Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler deux arrêtés du 7 avril 2024 par lesquels le préfet de la Gironde a prononcé sa remise aux autorités portugaises et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement nos 2402426, 2402427 du 19 avril 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2024, Mme A... C... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 2402426, 2402427 du 19 avril 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2024 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé sa remise d'office aux autorités portugaises et l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Gironde l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande de titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de Bordeaux a commis une erreur en se fondant sur l'accord conclu entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière ;
S'agissant de l'arrêté portant remise aux autorités portugaises :
- il a été pris par une autorité incompétente pour ce faire en l'absence de justification d'une délégation de signature régulière, spéciale, publiée et écrite et sans preuve de ce que les personnes précédant le signataire dans la chaine de délégation aient été empêchées ou absentes à la date à laquelle la décision a été prise ;
- il est entaché d'un défaut de motivation qui révèle un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation, dès lors qu'il ne fait pas état de sa situation familiale en France ;
- il méconnaît son droit à être entendu tel que garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que la décision a été prise sans qu'elle ait pu présenter ses observations sur sa vie privée et familiale sur le territoire, ce qui l'a privée d'une garantie ;
- il est entaché d'erreur de fait et méconnait l'article L. 621-2 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle est entrée sur le territoire national directement du Brésil et qu'elle ne dispose d'aucun lien avec le Portugal ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de l'arrêté portant assignation à résidence :
- il a été signé par une autorité incompétente ;
- il méconnaît les dispositions des articles L. 731-1 et suivants, et est insuffisamment motivé ; la motivation stéréotypée et générale ne permet pas au requérant de s'assurer des fondements factuels de son assignation à résidence ;
- il est illégal par voie d'exception en raison de l'illégalité de l'arrêté portant remise aux autorités portugaises ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que la mesure d'éloignement ne peut intervenir tant que la juridiction administrative ne s'est pas prononcée, de sorte que le préfet ne pouvait pas l'assigner à résidence alors que le recours demeure pendant ; la décision méconnaît les dispositions des articles L. 614-1, L. 722-7 et L. 722-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet ne justifie pas des circonstances permettant d'apprécier une perspective raisonnable d'éloignement ; le préfet n'apporte aucun élément quant aux démarches effectuées afin qu'un moyen de transport soit disponible.
Le préfet de la Gironde a produit un mémoire et des pièces le 29 octobre 2024, après la clôture d'instruction, qui n'ont pas été communiqués.
Par une ordonnance du 27 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord Schengen conclu le 14 juin 1985, publiée par le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 ;
- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 ;
- l'accord entre la République française et la République portugaise sur la réadmission des personnes en situation irrégulière conclu le 8 mars 1993, publié par le décret n° 95-876 du 27 juillet 1995 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... C..., de nationalité brésilienne, est entrée sur le territoire national en mars 2023. Suite à son arrestation par les services de police, le préfet de la Gironde a prononcé sa remise aux autorités portugaises par un arrêté du 7 avril 2024. Par un second arrêté du même jour, le préfet l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par la présente requête, Mme A... C... relève appel du jugement du 2 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des deux arrêtés du 7 avril 2024.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté du 7 avril 2024 portant remise aux autorités portugaises :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615 1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. / L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'État. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. ". Aux termes de l'article L.621-2 du même code : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un État membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse l'étranger qui, admis à entrer ou à séjourner sur le territoire de cet État, a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 311-1, L. 311-2 et L. 411-1, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec cet État, en vigueur au 13 janvier 2009. ". Aux termes de l'article L. 621-3 du même code : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les dispositions de l'article L. 621-2 lorsqu'il est entré ou a séjourné sur le territoire français sans se conformer aux stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 19, du paragraphe 1 de l'article 20, et des paragraphes 1 et 2 de l'article 21, de cette convention, relatifs aux conditions de circulation des étrangers sur les territoires des parties contractantes, ou sans souscrire, au moment de l'entrée sur ce territoire, la déclaration obligatoire prévue par l'article 22 de la même convention, alors qu'il était astreint à cette formalité ". Aux termes de l'article 2 de l'accord entre la République française et la République portugaise sur la réadmission de personnes en situation irrégulière, signé le 8 mars 1993, publié par le décret n°95-876 du 27 juillet 1995, librement accessible : " 1. Chaque Partie contractante réadmet sur son territoire, à la demande de l'autre Partie contractante et sans autres formalités que celles prévues par le présent Accord, le ressortissant d'un État tiers qui a transité ou séjourné sur son territoire et s'est rendu directement sur le territoire de l'autre Partie, lorsqu'il ne remplit pas les conditions d'entrée ou de séjour applicables sur le territoire de la Partie contractante requérante (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 : " 1. Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres ". Aux termes de l'article 4 de ce même règlement " 1. Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe II sont exemptés de l'obligation prévue à l'article 3, paragraphe 1, pour des séjours dont la durée n'excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours " et aux termes de l'annexe II de ce règlement : " ANNEXE II/ (...) / Brésil ". Aux termes de l'article 11 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) : " 1. Un cachet est systématiquement apposé sur les documents de voyage des ressortissants de pays tiers à l'entrée et à la sortie. Il est notamment apposé un cachet d'entrée et de sortie : (...) / c) sur les documents permettant aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas soumis à l'obligation de visa de franchir la frontière ".
4. Il résulte des dispositions précitées que les ressortissants brésiliens sont exemptés de détention d'un visa pour les séjours d'une durée inférieure à 90 jours dans l'espace Schengen. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le passeport de l'intéressée est revêtu d'un cachet d'entrée dans l'espace Schengen en France daté du 1er mars 2023, apposé en application de l'article 11 du règlement (UE) 2016/399. Il en résulte que Mme A... C..., ainsi qu'elle le soutient en appel, doit être regardée comme n'ayant pas transité par le Portugal, État partie à la convention signée à Schengen, mais comme étant entrée en France en provenant directe du Brésil. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que la décision du préfet de la Gironde prononçant sa remise aux autorités portugaises repose sur des faits matériellement inexacts révélant un défaut d'examen sérieux de sa situation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, l'arrêté du 7 avril 2024 portant remise aux autorités portugaises doit être annulé.
En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté du 7 avril 2024 portant assignation à résidence dans le département de la Gironde :
5. Aux termes de l'article L.731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / (...) 4° L'étranger doit être remis aux autorités d'un autre État en application de l'article L. 621-1 ; ".
6. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué du 7 avril 2024 que la décision prononçant l'assignation à résidence de Mme A... C... a été prise en application de l'article L.731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de l'exécution effective de sa remise aux autorités portugaises. L'annulation de la décision portant remise d'office aux autorités portugaises, en vertu de ce qui précède, doit entrainer par voie de conséquence l'annulation de l'arrêté prononçant l'assignation à résidence de Mme A... C..., sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que Mme A... C... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses demandes d'annulation des arrêtés du 7 avril 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'implique pas que Mme A... C... se voit délivrer un titre de séjour ni même un formulaire de demande de titre de séjour. Il convient, en revanche, d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L.761 1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Mme A... C....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux nos 2402426, 2402427 du 19 avril 2024 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du 7 avril 2024 du préfet de la Gironde portant remise aux autorités portugaises et assignation à résidence de Mme A... C... sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de Mme A... C... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Mme A... C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve DupuyLe président-rapporteur,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX01175