Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour en France pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2400236 du 26 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Dumaz-Zamora demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 4 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à l'effacement du signalement aux fins de non-admission dont il est l'objet dans le système d'information Schengen, sans délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Dumaz Zamora sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir retenu à tort la tardiveté opposée par le préfet ; le magistrat désigné s'est fondé sur une information recueillie sur internet pour prendre en considération la notification de l'arrêté attaqué à la nouvelle adresse du centre de premier accueil des demandeurs d'asile où il était domicilié, alors que ni le préfet ni le magistrat désigné n'ont évoqué ce déménagement ;
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son état de santé s'oppose à son éloignement ;
- la décision emporte des conséquences manifestement disproportionnées sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est dépourvue de base légale ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour en France durant deux ans :
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet s'est fondé sur des informations issues du fichier de traitement des antécédents judiciaires, dont la consultation est irrégulière ; selon l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, ce fichier ne peut pas être consulté pour l'instruction d'une mesure d'éloignement ; en outre, le préfet ne s'est pas assuré des suites données aux procédures mentionnées dans ce fichier et a fixé la durée maximale de deux ans à raison d'une menace à l'ordre public non fondée ;
- elle est dépourvue de base légale ;
- le préfet a méconnu les dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en fixant la durée de l'interdiction à son maximum de deux ans ;
- la décision emporte des conséquences manifestement disproportionnées sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 novembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
La caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. B... a été constatée par une décision du 25 avril 2024.
Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 13 décembre 2024 à 12 heures.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Réaut a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant géorgien né le 24 mars 1980, est entré en France le 22 novembre 2022 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 25 avril 2023. Par un arrêté du 4 août 2023, le préfet de la Gironde lui a refusé tout droit au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans les trente jours en fixant le pays de destination et lui a interdit tout retour sur le territoire français pendant deux ans. Interpellé en situation irrégulière le 20 décembre 2023, M. B... a été placé en rétention administrative pour 48 heures par un arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 21 décembre 2023. M. B... relève appel du jugement du 26 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux, à qui la demande avait été transmise par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Pau du 12 janvier 2024, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 août 2023.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision (...). "
3. Pour établir la tardiveté de la demande, le magistrat désigné a constaté que l'arrêté du 4 août 2023 a été adressé au centre de premier accueil des demandeurs d'asile de Bordeaux, géré par l'association France Terre d'Asile, où M. B... avait élu domicile sous le n° 18566 et a retenu que l'accusé de réception du pli, revêtu de la mention " Pli avisé et non réclamé ", valait notification régulière. Toutefois, cet accusé de réception n'indique pas à quelle date le pli a été présenté. Ainsi, à défaut de pouvoir fixer la date de vaine présentation, étant alors indifférent de savoir si le préfet pouvait régulièrement utiliser la nouvelle adresse du centre d'accueil, la notification régulière de l'arrêté ne peut être regardée comme établie. Il s'ensuit que le délai de recours prévu à l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a jamais commencé à courir et que la demande de M. B... enregistrée au greffe du tribunal administratif de Pau le 29 décembre 2023 n'était pas tardive.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné a rejeté sa demande comme irrecevable. Dès lors, ce jugement a été rendu dans des conditions irrégulières et doit être annulé.
5. Par suite, il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... présentées devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 août 2023.
Sur la légalité de l'arrêté du 4 août 2023 :
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte les visas des textes dont le préfet de la Gironde a fait application ainsi que les considérations de fait qui en sont le fondement. Il s'ensuit que l'autorité administrative n'a pas méconnu l'obligation de motivation qui lui incombait en application des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
7. En deuxième lieu, il ressort de l'inventaire " Telemofpra " produit par le préfet en première instance que la demande d'asile présentée par M. B..., examinée en procédure accélérée en application de l'article L. 531-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été rejetée par une décision de l'Office de protection des réfugiés et des apatrides du 25 avril 2023 notifiée le 30 mai 2023. Ainsi, contrairement à ce qu'il soutient, le requérant ne bénéficiait plus à compter de cette dernière date du droit de se maintenir sur le territoire français prévu au d) de l'article L. 542-2 du même code. Le préfet de la Gironde n'a donc pas méconnu ces dispositions en prononçant son éloignement le 4 août 2023.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la version applicable à la date de l'arrêté litigieux : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résident habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...). "
9. Pour soutenir que son état de santé ferait obstacle à son éloignement, M. B... produit un certificat médical d'un praticien hospitalier neurologue selon lequel il fait l'objet d'un " suivi dans le cadre d'une pathologie médicale chronique nécessitant une poursuite des soins en France " et une attestation du directeur du foyer qui l'accueille dans le cadre du dispositif des " Lits Halte de Soins ". Ces pièces sont insuffisantes pour démontrer que sa situation relevait, à la date de l'arrêté en litige, du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont le préfet de la Gironde n'a dès lors pas fait une inexacte application.
10. En dernier lieu, pour la même raison que celle qui est énoncée au point précédent et en tenant compte de la courte durée de sa présence en France, d'un peu plus de neuf mois à la date de la mesure d'éloignement, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée emporte des conséquences manifestement disproportionnées sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Dès lors que les conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement sont rejetées, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale ne peut être qu'écarté.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour en France durant deux ans :
12. Aux termes du V de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure : " Il peut être procédé à des enquêtes administratives dans les conditions prévues au second alinéa du I du présent article [la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel] pour la délivrance, le renouvellement ou le retrait d'un titre ou d'une autorisation de séjour sur le fondement de l'article L. 234-1, L. 235 1, L. 425-4, L. 425-10, L. 432-1 ou L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou des stipulations équivalentes des conventions internationales ainsi que pour l'application des articles L. 434-6, L. 511-7, L. 512-2 et L. 512-3 du même code. "
13. Il résulte du 1° du I de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale que les agents habilités peuvent consulter les données à caractère personnel figurant dans le traitement des antécédents judiciaires, qui se rapportent à des procédures judiciaires closes ou en cours, sans autorisation du ministère public, dans le cadre des enquêtes prévues au V de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure pour instruire des demandes en vue de prendre des décisions au nombre desquelles ne figure pas l'interdiction de retour sur le territoire national prévue aux articles L. 612-1 à L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il ressort des termes clairs de l'arrêté attaqué que l'atteinte à l'ordre public fonde uniquement la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, qui ne relève d'aucune des catégories de décisions pour lesquelles la consultation des traitements automatisés visés à l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure est autorisée. La mesure d'éloignement est quant à elle fondée sur le seul motif du refus de reconnaissance de la qualité de réfugié à M. B..., contrairement à ce que soutient le préfet de la Gironde, et n'a donc pas permis une consultation régulière du fichier des antécédents judiciaires de l'intéressé. Il s'ensuit que M. B... est fondé à soutenir que le préfet ne pouvait fonder la mesure d'interdiction de retour en France sur les informations recueillies dans le fichier des antécédents judiciaires.
15. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 4 août 2023 en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt, qui se borne à annuler la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, implique seulement l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde, en application de l'article R. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de mettre en œuvre la procédure d'effacement de ce signalement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
17. La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. B... a été déclarée caduque par une décision du 25 avril 2024. Par suite, son conseil ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Toutefois, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2400236 du 26 janvier 2024 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 4 août 2023 du préfet de la Gironde est annulé en tant qu'il interdit à M. B... tout retour sur le territoire français pendant deux ans.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de faire effacer du système d'information Schengen l'interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans prononcée à l'encontre de M. B..., dans un délai d'un mois compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de première instance et d'appel de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Gironde, au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent Pouget
Le greffier
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX01109 2