Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 mai 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2303034 du 24 janvier 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en production de pièces enregistrés le 5 avril 2024 et le 28 août 2024, M. B..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 janvier 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 24 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande et, dans cette attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État et au bénéficie de Me Cesso une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
- le signataire de l'arrêté était incompétent ;
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- le refus de titre de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le tribunal a omis de tenir compte du fait que la rupture des soins qui lui sont prodigués l'expose à un risque létal, soit à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; il ne peut pas bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine dès lors qu'en sa qualité de réfugié, il ne saurait y retourner ; la question n'est pas de savoir si un traitement existe en Grèce, qui n'est pas son pays d'origine et où il n'est au demeurant pas établi qu'il serait légalement admissible ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il justifie d'un motif d'admission exceptionnelle au séjour en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
- dès lors qu'il est titulaire d'une carte de séjour dans un autre pays membre de l'Union européenne, le préfet devait prendre à son égard une décision de remise audit État et ne pouvait l'éloigner sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- dès lors qu'il pouvait bénéficier de plein droit d'un titre de séjour, il ne pouvait être éloigné du territoire français ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet ne précise pas s'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et il doit demeurer auprès de sa compagne qui est enceinte ;
En ce qui concerne le pays de destination :
- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève ; il ne peut être renvoyé à destination de la République démocratique du Congo dès lors qu'il bénéficie de la protection internationale que lui a reconnue la Grèce.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet du recours.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 mars 2024.
Par un mémoire en production de pièce enregistré le 22 novembre 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a communiqué, à la demande de la cour, le dossier médical de M. B... qui a été communiqué au préfet de la Gironde le 25 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatifs aux réfugiés ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut ;
- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.
èConsidérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de la République Démocratique du Congo, né le 20 juin 1988, est entré en France, selon ses déclarations, le 1er août 2021, en provenance de Grèce où le statut de réfugié lui a été reconnu par une décision du 19 février 2019. Par une décision d'irrecevabilité du 24 novembre 2021, l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile déposée en France au motif qu'il n'avait pas établi qu'il ne bénéficiait pas d'une protection effective en Grèce. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 22 mars 2022. Puis, par deux arrêtés du 18 juillet 2022, la préfète de la Gironde a décidé de sa remise d'office aux autorités grecques et a prononcé son assignation à résidence dans le département de la Gironde pour une durée de quarante-cinq jours. Le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces deux arrêtés par un jugement du 22 juillet 2022. Enfin, le 20 décembre 2022, M. B... a sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 425-9, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 mai 2023, le préfet de la Gironde a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a fait interdiction de retour sur ce territoire pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du jugement du 24 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 mai 2023 :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ". Lorsque l'étranger bénéficie de la qualité de réfugié faisant obstacle à ce qu'il puisse être renvoyé dans son pays d'origine, le pays dont il est originaire s'entend du pays lui ayant accordé le statut de réfugié et où il est susceptible d'être renvoyé.
3. Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ".
4. En vertu des dispositions précitées, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit émettre son avis au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
5. Pour refuser de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité en qualité d'étranger malade, le préfet de la Gironde s'est fondé sur l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, selon lequel l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité.
6. Pour contester l'avis de l'Ofii sur lequel s'est fondé le préfet de la Gironde pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, M. B..., qui a levé le secret médical, explique qu'il souffre d'un stress post-traumatique associé à un état dépressif sévère qui se manifeste par un ralentissement psychomoteur majeur, une tristesse permanente et une absence d'envie, un isolement avec repli et un risque suicidaire, pathologies pour lesquelles il bénéficie d'un suivi psychiatrique et d'un traitement composé d'antipsychotiques et d'anxiolytiques aux posologies élevées. Le requérant produit deux certificats médicaux établis par la médecin psychiatre du centre hospitalier Charles Perrens qui le suit depuis 2021, relatifs à son état de santé antérieur à l'arrêté en litige. Ces certificats indiquent que les deux pathologies dont souffre M. B... sont " d'intensité sévère et d'une exceptionnelle gravité " et sont la cause d'un risque suicidaire " majoré par la rupture de soins, tant du suivi que du traitement psychotrope ". En raison de la mise en jeu du pronostic vital de M. B... en cas d'interruption du traitement, que ne contredit pas le dossier médical au regard desquels les médecins de l'Ofii se sont prononcés, il y a lieu de considérer que le défaut de traitement aurait pour le requérant des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Si le préfet de la Gironde doit être regardé comme sollicitant une substitution de motif en faisant valoir, dans ses écritures de première instance auxquelles il renvoie en appel, que le refus de délivrance d'un titre de séjour peut également être fondé sur le fait que M. B... pourra bénéficier de soins et d'un suivi médical adaptés en Grèce, il ne peut être fait droit à une telle demande dès lors que, les médecins de l'Ofii ne s'étant pas prononcés sur cette question, le requérant serait privé d'une garantie procédurale.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, M. B... est fondé à soutenir que le refus de séjour en litige a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile. Le requérant est par suite fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français, lui interdisant tout retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et fixant le pays de renvoi, cette dernière décision étant au surplus contraire à la convention de Genève en tant qu'elle n'exclut pas un retour en République démocratique du Congo de M. B... alors qu'il bénéficie de la qualité de réfugié.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, et seul susceptible de l'être en l'état du dossier, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le préfet de la Gironde procède au réexamen de la demande de M. B... dont la situation médicale devra être examinée au regard des caractéristiques du système de santé du pays lui ayant accordé le statut de réfugié, soit la Grèce. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir sans délai M. B... d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
11. M. B... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Me Cesso sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303034 du tribunal administratif de Bordeaux du 24 janvier 2024 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 24 mai 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de procéder au réexamen de la demande de M. B... dans les conditions énoncées au point 10 du présent arrêt et dans le délai de trois mois suivant sa notification et, dans l'attente, de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'État versera à Me Cesso la somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.
Une copie sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
M. Vincent Bureau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 janvier 2025.
La rapporteure,
Valérie Réaut
La présidente,
Marie-Pierre Beuve DupuyLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX00837 2