuis son édiction pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie et des mesures prises pour limiter sa propagation, précise ensuite les conditions d'attribution des aides versées au titre de ce fonds. Parmi ces conditions figure, pour certaines des périodes couvertes par le dispositif d'aides, notamment celle comprise entre le 1er juin 2020 et le 30 juin 2020, l'exercice d'une activité principale relevant de l'un des secteurs énumérés à l'annexe 1 ou à l'annexe 2 du décret, au nombre desquels : " Hôtels et hébergement similaire " et " Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée ". Pour d'autres périodes, les activités relevant desdits secteurs bénéficient de conditions d'accès privilégiées au fonds de solidarité.

3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si le mécanisme d'aide exceptionnelle prévu par le décret du 30 mars 2020 cible prioritairement les entreprises des secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, du tourisme, de l'organisation d'évènements, du sport et de la culture qui ont dû interrompre leur activité ou qui les exercent dans des conditions dégradées en raison des mesures de police administrative mises en place dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, il n'exclut pas pour autant de son champ d'application les exploitants individuels exerçant une activité économique qui rempliraient les conditions prévues par le décret. Pour l'application des dispositions de ce décret, doit être regardé comme exerçant une activité économique quiconque accomplit une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services ou se livre à des opérations comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

4. D'une part, il résulte de l'instruction que Mme A... propose à la location deux appartements à Jonzac, spécialement équipés pour accueillir des séjours touristiques de courte durée, dans le cadre d'une activité de loueur de meublé de tourisme. Au titre de cette activité, Mme A... a déclaré un chiffre d'affaires de 18 650 euros en 2018, de 19 450 euros en 2019 et de 5 820 euros en 2020. Au regard des conditions d'exercice de cette activité, qui génère des recettes ayant un caractère de permanence, elle doit être qualifiée d'activité économique au sens et pour l'application des dispositions précitées du décret du 30 mars 2020. A cet égard, la circonstance que les recettes issues de la location de locaux d'habitation meublés seraient inférieures aux seuils définis par les dispositions du IV de l'article 155 du code général des impôts qui, s'agissant de la classification des revenus catégoriels, qualifie de " professionnelle " l'activité de loueur en meublé uniquement lorsqu'elle génère des recettes annuelles supérieures à 23 000 euros, n'est pas de nature à exclure l'exercice, par le loueur, d'une activité économique. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'activité exercée par Mme A... pouvait être qualifiée d'activité économique au sens des dispositions du décret du 30 mars 2020.

5. D'autre part, il résulte des termes de l'annexe 1 au décret du 30 mars 2020 que le secteur d'activité de l'hébergement touristique et autre hébergement de courte durée, qui se distingue de celui des activités hôtelière et para-hôtelière également mentionné par cette annexe, fait partie des secteurs d'activité pouvant prétendre au bénéfice du mécanisme d'aide prévu par ce décret soit, pour certaines périodes, à titre exclusif soit, pour d'autres périodes, selon des conditions d'accès privilégiées. Contrairement à ce que soutient le ministre, l'activité de loueur de meublés de tourisme qui, en ce qui concerne la classification des équipements et aménagements de tourisme, sont classés dans la catégorie des hébergements autres que les hôtels et les terrains de camping aux articles L. 324-1 et suivants du code du tourisme, à l'instar des résidences de tourisme et des villages résidentiels de tourisme, fait partie du secteur d'activité de l'hébergement touristique et autre hébergement de courte durée, au sens et pour l'application des dispositions de l'annexe 1. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'en considérant que l'activité de loueur en meublé non professionnel de Mme A... n'était pas éligible au bénéfice de l'aide exceptionnelle, l'administration avait commis une erreur de droit.

6. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. L'administration fait valoir devant la cour que les conditions de l'article 1er du décret du 30 mars 2020 ne sont pas remplies dès lors que Mme A... perçoit depuis 2019 une pension de vieillesse qu'elle n'a pas mentionnée dans ses demandes d'aides exceptionnelles.

8. A la date de la demande d'aide de Mme A... au titre du mois de mars 2020, soit le 7 avril 2020, l'article 1er du décret du 30 mars 2020 modifié prévoyait que les aides financières étaient notamment attribuées aux personnes physiques qui n'étaient pas titulaires, au 1er mars 2020, d'une pension de vieillesse. A la date de sa demande d'aide concernant le mois d'avril 2020, sollicitée le 5 mai 2020, la même condition était prévue à l'article 3-1 du même décret. A la date de la demande d'aide de l'intéressée pour le mois de mai 2020, formulée le 6 juin 2020, l'article 3-3 du même décret posait la même condition, la pension de retraite ne devant pas en l'occurrence avoir été perçue au titre de la période comprise entre le 1er mai 2020 et le 31 mai 2020. A la date de la demande d'aide de Mme A... concernant le mois de juin 2020, présentée le 27 juillet 2020, l'article 3-5 de ce décret prévoyait une condition équivalente.

9. Il résulte de l'instruction, notamment des déclarations de revenus 2019, 2020 et 2021 de Mme A..., qui ne conteste pas ces pièces produites par l'administration, qu'elle perçoit une pension de retraite servie par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) depuis 2019 d'un montant annuel de 10 273 euros. Les pensions de retraite, qui constituent des prestations contributives acquises en contrepartie d'une activité professionnelle antérieure, sont au nombre des pensions de vieillesse. Dans ces conditions, Mme A... ne remplissait pas les conditions d'éligibilité aux aides pour les mois de mars à juin 2020. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Il y a lieu, par suite, de procéder à la substitution de motif demandée qui ne prive Mme A... d'aucune garantie procédurale.

10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les quatre titres exécutoires émis le 18 mai 2021 par la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes pour le recouvrement de la somme de 5 620 euros et a déchargé Mme A... de l'obligation de payer cette somme. S'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... au soutien de sa demande, elle n'en a invoqué aucun autre. Dans ces conditions sa demande ne peut qu'être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 8 juillet 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme A... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à Mme A....

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2025.

Le président-assesseur,

Stéphane Gueguein

La présidente-rapporteure,

Karine Butéri

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02447


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02447
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. DUPLAN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-09;22bx02447 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award