Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté n°0214-2020 du 29 septembre 2020 par lequel le maire de la commune de Salles a procédé à l'abrogation de l'arrêté n°0125-2019 du 6 novembre 2019 lui accordant le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2005634 du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 septembre 2020 par lequel le maire de la commune de Salles a procédé au retrait de l'arrêté du 6 novembre 2019.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023, la commune de Salles, représentée par Me Me Parier et Me Baudiffier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté annulé comporte une motivation suffisante ;
- M. A... a commis une faute personnelle et ne pouvait donc plus obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle après le jugement correctionnel reconnaissant sa culpabilité et les jugements du tribunal administratif de Bordeaux ;
- le but de la demande de protection fonctionnelle relevait d'une volonté de régler des différends personnels ;
- l'attaque subie par M. A... renvoyait à une faute détachable du service car en lien avec sa condamnation pour des faits de harcèlement moral devant le tribunal correctionnel de Bordeaux et la Cour d'appel de Bordeaux ;
- la demande de protection fonctionnelle aurait pu être refusée sur le fondement de l'intérêt général dès lors que les sommes liées aux nombreuses demandes de protection fonctionnelle de M. A... grevaient trop significativement les deniers publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2024, M. F... A..., représenté par Me Rainaud, conclut au rejet de la requête et à ce que la commune de Salles soit condamnée à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Clémentine Voillemot ;
- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public ;
- et les observations de Me Picard, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., exerçant les fonctions de responsable de l'administration générale jusqu'au 20 juillet 2020, a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle le 29 août 2019 après avoir été condamné, par un jugement du tribunal correctionnelle de Bordeaux du 28 janvier 2019, pour des faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme D..., agent municipal, à deux mois de prison avec sursis et 2000 euros d'amende et relaxé des faits reprochés à l'encontre de Mme C..., Mme E... et M. B.... Par un arrêté du 6 novembre 2019, la protection fonctionnelle lui a été accordée pour défendre ses intérêts dans le cadre de la procédure d'appel qu'il avait initiée. Par un arrêté du 29 septembre 2020, la décision lui accordant la protection fonctionnelle a été abrogée. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de cet arrêté. La commune de Salles relève appel du jugement du 24 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 septembre 2020.
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / II.- Sauf en cas de faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la responsabilité civile du fonctionnaire ne peut être engagée par un tiers devant les juridictions judiciaires pour une faute commise dans l'exercice de ses fonctions (...) IV .-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / Lorsqu'elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l'existence d'un risque manifeste d'atteinte grave à l'intégrité physique du fonctionnaire, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d'urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l'aggravation des dommages directement causés par ces faits. Ces mesures sont mises en œuvre pendant la durée strictement nécessaire à la cessation du risque. / V.- La protection peut être accordée, sur leur demande, au conjoint, au concubin, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au fonctionnaire, à ses enfants et à ses ascendants directs pour les instances civiles ou pénales qu'ils engagent contre les auteurs d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par le fonctionnaire (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à raison de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général.
3. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".
4. Si le caractère d'acte créateur de droits de la décision accordant la protection prévue par les dispositions précitées fait obstacle à ce que l'administration puisse légalement retirer, plus de quatre mois après sa signature, une telle décision, hormis dans l'hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude, l'autorité administrative peut mettre fin à cette protection pour l'avenir si elle constate à la lumière d'éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions de la protection fonctionnelle n'étaient pas réunies ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l'existence d'une faute personnelle ou que les faits allégués à l'appui de la demande de protection ne sont pas établis.
4. Pour abroger l'arrêté du 6 novembre 2019, la commune de Salles s'est fondée sur l'existence d'une faute personnelle commise par M. A... en raison du harcèlement moral perpétré à l'encontre de Mme D..., Mme C..., Mme E... et des faits de violence à l'encontre de M. B....
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné à deux mois de prison avec sursis et 2000 euros d'amende par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 28 janvier 2019 pour des agissements constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de Mme D.... Le jugement relève qu'il a décidé de changer le lieu de travail de Mme D... pour l'affecter dans un premier temps dans un lieu inadapté à l'exercice de ses fonctions puis, un mois après, a fait procéder à un nouveau déplacement de son bureau dans un algeco placé sur le parking de la mairie. Il ressort également de ce jugement que M. A... a reconnu avoir fait en sorte que Mme D... quitte la mairie, a admis être à l'origine de sa mauvaise évaluation en 2016 ayant justifiée le retrait de ses primes et a fait rédiger des rapports d'incident concernant Mme D... par une stagiaire, reconnaissant également avoir glissé ces documents antidatés dans le dossier de l'intéressée avant l'arrivée des syndicats pour justifier le départ de l'agent la mairie. Le jugement relève que " l'ensemble de ces éléments, brimades, humiliations, mise à l'écart justifiée par des considération de colère et de détestation, sanctions injustifiées avec des rapports antidatés et rédigés par celui qui n'était pas son supérieur hiérarchique, évaluation de 2016 totalement incompréhensible, démontrent l'existence de comportements répétés qui ont porté atteinte aux droits et à la dignité de Carole D... ". Ces éléments, également mentionnés dans les jugements du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juillet 2019 relatifs au rejet de la demande de protection fonctionnelle de Mme D... et à la baisse de son régime indemnitaire, permettent de révéler l'existence d'une faute personnelle de M. A... à l'encontre de Mme D....
6. Toutefois, M. A... a également dû assurer sa défense dans le cadre des appels incidents formés le 31 janvier 2019 par Mme C..., Mme E... et M. B... devant la Cour d'appel de Bordeaux après la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour les faits qui lui étaient reprochés par ces trois agents. L'arrêté du 6 novembre 2019 vise précisément ces appels incidents et lui accorde la protection fonctionnelle pour défendre ses intérêts en raison des faits de harcèlement moral dont il est accusé dans le cadre de ses fonctions pour la procédure d'appel. Si Mme C..., Mme E... et M. B... ont également obtenu le bénéfice de la protection fonctionnelle, en exécution des jugements du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juillet 2019, il ressort toutefois, notamment, des éléments très circonstanciés du jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux relaxant M. A... des faits reprochés à son encontre par Mme C..., Mme E... et M. B..., que ces faits ne pouvaient pas être regardés comme révélant une faute personnelle. Dans son arrêt du 14 janvier 2021, la cour d'appel de Bordeaux a d'ailleurs confirmé les relaxes prononcées par le tribunal correctionnel de Bordeaux. Dans ces circonstances, à la date de l'arrêté abrogeant l'arrêté accordant la protection fonctionnelle à M. A..., la commune de Salles ne pouvait légalement se fonder sur l'existence d'une faute personnelle de M. A... en ayant perpétré des agissements constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de Mme C... et de Mme E... et de violence à l'encontre M. B... pour abroger l'arrêté du 6 novembre 2019.
7. Si la commune de Salles fait valoir dans ses écritures que le but de la demande de protection fonctionnelle demandée par M. A... relève d'une volonté de régler des différends personnels, cet élément ne ressort pas des pièces du dossier alors que l'instance pénale engagée devant la cour d'appel de Bordeaux avait exclusivement trait à des accusations de faits de harcèlement moral et de violence dans le cadre de ses fonctions.
8. En second lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Il ne ressort d'aucun texte ni d'aucun principe qu'une collectivité publique pourrait limiter a priori le montant des remboursements alloués à l'agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle. Ce montant est calculé au regard des pièces et des justificatifs produits et de l'utilité des actes ainsi tarifés dans le cadre de la procédure judiciaire. L'administration peut toutefois décider, sous le contrôle du juge, de ne rembourser à son agent qu'une partie seulement des frais engagés lorsque le montant des honoraires réglés apparaît manifestement excessif au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession, des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client ou encore de l'absence de complexité particulière du dossier.
10. Il est constant que M. A... a bénéficié de plusieurs décisions lui accordant la protection fonctionnelle et qu'à ce titre, une somme de 62 500 euros hors taxe a été engagée par la commune de Salles. Si la commune peut refuser de prendre en charge le remboursement de frais jugés excessifs et prendre les mesures qu'elle estime appropriées pour défendre son agent, elle ne peut a priori refuser de limiter le montant des remboursements ni, a fortiori, refuser ou retirer une décision de protection fonctionnelle en faisant valoir que les sommes engagées dans le cadre des différentes décisions d'octroi de protection fonctionnelle grèveraient trop significativement les deniers publics. Cette circonstance, au demeurant non établie en l'espèce, ne constitue pas, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, un motif d'intérêt général permettant de refuser et donc de retirer le bénéfice de la protection fonctionnelle. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conséquences financières de l'arrêté du 6 novembre 2019 accordant la protection fonctionnelle à M. A... pour assurer sa défense dans le cadre de la procédure d'appel, seraient excessives, injustifiées ou disproportionnées, notamment au regard des modalités de la prise en charge des frais détaillées et limitées à l'article 2 de cet arrêté.
11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Salles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 septembre 2020 par lequel le maire de la commune de Salles a procédé au retrait de l'arrêté du 6 novembre 2019.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Salles, partie perdante dans la présente instance, une somme de 500 euros à verser à M. A....
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Salles au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Salles est rejetée.
Article 2 : La commune de Salles versera à M. A... la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Salles et à M. F... A....
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La rapporteure,
Clémentine Voillemot
La présidente,
Fabienne Zuccarello
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX00195 2