Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... et Mme D... E... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 8 août 2023 par lesquels le préfet de la Gironde a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2400828, 2400829 du 2 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I/ Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées sous le n° 24BX01755, les 16 juillet et 30 juillet 2024, M. C... B..., représenté par Me Jouteau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer un récépissé avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation quant aux risques encourus en cas de retour en Russie et à son droit au séjour ;
- la décision portant refus de séjour méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant fixation du pays de destination méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 27 juin 2024.
II/ Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées sous le n° 24BX01756, les 16 juillet et 30 juillet 2024, Mme D... E... épouse B..., représentée par Me Jouteau demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2400828, 2400829 du tribunal administratif de Bordeaux du 2 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer un récépissé avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation quant aux risques encourus en cas de retour en Russie et à son droit au séjour ;
- la décision portant refus de séjour méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant fixation du pays de destination méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 27 juin 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nicolas Normand ;
- Et les observations de Me Jouteau représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants russes respectivement nés en 1988 et 1991, sont entrés irrégulièrement en France le 27 octobre 2016 selon leurs déclarations. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions du 10 mars 2017 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par des décisions du 23 janvier 2018 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par deux arrêtés des 5 et 22 février 2019, le préfet de la Gironde a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 19 décembre 2022, M. et Mme B... ont sollicité la délivrance de titres de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 8 août 2023, le préfet de la Gironde a refusé de leur délivrer des titres de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 2 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 24BX01755 et 24BX01756 concernent deux ressortissants étrangers membres d'une même famille et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
3. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Les requérants ne peuvent donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreurs de fait et d'appréciation.
En ce qui concerne les décisions portant refus de séjour :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. En application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme B... résident en France depuis 2016 et ont une enfant née en 2012, scolarisée en classe de 6ème à la date des arrêtés attaqués. Toutefois, M. et Mme B..., qui ont passé l'essentiel de leur existence dans leur pays d'origine, ont déjà fait l'objet en 2019 de mesures d'éloignement qu'ils n'ont pas exécutées et il ne ressort pas des pièces du dossier que leur fille, dont la langue maternelle est le russe, ne puisse pas poursuivre sa scolarité dans le pays d'origine. Dès lors, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, alors d'ailleurs que les requérants ne sont pas dépourvus d'attaches dans leur pays d'origine, où résident la mère et la sœur de M. B... ainsi que la mère et l'ensemble de la fratrie de Mme B.... Par suite, alors même que M. B... est titulaire de promesses d'embauche en qualité de plaquiste, ouvrier et bardeur/couvreur du 26 septembre 2022 et du 15 février 2024, au demeurant postérieure aux arrêtés en litige pour l'une d'entre elles, et que Mme B... a suivi des cours de français, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions attaquées ont porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Les décisions contestées n'ayant pas pour objet ou pour effet de séparer M. et Mme B... de leur enfant, ou d'empêcher celle-ci de poursuivre sa scolarité. Leurs moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent donc être écartés.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
9. Pour les mêmes motifs que ceux invoqués aux points 6 et 8, les moyens tirés de ce que les décisions contestées méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.
En ce qui concerne les décisions portant fixation du pays de renvoi :
10. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ", ce dernier texte énonçant que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. M. et Mme B... soutiennent que M. B... fait l'objet de poursuites judiciaires des autorités russes, à la suite d'une fusillade déclenchée par son ami lors d'un contrôle routier alors qu'il transportait dans son camion des armes cachées dans une cargaison dont il ignorait le contenu et qu'il avait acceptée de charger pour rendre service à cet ami. Compte tenu de la nature des faits invoqués, les poursuites judiciaires en cause ne sont pas intervenues dans un but autre que la répression d'une infraction de droit commun. M et Mme B... ne soutiennent d'ailleurs pas devant le juge d'appel être recherchés pour un motif politique. Les requérants qui avaient exposé devant l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) que M. B... avait subi des mauvais traitements pendant son arrestation ainsi qu'au commissariat où il a été détenu plus d'un mois avant d'être relâché, font certes valoir devant la cour de céans, que M. B... est exposé à des risques pour sa liberté et sa sécurité. Ils se prévalent, à ce titre, de pièces déjà produites durant l'examen de leur demande d'asile, et notamment d'un avis de recherche lancé à l'encontre de M. B... et placardé dans des commissariats russes, du décès du père du requérant quelques jours seulement après son interpellation, et d'un courrier de son avocat du 21 juin 2017, mentionnant " B... R. M. avait fourni des témoignages de reconnaissance sous pression, comprenant l'utilisation de méthodes de torture. Nous avons obtenu sa libération sous caution ", de témoignages écrits de sa mère, d'une voisine, de sa belle-mère attestant des recherches dont M. B... continue à faire l'objet et de deux certificats médicaux du psychiatre qui l'a suivi depuis le 11 mai 2017. Ils se prévalent aussi de nouvelles pièces de procédures que constituent l'ordonnance d'ouverture de l'instruction du 1er mai 2015, au terme de laquelle Monsieur B... est poursuivi pour avoir "illégalement détenu et effectué le transport d'armes à feu", le mandat de recherche lancé à l'encontre du requérant le 28 juillet 2015, et le nouveau courrier de son avocat, confirmant l'actualité des poursuites et l'incarcération dont il fera l'objet dès qu'il sera localisé. Toutefois outre que l'OFPRA et la CNDA ont rejeté les demandes d'asile présentées par M. et Mme B..., respectivement les 10 mars 2017 et 23 janvier 2018, les éléments produits par les requérants et notamment les pièces de procédure précitées, ne sont pas de nature à démontrer la réalité de risques de traitements graves et inhumains personnellement et directement encourus par les requérants en cas de retour dans leur pays d'origine, la Russie. Enfin, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir de l'ordre de mobilisation qu'aurait reçu M. B... dès lors que la pièce qu'ils produisent au soutien de leurs allégations, rédigée en langue russe, n'est, en tout état de cause, pas traduite en français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs conclusions présentées aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement combiné des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE
Article 1er : Les requêtes de M. et Mme B... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., Mme D... E... épouse B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente.
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Fabienne Zuccarello La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01755, 24BX01756